Eglises d'Asie

Les meurtres et les attaques au nom de la loi anti-blasphème se multiplient

Publié le 12/05/2014




Dimanche 11 mai, un coup de filet sans précédent de la police, assistée des services secrets pakistanais, a permis de déjouer une tentative d’assassinat de prisonniers, actuellement en attente de leur jugement pour blasphème dans la prison centrale de Multan, au Pendjab. 

Hier, la police de Multan a arrêté cinq terroristes présumés qui prévoyaient d’attaquer des détenus accusés de blasphème à la prison centrale, parmi lesquels Asia Bibi, incarcérée dans l’unité des femmes, et Junaid Hafeez, dont l’avocat, Me Rashid Rehman, venait d’être assassiné cinq jours plus tôt.

Le commissaire Muhammad Amin a déclaré que, sur les cinq hommes interpellés, après un bref échange de coups de feu, quatre avaient été identifiés comme étant des membres du groupe Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP).

Lors de l’arrestation, la police a également saisi 30 détonateurs, cinq grenades et dix boîtes d’explosifs. Mais l’élément le plus inquiétant a été sans conteste la découverte de plans très précis de la prison centrale de Multan, avec le déroulé détaillé d’une attaque prévue sur celle-ci, ainsi que sur différentes installations militaires stratégiques situés dans le sud du Pendjab.

Un responsable de la police, parlant sous le sceau du secret, a révélé à The Express Tribune que, parmi ces plans, figuraient ceux des accès aux cellules de Junaid Hafeez , un professeur accusé de blasphème par des étudiants islamistes, et d’Asia Bibi, chrétienne emprisonnée depuis 2009, avec tous les détails concernant la surveillance des détenus. La prison centrale de Multan a été immédiatement avertie par la police et son administration chercherait à l’heure actuelle comment ces informations ont pu être transmises.

Le même jour, la police recevait un appel anonyme, l’avertissant qu’une bombe allait être déclenchée à distance au Palais de Justice de Multan. Après évacuation des bâtiments et la mise à l’abri des 1 122 personnes qui s’y trouvaient, les forces d’intervention spéciales, la police et les pompiers ont fouillé pendant trois heures chaque pièce du Palais de Justice avant de lever l’alerte à la bombe. Selon les forces de l’ordre, un suspect devrait être arrêté dans les heures qui viennent.

Cependant, la mise à jour d’une attaque terroriste, bien qu’elle ait été déjouée à temps, n’a fait que renforcer le climat de peur qui règne actuellement au Pakistan autour des victimes de la loi anti-blasphème  (1) et de ceux qui les défendent.

Toujours à Multan, mercredi dernier 7 mai, aux alentours de 20h30, a été assassiné Me Rashid Rehman Khan, un avocat musulman renommé, qui luttait pour l’abolition de la loi anti-blasphème dont le nombre de victimes ne cesse de grandir dans le pays.

Me Rehman a été abattu alors qu’il travaillait avec l’un de ses collaborateurs et son client dans un studio, près de Kutchery Square. Deux hommes armés ont soudain fait irruption dans la pièce et ont ouvert le feu sur les trois occupants, tuant Me Rehman et blessant gravement les deux autres. Selon les premiers éléments de l’enquête, les assaillants ont tiré au moins douze balles sur leurs victimes avant de s’enfuir.

Les trois blessés ont été immédiatement transférés au Nishtar Hospital, où la mort de Me Rashid Rehman a été constatée par les médecins. Les deux autres victimes sont toujours dans un état critique.

Me Rehman était l’avocat de Junaid Hafeez, maître de conférences à l’Université Bahauddin Zakariya, accusé par des étudiants extrémistes d’avoir, il y a un an, tenu des « propos offensants envers le prophète Mahomet », un crime puni de mort selon les lois anti-blasphème.

Rashid Rehman, également coordinateur à Multan de la Commission indépendante des droits de l’homme du Pakistan (HRCP), avait décidé d’assurer lui-même la défense de Junaid Hafeez, aucun avocat n’ayant voulu s’y risquer depuis que l’accusation avait été lancée il y a un an, par crainte des islamistes. Me Rehman avait signalé à plusieurs reprises aux autorités avoir été menacé de mort, et avait demandé une protection, en vain. La HRCP avait de son côté écrit au gouvernement du Pendjab que Me Rehmad avait réchappé à cinq attaques depuis le mois dernier et avait été « menacé devant témoins dans la cour de la prison de Multan par trois personnes dont l’avocat Zulfiqar Sindhu ».

L’avocat a été assassiné  alors que le Pakistan Christian Congress (PCC) venait tout juste de lancer une campagne internationale pour la libération d’Asia Bibi, mère de famille chrétienne condamnée à mort en 2010 au titre de la loi anti-blasphème et devenue depuis le symbole de la cause de toutes les victimes de la « Black Law ».

Asia Bibi devrait passer devant la Cour d’appel de Lahore le 27 mai prochain ; cette nouvelle date d’audience a été annoncée il y a quelques jours, après des mois d’ajournements successifs.

Depuis que la Pakistan Muslim League-Nawaz (PML-N) a pris le pouvoir au Pakistan, explique la coordinatrice de la campagne pour le PCC, « les juges sont victimes d’importantes pressions de la part des islamistes qui demandent à ce que le blasphème soit puni uniquement par la peine capitale, et non plus par la réclusion à perpétuité ».

L’ONG a entrepris de déposer des pétitions devant le Congrès des Etats-Unis, l’Union européenne, le Conseil de l’ONU pour les droits de l’homme et des ONG telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch afin que la communauté internationale « fasse pression sur le gouvernement pakistanais » pour la libération d’Asia Bibi et l’abrogation de la loi anti-blasphème.

L’annonce de l’assassinat de Rashid Rehman a cependant provoqué, avant même le lancement de la campagne de sensibilisation du PCC, une vague d’indignation qui a gagné l’ensemble du Pakistan avant de faire réagir la communauté internationale.

Vendredi 9 mai, les Etats-Unis ont demandé aux autorités pakistanaises, par la voix de la porte-parole du département d’Etat Jen Psaki, que soit « diligentée immédiatement une enquête sur l’assassinat de Rashid Rehman, et que les responsables soient arrêtés et traduits en justice le plus rapidement possible ».

Au Pakistan, dès le lendemain du meurtre, de nombreuses ONG de défense des droits de l’homme, mais aussi des organisations de la société civile, ont manifesté dans les principales villes du pays contre la loi anti-blasphème.

A Faisalabad, au Pendjab, des centaines de personnes se sont rassemblées à la mémoire du « martyr Rashid Rehma » le jeudi 8 mai devant le Club de la presse, à l’appel de la Society for Human Awareness, Development & Empowerment (SHADE), ainsi que de la Commission des droits de l’homme au Pakistan et de l’Association of Women for Awareness and Motivation (Awam).

Le gouvernement doit amender d’urgence la loi sur le blasphème devenue une « arme de mort » à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme, des musulmans modérés, des membres des minorités religieuses et de « milliers de personnes innocentes », ont scandé les manifestants où se mêlaient journalistes, avocats, étudiants et personnes issues de milieux divers, portant des brassards noirs en signe de deuil et brandissant des pancartes demandant « la fin du terrorisme » et « l’abolition de la Black Law ».

Me Sardar Mushtaq Gill, directeur de l’ONG LEAD et avocat chrétien soutenant la cause d’Asia Bibi, est menacé lui aussi régulièrement de mort par les islamistes. « Nous ne savons pas où et quand nous serons tués en raison de notre travail pour les droits de l’homme, a-t-il déclaré à l’annonce du l’assassinat de Me Rehman, mais ces meurtres et ces menaces ne nous décourageront pas , et ne nous arrêteront pas ».

(eda/msb)