Eglises d'Asie

Des extrémistes musulmans prévoient un autodafé de bibles dimanche prochain

Publié le 25/01/2013




L’Etat de Penang, situé dans le nord-ouest du pays, se prépare à grands renforts policiers à empêcher un autodafé de bibles annoncé pour dimanche 27 janvier à Butterworth, chef-lieu du district de Seberang Perai.La nouvelle, connue depuis mardi dernier, a été relayée rapidement, provoquant l’indignation des chrétiens et l’inquiétude des autorités, …

… à quelques mois des élections générales, qui se préparent déjà dans un contexte de grande tension religieuse. En quelques heures le Web s’est enflammé, tandis que se multipliaient les condamnations (ou approbations) de l’autodafé ainsi que les déclarations des différents mouvements religieux ou politiques, le grand absent de ces débats restant le gouvernement central, resté étrangement silencieux.

C’est le Rév. John Kennady, pasteur de l’Eglise anglicane St Mark à Butterworth, qui a découvert mardi 22 janvier dans sa boite aux lettre un tract invitant « tous les musulmans de Malaisie » à participer à « une grande fête » pour brûler des bibles en malais, dimanche 27 janvier à 10 heures devant le Dewan Ahmad Badawi de Butterworth.

Les organisateurs, un certain « Groupe d’action contre les bibles en malais » inconnu jusqu’à présent, expliquent avoir choisi le dimanche en raison de son caractère sacré pour les chrétiens, et concluent par cette incitation « Donnons leur une leçon ! ».

Après avoir immédiatement prévenu la Christian Federation of Malaysia (CFM), qui réunit la majorité des dénominations chrétiennes du pays (dont l’Eglise catholique), le pasteur a informé la police de Butterworth, laquelle a averti le gouvernement de Penang. The Malaysian Insider du 24 janvier annonce que la police de Penang est déjà déployée sur le vaste terrain situé devant le Dewan Ahmad Badawi, un immense bâtiment municipal. La population a été quant à elle avertie de ne pas participer à un « événement » organisé par « des individus irresponsables, menaçant la paix et la sécurité des habitants ».

Première à réagir officiellement, la CFM a condamné « l’acte sacrilège » dès le 22 janvier dans une déclaration signée de son président, Mgr Datuk Ng Moon Hing, évêque anglican du diocèse de West Malaysia. Elle a également appelé les organisateurs de l’autodafé à renoncer leur entreprise « haineuse et menée à des fins purement politiques ». L’évêque anglican a souligné en effet que ces menaces intervenaient quelques jours seulement après qu’un homme politique ait lancé un appel à brûler en masse les bibles en malais.

Datuk Ibrahim Ali, chef du groupe pro-malais Perkasa et parlementaire proche de l’UMNO-BN, la coalition au pouvoir, a en effet fait scandale le week-end dernier en appelant à brûler toutes les bibles en langue malaise, celles-ci utilisant le mot « Allah » pour se référer à Dieu. Le leader extrémiste avait affirmé auparavant que des exemplaires de ces bibles avaient été distribués à des lycéens de Penang, les mettant en danger d’apostasie par l’emploi d’un terme « réservé à l’islam ». Un article du Malaysian Insider publié le 24 janvier rapporte cependant que l’enquête de police vient de révéler que tous les exemplaires incriminés étaient en anglais et ne pouvaient donc contenir les mots en question.

La polémique sur l’utilisation du mot « Allah » par les chrétiens, qui revient aujourd’hui en force, est récurrente depuis 2008, date à laquelle le Haut conseil national de la fatwa a ordonné que ce terme soit réservé aux seuls musulmans et obtenu la suspension de l’hebdomadaire catholique Herald qui l’utilisait dans sa version malaise.

Un arrêt de la Haute Cour a pourtant statué en 2009 en faveur des chrétiens, ces derniers ayant démontré que ce terme et d’autres, pré-islamiques, étaient employés par les chrétiens de langue malaise depuis plus de quatre siècles. Mais face au tollé des musulmans et des administrations refusant d’appliquer le jugement, le gouvernement avait fait appel de la décision, craignant de perdre l’électorat majoritaire du pays (1). La question est donc pour le moment toujours suspendue, et plusieurs responsables politiques et religieux en ont profité pour rétablir l’interdiction des « mots réservés à l’islam » dans leur juridiction (2).

Le ministre-président de l’Etat de Penang, Lim Guan Eng, a déclaré qu’il prendrait « toutes les mesures nécessaires pour empêcher cet acte épouvantable qui met en danger l’harmonie nationale ». Egalement secrétaire du Parti d’Action démocratique (PAD), dans l’opposition, Lim Guan Eng avait déjà pris clairement parti dans la polémique sur l’utilisation du mot « Allah » en demandant au gouvernement dans son message de Noël, de reconnaître ce droit à tous.

« Jamais nous ne menacerions de brûler ou profaner aucun livre sacré d’aucune religion que ce soit », s’est indigné Mgr Ng, soulignant que les chrétiens « qui prêchent la paix et l’amour, souhaitent seulement oeuvrer au bien du pays, dans la bonne entente avec les autres religions ».

Les différentes obédiences chrétiennes ont elles aussi condamné unanimement la menace d’autodafé ainsi que la déclaration du chef du Perkasa qui l’avait précédée. Le 23 janvier, le président du National Evangelical Christian Fellowship (NECF), le Rév. Eu Hong Seng, a notamment appelé les chrétiens à répondre avec modération et dignité à une « initiative désastreuse et insensée ».

La classe politique, soucieuse de maintenir le calme avant les élections, s’est également manifestée, à commencer par Anwar Ibrahim, leader du PKR (3), principal parti d’opposition, qui a condamné vigoureusement un « acte extrême qui doit être rejeté par tous les Malaisiens, y compris les musulmans ». Le 23 janvier, Lim Chee Wee, président du barreau de Malaisie, a demandé à ce que des poursuites judiciaires, notamment pour « sédition », soit entamées contre le chef du Perkasa tandis que le procureur général Tan Sri Abdul Gani Patail ouvrait un dossier d’instruction contre lui pour « incitation à la haine religieuse ».

Du côté musulman, les critiques ont également fusé. Sisters in Islam et Islamic Renaissance Front, dans une déclaration publiée le 22 janvier avec Aliran, une ONG locale, ont fustigé à leur tour le leader de Perkasa. « Brûler un livre saint va à l’encontre de tous les enseignements des religions révélées, dont l’islam (…) ; cet appel abominable est d’autant plus abject qu’il a été lancé à des fins électoralistes par l’UMNO-BN, qui tente de manipuler les musulmans malais », dénoncent les signataires dans leur texte commun. « De plus, cet acte fournira un précédent qui permettra de futurs autodafés de livres saints comme celui de la communauté sikh qui utilise également le mot « Allah ». Nous ne voulons pas être complices de cet acte ignoble et irresponsable », concluaient-ils.

« Pris sous le feu des critiques » le chef du Perkasa a nié toute implication dans le projet d’autodafé, rapporte le Malaysian Insider du 24 janvier. Selon le leader extrémiste, sa déclaration n’était qu’un « avertissement » destiné à « prévenir toute violence contre les chrétiens » que ces derniers risquaient de subir en diffusant des bibles « contenant des termes réservés aux seuls musulmans ».

A quelques mois des élections générales prévues pour juin et qui s’annoncent comme les plus disputées de l’histoire du pays, la question religieuse occupe déjà une place déterminante. La coalition au pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1957 cherche aujourd’hui à inverser la tendance imprimée lors des précédentes élections de 2008, au cours desquelles pour la première fois elle a perdu la majorité des deux tiers qu’elle détenait au Parlement. Le soutien de l’électorat malais, et donc musulman, est plus que nécessaire à l’UMNO s’il veut conserver sa majorité, alors que, selon les derniers sondages, le parti a perdu bon nombre de ses partisans malaisiens d’origine chinoise, qui constituent 25 % de la population.