Eglises d'Asie – Philippines
Mindanao : un attentat dans une église fait deux morts
Publié le 09/10/2014
Selon le rapport des autorités militaires sur place, cité par la presse philippine de ce matin, une quarantaine de personnes étaient rassemblées ce mercredi soir dans l’église de Pikit affiliée à l’Eglise unie du Christ des Philippines (United Church of Christ in the Philippines), importante dénomination protestante du pays. La porte du lieu de culte était ouverte et le service religieux touchait à sa fin quand l’attentat s’est produit. La grenade a explosé entre les bancs des fidèles, et les deux victimes, Felomena Nacario-Ferolin, une infirmière de 54 ans, et Gina Cabiluna, une enseignante de 39 ans, sont décédées de leurs blessures avant d’arriver à l’hôpital.
Toujours selon le même rapport, les forces de sécurité ont bouclé le périmètre de l’église très rapidement, mais les deux motocyclistes n’ont pas été retrouvés et aucune revendication n’a été communiquée.
Depuis Manille, le secrétaire général de l’UCCP, Mgr Reuel Norman O. Marigza, a déclaré qu’« aucune circonstance ni raison ne pouvait justifier une telle action contre un lieu de culte et y causer des morts et des blessés parmi les fidèles ». Tout en appelant les autorités à agir avec célérité pour retrouver les coupables, Mgr Marigza a aussi appelé les membres de son Eglise à rester vigilants vis-à-vis de toute éventuelle nouvelle attaque. « Faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter toute escalade de la violence », a-t-il ajouté par voie de communiqué.
Née en 1948 de la fusion entre l’Eglise évangélique des Philippines, l’Eglise méthodiste philippine, les Disciples du Christ, l’Eglise évangélique unie et d’autres dénominations protestantes, l’UCCP revendique 1,5 million de fidèles. Surtout présente à Luzon, elle est également implantée dans les Visayas et le Sud philippin. Connue pour son engagement social et ses appels à la paix et au dialogue, elle a souvent été visée par les militaires dans le cadre de la lutte armée contre le Parti communiste auquel l’Eglise protestante avait été assimilée en raison de ses prises de position. Elle présente aussi le douloureux honneur de compter parmi ses fidèles de nombreux disparus et victimes de la torture ; entre 2001 et 2010, période du long mandat présidentiel de Gloria Macapagal-Arroyo, 25 de ses membres, pasteurs comme laïcs, ont été assassinés – et, en 2011, Mgr Marigza a déposé une plainte en nom collectif à l’encontre de l’ancienne présidente pour violations des droits de l’homme.
Concernant l’attentat à la grenade de Pikit, le pasteur de la paroisse visée, le Rév. Jerry Sanchez, a déclaré au micro d’une radio locale « n’avoir aucune idée des raisons » qui auraient bien pu le motiver. « Nous condamnons cette action », a-t-il ajouté, en précisant que sa communauté était activement engagée dans un travail de promotion de la paix dans la région.
Pikit se trouve au cœur de Mindanao. Elle appartient à la province de Cotabato-Nord et est tout proche de la province de Maguindanao. L’une et l’autre province sont le théâtre d’une intense activité des rebelles musulmans. En 2003, le Front moro de libération islamique (MILF) disposait d’un important camp d’entraînement à proximité de Pikit et cette présence avait été la cause d’intenses combats avec les Forces armées de Manille, restés dans les annales comme la « Pikit War » de 2003. Depuis, la situation ne s’est pas vraiment stabilisée.
Un accord global sur le Bangsamoro (Comprehensive Peace Agreement on Bangsamoro, CAB) a bien été signé le 27 mars dernier, à l’issue de longues tractations entre le gouvernement philippin et le Front moro de libération islamique (MILF). Cet accord prévoit la création d’une entité politique semi-autonome, administrée par la minorité musulmane très implantée dans cette partie sud de l’archipel. Le Bangsamoro devrait couvrir un peu plus du territoire de l’actuelle Région autonome musulmane de Mindanao et fonctionner selon un système juridique et judiciaire particulier, défini par une Loi fondamentale dont le cadre n’a pas encore été clairement précisé. Mais les lacunes et les imprécisions présentes dans le CAB sont, de l’avis des observateurs du conflit à Mindanao, autant de graines de discorde à venir.
Ces dernières semaines, les forces armées gouvernementales étaient en alerte renforcée dans la région par crainte de voir des actions violentes lancées par les Bangsamoro Islamic Freedom Fighters (BIFF), une faction dissidente du MILF qui n’accepte pas les termes du CAB. Emmené par Ustadz Ameril Umra Kato, le BIFF affirme mener la lutte armée en vue de créer un Etat islamique à Mindanao.
(eda/ra)