Eglises d'Asie

Visite historique du patriarche suprême de l’Eglise apostolique arménienne à Rangoun

Publié le 14/10/2014




Le 23 novembre prochain, l’Eglise catholique clôturera, avec la solennité du Christ-Roi, l’année de jubilé qu’elle a organisée pour marquer le 500ème anniversaire de la première présence catholique en Birmanie. C’était en 1510 et l’anniversaire aurait donc dû être célébré en 2010, mais les circonstances politiques – le pays était alors toujours dirigé par une junte militaire – …

… ne l’ont pas permis. Aujourd’hui, le régime en place s’est en très grande partie métamorphosé et les libertés fondamentales sont nettement mieux respectées.

Si les catholiques comptent environ 750 000 fidèles et les différentes Eglises protestantes trois ou quatre fois plus, la visite que vient d’effectuer, début octobre, le Catholicos Karékine II, patriarche suprême de l’Eglise apostolique arménienne, témoigne de ce climat nouveau. Elle est aussi l’occasion d’un coup de projecteur sur les chrétiens arméniens de Birmanie, une communauté de chrétiens orthodoxes aujourd’hui extrêmement réduite en nombre mais qui a compté, hier, d’éminents représentants.

L’article ci-dessous est paru le 1er octobre 2014 sur The Irrawaddy, un des sites de références pour l’information en ligne sur la Birmanie. La traduction est de la Rédaction d’Eglises d’Asie.

 

Sur le trottoir dehors, des pigeons volètent. Quelques fidèles appuyés contre le mur grignotent des grains de maïs. Pour l’essentiel cependant, cette église de l’époque coloniale avec un petit clocher blanc reste calme et quasi déserte pendant les jours de semaine, nichée dans un quartier arboré du centre de Rangoun. C’est seulement une fois par semaine, le dimanche à 10 heures, que la cloche tinte puissamment pour annoncer le début du service, éveillant le vieux bâtiment de briques à la vie.

Bienvenue à l’église arménienne apostolique Saint-Jean-Baptiste, le lieu de culte chrétien (orthodoxe) le plus ancien de la ville.

Construite en 1862 et consacrée un an plus tard, l’église, sise à l’angle de Merchant Street et de Bo Aung Kyaw Street, fut érigée par la communauté arménienne qui habitait Rangoun à cette époque. Les premiers Arméniens étaient venus d’Iran au XVIIe siècle, où ils s’étaient installés après avoir fui l’Empire ottoman. De là, ils suivirent les routes commerciales jusqu’en Birmanie à travers les Indes britanniques. En 1881, un recensement par l’administration coloniale indique que 466 Arméniens vivaient dans le pays. Une décennie plus tard, ce nombre se montait à 1 295.

Aujourd’hui pourtant, l’église au coin des deux rues animées rassemble difficilement une communauté qui compte un nombre limité de fidèles. Parmi eux, peu descendent directement de ceux qui ont bâti cette église il y a un peu plus d’un siècle et demi. En effet, le dernier descendant direct des Arméniens de Rangoun est décédé l’année dernière.

Lors du service dominical auquel nous avons assisté, l’assemblée ne comptait que dix-huit personnes, et la plupart des quatorze bancs que compte l’édifice religieux sont restés vides.

« Mon père et moi sommes les seuls pratiquants réguliers à l’église », explique Rachel Minus, qui précise que sa famille possède des origines arméniennes. Son père, Richard Minus, 60 ans, se dit attristé par la faible fréquentation hebdomadaire. « Plus la communauté est importante, mieux c’est pour notre église », dit-il.

Quand il était enfant, l’église était remplie de croyants arméniens qui venaient écouter les prêtres et, après les prières le soir de Noël, se retrouvaient au Strand, l’hôtel mythique de Rangoun, pour célébrer tous ensemble les fêtes de la Nativité.

Le responsable actuel de la communauté, le P. John Felix, confirme que le nombre de ses fidèles est faible, mais ajoute que l’église joue toujours un rôle important. « C’est la seule église arménienne de Birmanie encore en fonction », précise-t-il, ajoutant que lui et les croyants se préparent activement à accueillir un visiteur de marque qui pourrait aider à rétablir des liens avec la communauté à laquelle appartiennent les Arméniens de Birmanie.

Mardi 30 septembre, le Catholicos Karékine II (Garéguine II), patriarche suprême de l’Eglise apostolique arménienne – l’une des communautés chrétiennes les plus anciennes au monde –, arrive en Birmanie pour une visite historique. « L’un des principaux objectifs du séjour de six jours de sa Sainteté est d’aider à renforcer l’Eglise arménienne et à maintenir l’héritage arménien en Birmanie, afin que les Arméniens eux-mêmes connaissent mieux ce pays, et vice versa », a déclaré un porte-parole de la délégation dans un communiqué.

D’après l’historien birman Thant Myint-U, les Arméniens ont été pendant un temps un élément très important du paysage politique et économique du pays. « Des Arméniens célèbres ont servi comme ministres sous les rois Konbaung et ont été d’importants marchands jusque dans les années 1950 », explique-t-il. Cependant, la plupart des Arméniens ont fui le pays lors de la deuxième guerre mondiale, et très nombreux sont ceux qui ne sont pas revenus ensuite. Ceux qui étaient restés partirent pour de bon en 1962 lorsque le régime militaire conduit par le général et dictateur Ne Win prit le pouvoir, chassa les étrangers et confisqua leurs entreprises. Mais, malgré les pressions des autorités, certains restèrent. Le grand-père de Rachel, Alfred Simon Minus, était l’un d’eux.

« Je n’ai aucune idée du nombre de personnes qui vivent à Rangoun ou dans le pays tout entier et qui ont une ascendance arménienne », dit-elle, ajoutant qu’elle espère que la visite de Karekin II permettra de réunir les descendants des Arméniens. « Je pense qu’ils viendront rendre hommage au patriarche. S’ils le font, au moins nous saurons combien d’Arméniens vivent encore ici. »

Pendant la visite du patriarche, une cérémonie se tiendra à l’église arménienne pour l’installation d’une plaque commémorative faisant partie d’un projet plus large du Yangon Heritage Trust (YHT) visant à mettre en exergue l’architecture coloniale. Malgré son âge avancé et en dépit du fait qu’elle figure au nombre des édifices coloniaux les mieux conservés de la ville, l’église n’a jamais été officiellement classée au nombre des monuments historiques.

Depuis le mois d’août dernier, le YHT, qui est une simple ONG dédiée à la préservation du patrimoine et n’a aucun statut officiel, fait poser des plaques à l’extérieur des sites dont l’architecture et l’histoire sont significatifs pour Rangoun, avec des descriptions en birman et en anglais pour aider les Birmans et les visiteurs étrangers à apprécier l’histoire colorée de la ville. L’église arménienne sera le troisième édifice à recevoir une plaque.

« Nous tenions à faire poser une plaque pendant la visite [du patriarche des Arméniens] », explique Thannt Myint-U, le fondateur du YHT. « Si elle est préservée, ajoute-t-il, l’église pourrait devenir non seulement une destination touristique, mais aussi un lieu de mémoire pour la contribution des Arméniens à l’histoire de la Birmanie. »

Richard Minus espère quant à lui que la visite du patriarche aidera l’église sur le long terme. « Je lui demanderai de nous envoyer un prêtre arménien », dit-il. Sa fille Rachel ajoute qu’elle n’a jamais participé à une messe avec un prêtre arménien et que celle qui sera célébrée samedi par le patriarche, sera parmi les événements les plus mémorables de sa vie. « Je suis très excitée », avoue la jeune femme de 34 ans. « Même si je suis en partie arménienne, je n’hésite jamais à révéler que je suis une descendante d’Arméniens. La visite du patriarche signifie beaucoup, non seulement pour moi, mais pour l’église et les générations futures. »

Pour visionner un diaporama photo sur l’église arménienne de Rangoun, cliquez ici.

(eda/ra)