Eglises d'Asie – Sri Lanka
L’Eglise catholique s’inquiète de la proximité de l’élection présidentielle avec la visite du pape François dans le pays
Publié le 27/11/2014
… les évêques craignent des violences pré- et post-électorales.
Les évêques redoutent notamment une utilisation de la visite papale à des fins électoralistes. L’actualité de ces derniers jours leur donne raison sur ce point : sont en effet apparues dans plusieurs villes du pays, y compris à Colombo sur le portail d’églises catholiques, des affiches électorales montrant le pape François accueillant le président Rajapaksa lors de sa récente visite au Vatican. Des organisations de la société civile ont demandé le retrait immédiat de ces affiches et les évêques ont fait de même. Mgr Raymond Wickramasinghe, président de la Commission nationale pour les Communications sociales au sein de la Conférence épiscopale, a déclaré ce 23 novembre : « Nous demandons instamment au gouvernement et à tous les partis politiques de s’abstenir d’utiliser la venue du pape dans leurs campagnes politiques. » Les catholiques représentent quelque 7 à 8 % des 20 millions de Sri Lankais et le président sortant, Mahinda Rajapaksa, qui brigue la faveur des électeurs pour un troisième mandat, ne néglige aucun électeur potentiel. Sorti affaibli des élections provinciales de septembre dernier, son éventuelle réélection est loin d’être acquise.
Elu une première fois en 2005, réélu en 2010, M. Rajapaksa a modifié la Constitution afin de pouvoir se présenter une troisième fois devant les électeurs, la Loi fondamentale limitant auparavant à deux mandats consécutifs l’exercice de la présidence. Dirigeant le pays d’une main de fer, le président a convoqué cette nouvelle élection présidentielle en resserrant au maximum les délais autorisés par la loi électorale et il a fixé la date du scrutin au jeudi 8 janvier 2015, date auspicieuse selon ses astrologues.
Pour les responsables de l’Eglise locale, le choix d’une telle date pose problème. La visite papale était en effet programmée depuis de nombreux mois et, alors que la rumeur enflait d’un possible scrutin présidentiel anticipé, les évêques avaient pris la précaution de faire valoir auprès de la présidence que l’usage en cours au Vatican voulait que le pape ne se rende pas en visite dans un pays un mois avant et un mois après une élection majeure.
En privé, plusieurs évêques ne cachent pas leur inquiétude. La seconde session annuelle de la Conférence épiscopale doit se tenir à Colombo du 1er au 3 décembre prochain et le sujet sera abordé à cette occasion. A Eglises d’Asie, ces évêques confient qu’ils reprochent au président Rajapaksa de ne pas avoir tenu parole : aux responsables de l’Eglise, le président avait en effet assuré que la visite du pape François ne se déroulerait pas dans un contexte électoral. Ces évêques confient que le plus sage aurait été que le Saint-Siège réagisse immédiatement, au lendemain ou au surlendemain du 20 novembre, jour où a été rendue publique la date du 8 janvier pour le scrutin présidentiel, et annonce l’annulation ou le report de la visite papale.
D’autres évêques font valoir que, quoi qu’elle fasse, l’Eglise se trouve face à un dilemme : soit elle demande le report de la visite du pape, mais elle apparaît alors comme partisane, pariant sur la défaite du président sortant et anticipant le pire en matière de stabilité sociale. Soit elle ne demande pas le report de la visite, mais elle apparaît alors comme entérinant les manœuvres du président, lequel, en dépit de sa promesse, n’hésite pas à jouer du prestige que représente la visite du pape (les deux dernières remontent à 1970 avec Paul VI et 1995 avec Jean-Paul II). Rajapaksa a en effet considérablement isolé son pays sur la scène internationale, n’étant soutenu que par la Chine populaire et le Japon mais se heurtant aux pays occidentaux et à l’ONU qui lui demandent des comptes pour les crimes de guerre commis par son armée dans la dernière phase du conflit armé avec le LTTE, en 2009.
Selon un éditorialiste du Sunday Times, si le président Rajapaksa peut être tenté d’instrumentaliser la visite du pape pour montrer à son peuple et à la communauté internationale qu’il n’est pas isolé et qu’il compte encore au rang des leaders fréquentables, il lui incombe aussi d’assurer que la visite du pape se passe sans difficulté ni violence. « Si le gouvernement attache vraiment de l’importance à la venue du pape, il devra se contenir. Si la situation part en vrille durant la campagne ou au lendemain du scrutin, le pape pourrait avoir à annuler sa visite – ce qui constituerait à n’en pas douter un sérieux revers pour le gouvernement, la communauté catholique et le pays tout entier. Par conséquent, la perspective de la visite papale à Sri Lanka ainsi que la nécessité de faire en sorte que le pape ne soit pas contraint d’annuler sa venue à la dernière minute peuvent amener le gouvernement à faire en sorte que les standards minimaux de non-violence ainsi que le déroulement juste et libre des opérations électorales soient respectés », écrivait cet éditorialiste dès le 4 octobre dernier.
Entre le 21 novembre et aujourd’hui, cinq incidents violents avec usage d’armes à feu ou d’armes tranchantes ont été recensés, mettant aux prises des partisans du président sortant et des partisans du principal candidat de l’opposition, Maithripala Sirisena. Six personnes au moins ont été blessées, dont une grièvement par un tir en pleine tête, rapporte le groupe de défense des valeurs démocratiques, CaFFE (Campaign for Free and Fair Elections).
(eda/ra)