Eglises d'Asie

Le mouvement de désobéissance civile à Hongkong – commentaires et perspectives

Publié le 16/10/2014




Il est bien difficile de présenter une appréciation claire du mouvement d’occupation et de désobéissance civile, car ce qui se passe actuellement est bien plus profond que de « simples » revendications pour un véritable suffrage universel, et a dépassé complètement les frontières du projet initial d’Occupy Central. …

Si les journalistes étrangers trouvent que tout cela est très bon enfant et manque un peu d’action (en comparaison de ce qu’ils ont l’habitude de voir ailleurs), il faut réaliser que, pour Hongkong, c’est du jamais vu, et que cela dure. On en est au 19ème jour d’occupation, précédée par une semaine de grève partielle des cours par les étudiants, ce qui veut dire que, pour ces derniers, cela fait bientôt quatre semaines qu’ils sont sur le pont, et on ne voit pas bien comment cela va s’arrêter. Plusieurs fois, lorsque le mouvement semblait s’essoufler, un événement est venu jeter de l’huile sur le feu, telle le passage à tabac par sept policiers d’un manifestant lors des violences de la nuit du 14 au 15 octobre.

Par mes réseaux sociaux au sein des jeunes professionnels (relations datant d’il y a 5-10 ans, du temps où j’étais aumônier de jeunes, ce qui veut dire que ces jeunes ont aujourd’hui entre 25 et 35 ans), je vois un mouvement très profond de résistance certes pacifique mais archarnée contre le gouvernement. Ces jeunes adultes n’hésitent pas à descendre dans la rue derrière les étudiants dès que la police se livre à une démonstration de force… ou pour leur apporter soutien moral et matériel (un site Internet www.today.code4.hk fait le point régulier sur les besoins matériels et la situation en temps réel).

Les plus jeunes hésitent à résister à leurs parents, en participant aux manifestations sans ou contre leur accord. Un des enfants chœur de ma paroisse, qui vient d’entrer à l’université, a bravé secrètement l’interdiction de toute sa famille, en allant soutenir les manifestants (avec beaucoup de sérieux, il a fait son discernement à la lumière de sa foi, éclairé par la prière et la méditation de l’Evangile de ces derniers dimanches).

Sur le terrain, on remarque l’implication des Eglises (l’un des trois organisateurs du mouvement Occupy Central est le Rév. Chu Yu-ming, 70 ans, pasteur baptiste). Sur le plan catholique, le diocèse, ces derniers mois, a plusieurs fois publié des déclarations officielles : pour inviter au dialogue, au respect des opinions, pour expliquer dans quel cadre l’Eglise justifie la désobéissance civile ou pour encourager les jeunes à rentrer chez eux face à l’escalade de la violence. Le cardinal Zen, la Commission ‘Justice et Paix’, la Commission de la Jeunesse, l’aumônerie des étudiants sont très présents sur le terrain. Un petit coin prière a été monté dans la « zone d’occupation » : les étudiants y prient le chapelet, animent un temps prière du type Taizé tous les soirs, une messe y est célébrée le dimanche. Un chemin de croix a plusieurs fois été organisé au milieu des manifestants. Hier soir, un coin prière a été installé à la sauvette au milieu de la manifestation devant le quartier général de la police : pendant que la population manifestait son outrage face aux violences policières de la veille, quelques dizaines de jeunes chrétiens priaient ouvertement pour la justice et la paix, tout en invitant les manifestants à signer une pétition pour dénoncer les violences policières.

Le mouvement semble toutefois être dans une impasse : le gouvernement ne veut rien céder, et les jeunes ne veulent pas abandonner sans avoir obtenu gain de cause, au moins partiellement. Pourtant, au delà du système électoral, les étudiants ont déjà obtenu beaucoup de résultats :

1- Mis à part quelques rares débordements, ils ont réussi à préserver le caractère pacifique d’un mouvement que les médias étrangers ont vite appelé « révolution des parapluies » (seule « arme » utilisée par les manifestants pour se protéger des gaz au poivre). Beaucoup réfutent le terme de « révolution » car il n’y a aucune volonté de « faire la révolution », seulement de la détermination à forcer le gouvernement à respecter les attentes démocratiques de la population. Ce mouvement est très citoyen (les manifestants nettoyent derrière eux, s’entraident, facilitent la circulation des personnes pour ne pas créer trop de gêne, tout en maintenant leur blocage…), et très bon enfant. Beaucoup retournent en cours ou au travail dans la journée, un coin « études » est organisé sur le terrain pour permettre aux étudiants de continuer de faire leurs devoirs… et certains commentaient avec humour : « On étudie mieux ici, car il n’y a pas de jeux vidéos pour nous tenter ! »
2- Ils ont éveillé la conscience politique de la jeune génération. L’exemple emblématique, en couverture du Time de cette semaine, est Joshua Wong, 17 ans, meneur charismatique de la résistance des lycéens, qui avait déjà fait parlé de lui il y a deux ans – il n’avait que 15 ans – quand il avait mené avec succès les manifestations pour faire retirer les cours d’« éducation nationale » prévus par le gouvernement.
3- Ils ont aussi réveillé la population de Hongkong, qui s’est fortement mobilisée, polarisée et divisée autour de cet engagement. Tout le monde en parle (même ceux qui n’étaient pas motivés par la politique). Beaucoup ont perdu des amis, ont rayé (ou ont été rayés de) certains contacts de leur compte Facebook, les membres d’une même famille se montent les uns contre les autres sur ce sujet, un membre de notre conseil paroissial a démissionné, ne pouvant plus entendre les commentaires pro-manifestants d’autres membres du conseil… On apprend à ne pas en parler, comme on sait le faire en France (« on ne parle pas politique à table! »), ce qui est très nouveau pour Hongkong, société traditionnellement centrée sur l’argent, où la politique ne pénètre pas la vie quotidienne.
4- Ils ont révélé à la population (et au monde) l’étendue du contrôle de Pékin sur Hongkong, autant du côté de la soumission du gouvernement local, qui n’ose pas prendre de décisions et qui semble n’écouter que Pékin, que du côté de l’infiltration de la population : il est apparu clairement que Pékin pouvait mobiliser des foules pour manifester son soutien à la politique du gouvernement, influencer l’opinion publique, voire même soudoyer des agitateurs pour menacer les étudiants qui manifestent…

Il s’est produit une réelle fracture entre les moins de 40 ans, presque tous pro-démocratie et en faveur des manifestations, et les générations plus âgées, qui sont beaucoup plus divisées quant à l’engagement à prendre. Le gouvernement (aussi bien à Hongkong qu’à Pékin), peu habitué à tenir compte de l’opinion publique (les gouvernants, non élus au suffrage démocratique, n’ont pas besoin de se justifier vis-à-vis de l’opinion publique, et donc d’en tenir compte), a très mal géré la crise, prenant des mesures ou faisant des déclarations qui jettent de l’huile sur le feu, refusant tout dialogue avec les manifestants tant que ceux-ci n’abandonneront pas leur mouvement… Les dirigeants ici ne savent pas utiliser les ficelles de la politique, pour promettre, faire des compromis… afin de calmer le jeu, quitte à ne pas en tenir compte plus tard !

Ce qui est clair, c’est qu’ils ont durablement perdu le cœur de la jeunesse (qui surnomme C.Y. Leung, le chef du gouvernement local, du sobriquet de « 689 », correspondant au nombre de voix qui l’ont élu en 2012 – 689 sur un collège de 1 200 grands électeurs). Il va être bien difficile pour le gouvernement de regagner la confiance de toute cette génération, ce qui va se ressentir au moins au cours de toute la décénnie à venir. C’est finalement là que ce situe la vraie révolution qui est intervenue dans le coeur de beaucoup, en particulier des jeunes, et tout cela s’est passé en quelques jours seulement. Cela annonce un nouvel Hongkong, dont on ne voit pas encore bien les contours, mais qui va donner des maux de tête à Pékin !

Hongkong, le 16 octobre 2014