Eglises d'Asie – Pakistan
Pendjab : des chrétiens chassés de leur village par les musulmans suite à un mariage interreligieux
Publié le 17/11/2014
Toutes les familles chrétiennes d’un village du district de Sahiwal ont été contraintes à abandonner leurs maisons, sous la menace des musulmans qui reprochait à l’un d’entre eux d’avoir épousé une jeune fille de leur communauté.
« Ils se sont mariés en octobre dernier, rapporte Abid Masih, un ami du couple, au Press Trust of India du 13 novembre. [Dès qu’ils ont appris la nouvelle], les musulmans du village nous ont ordonné de « rendre la fille » ou de devoir en subir les conséquences. »
Les nouveaux mariés n’habitent pourtant pas le village d’où la jeune femme, Rukhsana Kausar, âgée d’une vingtaine d’années, est originaire, mais se sont installés dans un autre district, celui de Khanewal où vivait déjà le jeune chrétien Shahab Masih. Les deux futurs époux s’étaient rencontrés et fréquentés dans le village de Sahiwal, où Shahab venait régulièrement voir ses parents.
Mais à la nouvelle du mariage entre les deux jeunes gens, c’est à la famille de Shahab et aux autres foyers chrétiens du village, que les musulmans de Sahiwal s’en sont pris, exigeant le retour immédiat de la jeune fille, selon la loi islamique qui interdit à une femme musulmane d’épouser un homme d’une autre religion (1).
« Nous leur avons dit que Shahab vivait maintenant à Khanewal avec sa femme, et que ce serait mieux d’aller en discuter avec lui sur place, mais en vain », explique encore Abid. Le père de la jeune musulmane, Jamil Hussain, a alors porté plainte pour enlèvement auprès de la police de Shahkot, accusant Shahab et deux autres membres de sa famille, tandis que l’ensemble de la communauté musulmane menaçait de tuer les parents de Shahab et tous les chrétiens du village.
Craignant pour leur vie, et n’ayant reçu aucune aide de la police qu’elles avaient pourtant sollicitée, les neuf familles chrétiennes résidant à Sahiwal, soit 25 personnes, ont finalement dû fuir, en abandonnant leurs maisons et leurs commerces.
« Nous n’avons encore arrêté personne, étant donné l’aspect sensible de cette affaire, nous ne ferons rien avant une enquête approfondie », s’est défendu prudemment l’inspecteur Muhammad Riaz, de la police de Shahkot.
C’est la troisième fois en quelques semaines que des familles chrétiennes au Pendjab sont contraintes par les musulmans à quitter leur village. Les cas précédents se sont produits dans les districts de Sargodha et de Narowal.
Aslam Sahotra, leader chrétien et président du Human Liberation Front Pakistan, a vigoureusement condamné l’incident et a demandé au ministre-président du Pendjab, Shahbaz Sharif, d’assurer le retour des familles, aujourd’hui sans abri et sans ressources, dans leur village, avec une protection policière.
D’autres militants des droits de l’homme se sont également manifestés pour dénoncer cette nouvelle affaire qui, affirment-ils, démontre une fois de plus « l’impunité accordée aux membres de la communauté musulmane » et « l’absence totale de protection des chrétiens ».
Cet incident survient en effet alors que le pays est encore sous le choc de l’assassinat des jeunes chrétiens Shahzad Masih et son épouse Shama Bibi, brûlés vifs le 4 novembre dernier par plusieurs centaines de musulmans les accusant faussement d’avoir profané le Coran. De par sa barbarie extrême, ce drame a rencontré un écho médiatique inhabituel dans le pays, suscitant même – fait rare – le soutien du Jamaat-i-Islami, le plus grand parti religieux du Pakistan. Son leader, Sirajul Haq, a rencontré le 10 novembre dernier les parents des victimes pour leur offrir ses condoléances et a sévèrement pressé le gouvernement de « prendre des mesures sévères contre les auteurs de cet horrible crime ».
Depuis le meurtre du 4 novembre, les manifestations se succèdent dans les principales villes du pays, demandant à ce que « les autorités fasse un exemple de cette tragédie pour qu’elle ne se reproduise plus jamais ».
A Faisalabad, au Pendjab, un millier de militants des droits de l’homme, leaders religieux de tous bords, chrétiens, musulmans, religieux et étudiants, se sont rassemblés pour une veillée aux flambeaux en mémoire du couple assassiné, jeudi 13 novembre, devant les bâtiments du gouvernement local.
Cette marche à travers la ville, organisée par la National Minorities Alliance of Pakistan (NMAP), la Joshwa Welfare Organisation (JWO) et la Muslim Masihi Ittehad (MMI), s’est achevée par une prière interreligieuse commune en hommage à Shama et Shahzad.
Le « massacre de chrétiens au nom de la religion sous couvert de lois sur le blasphème est l’équivalent d’un génocide des minorités », a lancé Lala Robin Daniel, président de la NMAP, à l’issue de la manifestation. Le leader des droits des minorités a appelé le gouvernement à prendre des « mesures immédiates » contre les abus de la loi anti-blasphème (2), et à prévoir des « sanctions sévères » pour ceux qui l’utilisent pour se venger ou régler des différends personnels. Une déclaration à laquelle souscrit le Rév. Suhail Kanwal. « L’utilisation abusive des lois sur le blasphème revient à commettre un acte de blasphème et méritent des peines similaires », a-t-il dénoncé à son tour, enjoignant les autorités d’ouvrir une commission spéciale chargée d’enquêter sur les cas de blasphème « encore en attente devant les tribunaux », comme celui, très médiatisé, d’Asia Bibi.
Enfin, le leader musulman Younas Abar a rappelé l’importance de réformer rapidement le droit du travail, en particulier dans les usines et les briqueteries où les ouvriers, issus essentiellement des minorités, sont victimes de graves abus et de harcèlement.
Toujours au Pendjab, mais à Lahore, des milliers de manifestants (étudiants, militants de l’Human Friend Organisation (HFO) et de la Stefanus Alliance International (SAI)), se sont réunis samedi 15 novembre, devant le club de la presse. Scandant « Nous voulons la justice ! » et « Arrêtez le massacre des minorités », ils ont également été nombreux à réclamer « la peine de mort pour les meurtriers de Shahzad et Shama ».
Lors de cette manifestation qui a été suivie d’une veillée aux flambeaux en mémoire du couple de chrétiens assassinés, une effigie du propriétaire de la briqueterie, Yousaf Gujjar, a également été brûlée pour dénoncer « l’impunité des coupables ».
Ce lundi 17 novembre ont commencé les auditions des principaux suspects dans le meurtre collectif des deux chrétiens. Parmi la cinquantaine de personnes arrêtées depuis le drame, quatre personnes, dont le propriétaire de la briqueterie, viennent d’être écrouées après avoir été entendues par le tribunal anti-terrorisme. « Le juge les a remis en prison jusqu’au prochain interrogatoire prévu le 19 novembre », rapporte aujourd’hui le Centre for Legal Aid, Assistance and Settlement (CLAAS).
(eda/msb)