Eglises d'Asie

Renvoi sine die du procès en appel d’Asia Bibi

Publié le 06/06/2014




L’affaire Asia Bibi, qui mobilise depuis plusieurs années les militants des droits de l’homme au Pakistan et à l’étranger, est suspendue sine die par « ordre venu d’en haut », ont annoncé hier les avocats de la défense. Mère de quatre enfants, la jeune femme chrétienne, condamnée à mort en 2010 pour blasphème (1), … 

attend depuis quatre ans de passer devant la cour d’appel de Lahore.

Ces derniers mois, les dates d’audiences qui avaient été fixées ont toutes été annulées à la dernière minute ou reportées, pour des motifs aussi divers que peu crédibles. Des atermoiements qui, selon les observateurs, sont dus au fait qu’Asia Bibi est devenue le symbole de la cause des victimes des lois anti-blasphème qui sévissent au Pakistan (2) et le porte-drapeau des nombreuses campagnes internationales qui font pression sur le gouvernement du pays, dénonçant une situation « de violation permanente des droits de l’homme ».

Le cas d’Asia Bibi est « un dossier trop sensible », confirme Me Sardar Mushtaq Gill, avocat chrétien à la tête de l’équipe chargée de défendre l’accusée, et qui tente actuellement d’avoir des explications plus précises de la Haute Cour sur le blocage du procès en appel de sa cliente. Le 27 mai dernier, la dernière audience, déjà renvoyée à de multiples reprises, avait été annulée le jour même, tandis que l’affaire Asia Bibi disparaissait inexplicablement du rôle du tribunal. « L’audience était bien inscrite sur le rôle le mardi matin, et subitement dans l’après-midi elle a disparu sans aucune explication ! », s’était étonné Me Naeem Shakir, qui reconnaît n’avoir « jamais rencontré ce cas de figure auparavant ».

Les avocats de la jeune chrétienne envisagent d’invoquer l’article 561 du Code pénal, qui confère des « pouvoirs spéciaux » à une Cour afin d’empêcher ou de corriger des abus et des injustices évidentes commises par de hauts tribunaux, et obtenir ainsi une date d’audience fixe avant l’été.

Depuis le début du pourvoi en appel d’Asia Bibi, les magistrats sont fortement soupçonnés d’être soumis à des intimidations, voire à des menaces de mort de la part des islamistes, analyse encore Me Sardar M. Gill, également responsable de l’ONG Legal Evangelical Association Development (LEAD), qui suit l’affaire Asia Bibi comme celles de nombreux autres cas de victimes de la loi sur le blasphème.

« La loi sur le blasphème est devenue un instrument de persécution, y compris de ceux qui défendent les accusés », confiait déjà Me Gill à l’agence Fides le 28 mai dernier. Rappelant que tout récemment, l’avocat musulman et militant des droits de l’homme Rashid Rehman avait été assassiné pour avoir accepté de défendre un homme accusé de blasphème, le directeur de la LEAD déplorait que « ses meurtriers soient toujours en liberté (…) et qu’un juge ait dû fuir à l’étranger après avoir condamné le meurtrier du gouverneur Salmaan Taseer ».

En effet, ces derniers mois, parallèlement aux ajournements des audiences d’appel d’Asia Bibi, de nombreuses attaques et exécutions extrajudiciaires menées par des musulmans extrémistes ont encore renforcé le climat de peur qui règne au Pakistan autour des victimes de la loi anti-blasphème et de ceux qui les défendent.

Dimanche 11 mai, la police de Multan arrêtait cinq terroristes présumés qui prévoyaient d’attaquer des détenus accusés de blasphème à la prison centrale, parmi lesquels se trouvaient justement Asia Bibi et Junaid Hafeez, dont l’avocat, Me Rashid Rehman, venait d’être assassiné cinq jours plus tôt. « Nous sommes préoccupés parce qu’en raison de la paralysie de la justice, de nombreuses victimes innocentes, comme Asia Bibi ou Sawan Masih, languissent en prison, uniquement à cause de leur foi (…) ; et entretemps, les extrémistes qui ont incendié des maisons et des églises chrétiennes demeurent impunis », ajoute-t-il.

Régulièrement menacé de mort lui-même, l’avocat a cependant réaffirmé qu’il « continuerait à se battre pour que la justice soit respectée dans le pays » et que « tous les citoyens du Pakistan puissent jouir des mêmes droits et être traités de la même manière devant la loi ».

Au début du mois dernier, l’organisation Pakistan Christian Congress (PCC) a lancé une nouvelle campagne internationale pour la libération d’Asia Bibi, et l’abrogation de la loi anti-blasphème. Des pétitions ont été déposées devant le Congrès des Etats-Unis, l’Union européenne, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU et des ONG telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch, leur demandant de « faire pression sur le gouvernement pakistanais » pour que la « justice puisse recouvrer ses droits dans le pays ».

(eda/msb)