Eglises d'Asie – Chine
POUR APPROFONDIR – Hongkong après la Révolution [Partie II]
Publié le 31/10/2014
et d’observer 87 secondes de silence en souvenir des 87 salves de gaz lacrymogène tirées par les policiers le 28 septembre ?
C’est ce que tente d’analyser Willy Lam (1), dont le texte ci-dessous a été mis en ligne en langue anglaise le 23 octobre dernier sur le site de la Jamestown Foundation, think-tank basé aux Etats-Unis.
La traduction de ce texte, dont la première partie a été publiée mardi 28 octobre, est de la rédaction d’Eglises d’Asie.
Hongkong après la Révolution – [Deuxième partie]
La « révolution des parapluies » représente un cas unique en son genre, car elle a su faire résonner une corde sensible chez les intellectuels de Chine continentale. Depuis sa prise de pouvoir lors du XVIIIème Congrès du Parti communiste chinois en novembre 2012, Xi Jinping ne cesse de mettre en avant le fait que le peuple chinois doit avoir « pleine confiance dans la voie, les concepts et les institutions du socialisme ‘à la chinoise’». La Chine, met encore en garde le président, ne devra jamais tomber dans les « chemins tortueux et déviants » des idéologies politiques et des institutions occidentales (Quotidien du Peuple, 21 février 2014).
Mais aujourd’hui, le gouvernement de Xi Jinping doit faire face au fait que les étudiants de Hongkong ont non seulement contesté ses prises de position politiques, mais ont réussi à rallier à eux bon nombre d’intellectuels et de militants de la société civile en Chine. En réalité, la « révolution des parapluies » a créé une sorte d’unité entre les différents militants de Chine continentale et ceux de Hongkong. Depuis les années 1980, les députés pro-démocrates et les groupes de la société civile à Hongkong ont apporté un soutien moral, voire financier, aux dissidents de Chine occidentale, qu’il s’agisse de Liu Xiaobo ou de Hu Jia, ou encore des Mères de Tiananmen.
Dès que le mouvement Occupy Central a été lancé dans les derniers jours de septembre, Pékin a imposé la censure des médias concernant les nouvelles en provenance de Hongkong. Les reportages de CNN et de la BBC sur les événements ont vu leur diffusion bloquée en Chine. Et pourtant, les censeurs n’ont pas réussi à empêcher des foules d’intellectuels reconnus d’apporter publiquement leur soutien à Occupy Central (Associated Press, 30 sept 2014 ; Inmediahk.net [Hongkong], 30 sept. 2014).
Le département de la Sécurité d’Etat en Chine continentale a fait emprisonner une centaine de dissidents qui avaient ouvertement déclaré leur soutien au mouvement pro-démocratie de Hongkong, certains ayant eu la tête rasée pour avoir seulement organisé des groupes de discussion dans un cadre privé. Ainsi le célèbre poète Wang Zang et sept autres intellectuels ont été arrêtés par la police de Pékin alors qu’ils s’apprêtaient à commencer une soirée de lecture poétique en soutien des manifestations à Hongkong. Wang Zang et plusieurs autres protestataires devraient être prochainement inculpés de l’habituelle et néanmoins très vague accusation de « troubles à l’ordre public », qui conduit généralement à trois ans de prison.
Le nombre des intellectuels qui ont été harcelés ou arrêtés a dépassé celui de ceux qui avaient été emprisonnés pour avoir participé à l’éphémère « Révolution du jasmin » dans plusieurs villes de Chine en 2011, ce qui semble indiquer que Pékin considère la situation à Hongkong comme une menace politique beaucoup plus sérieuse (Apple Daily [Hongkong ] 13 octobre 2014, ABC News, 8 octobre 2014).
Jusqu’à présent, Pékin avait évité d’utiliser la manière forte, comme le recours à l’armée, à l’encontre des militants de Hongkong. Cependant, plusieurs dirigeants et médias d’Etat ont prétendu que les manifestations étaient une tentative de renverser non seulement le gouvernement de Hongkong mais aussi celui de Pékin. Le Vice-Premier ministre et membre du Bureau politique Wang Yang a déclaré que « les pays occidentaux tentaient de fabriquer de toutes pièces une ‘révolution de couleur’ (1) en apportant leur aide aux opposants de Hongkong » (Wen Wei Po [Hongkong] 14 oct. 2014 ; Ta Kung Pao, 14 oct. 2014). Un commentateur du Quotidien du Peuple a assuré quant à lui que le « véritable but » des protestataires était de « remettre en cause les plus hautes autorités de Chine », mais que cette tentative « était vouée à l’échec ».
Le porte-parole du Parti communiste a accusé le gouvernement des Etats-Unis et les ONG américaines de soutenir ouvertement les manifestants. « Les Etats-Unis prétendent promouvoir ‘les valeurs universelles de la démocratie, de la liberté et des droits de l’homme’ », a-t-il écrit dans le Quotidien du Peuple, « mais en réalité les Etats Unis défendent seulement leur propre intérêts stratégiques et cherchent à détruire de l’intérieur les gouvernements qu’ils considèrent comme’ insubordonnés’ ». Un article publié dans l’édition outremer du Quotidien du Peuple qualifie par ailleurs le mouvement de manifestation à Hongkong de « dongluan » (‘agitation politique‘), le terme même qui avait été utilisé par Deng Xiaoping et le Premier ministre de l’époque Li Peng, pour définir le mouvement étudiant dont la résistance s’était achevée par le massacre de Tiananmen en 1989 (Quotidien du Peuple, 11 oct .2014 ; Global Times, 4 oct 2014).
Pékin reste maître du jeu
Selon Deng Yuwen, commentateur politique chinois et ancien rédacteur en chef du Study Times, journal de l’Ecole centrale du Parti (NDT), le président Xi Jinping et les hauts dirigeants ont décidé de ne faire aucune concession aux manifestants. « Il est possible qu’après la conférence de l’APEC [Coopération économique pour l’Asie-Pacifique, NDT] en novembre prochain, Pékin mette en place des actions plus drastiques à l’encontre d’Occupy Central, déclare-t-il. Et même si cela ne consiste pas en un déploiement des forces de l’Armée populaire de libération qui sont en garnison à Hongkong, Pékin pourrait resserrer son emprise sur la politique de la RAS (Région administrative spéciale) afin d’éradiquer toute possibilité de développement d’une ‘révolution de couleur’ » (15 octobre 2014).
L’une des méthodes que Pékin pourrait utiliser pour réduire la marge de manœuvre des militants serait de couper les fonds dont disposent les députés pro-démocratie et les organisateurs d’Occupy Central. Un bon angle d’attaque pourrait être le magnat des finances et dissident Jimmy Lai, qui dirige le journal populaire et pro-démocrate Apple Daily. Un peu plus tôt cette année, les ordinateurs personnels de Jimmy Lai ont été piratés par des hackers de Chine continentale, lesquels ont divulgué presque immédiatement à la presse des documents démontrant que l’homme d’affaires avait fait don de 5,2 millions de dollars (soit un peu plus de 4 millions d’euros) à des politiciens pro-démocrates ainsi qu’au mouvement Occupy Central (Asiasentinel.com, 29 août 2014 ; South China Morning Post, 28 août 2014).
Une arme plus puissante encore serait sans aucun doute celle de « la carte économique », en référence au fait que l’économie de Hongkong ne saurait survivre sans le soutien du continent. En septembre dernier, Pékin a convoqué plusieurs dizaines d’hommes d’affaires influents de Hongkong à la capitale afin de les convaincre de dénoncer le mouvement Occupy Central. Le message de l’administration Xi Jinping était que l’ensemble de la RAS subirait de graves pertes économiques si elle ne soutenait pas la politique du gouvernement central.
Le contrôle de l’économie de Hongkong par les autorités de Pékin a été clairement démontré par la soudaine décision du pouvoir central en février dernier d’annuler la tenue à Hongkong de la Conférence des ministres des finances de l’APEC. Pourtant, il avait bien été confirmé aux autorités de la RAS un peu plus tôt cette année-là que cette rencontre prestigieuse se ferait à Hongkong afin de mettre en valeur son statut de grand centre financier de l’Asie. L’événement se tiendra finalement à Pékin (Wall Street Journal, 2 septembre 2014 ; Global Times, 5 mars 2014). Bien que cette menace de jouer la « carte économique » ait été brandie avant la tenue des manifestations, cette mesure a bien été prise alors que les projets d’Occupy Central avaient été rendus publics plusieurs mois auparavant.
Encore plus significatif : deux des projets économiques les plus importants de Hongkong dépendent entièrement de la bénédiction de Pékin. L’un d’entre eux concerne le développement du rôle de la RAS en tant que marché financier offshore du renminbi (2). L’autre a pour objet le « Shanghai-Hong Kong Stock Connect » ou beishuinandiao (littéralement « transfert des ressources du Nord au Sud »), en référence à la mesure – effective à la fin du mois (3) – qui autorisera les citoyens chinois à investir sur la Bourse de Hongkong (South China Morning Post, 18 février 2014 ; China Economic Review, 20 octobre 2014). Le succès de ces deux initiatives dépend dans une très large mesure du bon vouloir des dirigeants du Parti communiste chinois.
Le nouvel avenir de Hongkong
A long terme, Pékin devrait prendre des mesures encore plus draconiennes pour empêcher les « valeurs bourgeoises capitalistes » d’infiltrer le continent. A la mi-octobre, le département de la Propagande du Parti communiste chinois a ordonné aux librairies du pays de retirer les publications d’un très grand nombre d’auteurs réputés de Taiwan et de Hongkong. Cette liste d’ouvrages censurés comprend l’historien sino-américain Yu Ying-shih, l’écrivain taïwanais et artiste Giddens Ko et le journaliste écrivain hongkongais Leung Man-To. Les maisons d’édition de Chine continentale ont également reçu l’ordre de ne pas mettre en vente bon nombre de livres écrits par des intellectuels du continent, dont l’économiste Mao Yushi, le spécialiste de politique Chen Ziming, le romancier Ye Fu (Zheng Guoping), ou encore les professeurs de droit Zhang Qianfan et He Weifang. Le département de la Propagande et le ministère de l’Education ont également donné des instructions aux universités afin qu’elles empêchent les étudiants chinois d’imiter leurs homologues de Hongkong (Ming Pao, 14 octobre 2014 ; Radio Free Asia,12 octobre 2014).
Depuis les années 1900 où Sun Yat-sen – leader de la révolution du 10 octobre 1911 (4) qui a mené à la chute de la dynastie des Qing (1644-1911) – avait trouvé refuge à Hongkong, la ville la plus cosmopolite et ouverte de la Chine n’a cessé d’être une source d’inspiration et un « générateur d’idées nouvelles » pour le continent. Alors que le patriarche Deng Xiaoping insistait pour que le territoire revienne à la Chine en 1997, il exprimait également le souhait que « plusieurs Hongkong » soient créés le long des riches régions littorales de la Chine afin d’accélérer la modernisation de l’ensemble du pays (CNKI.net [Pékin] , 2 sept 2013 ; Chinavalue.net ,7 juillet 2007).
Mais la crainte du président Xi Jinping que la RAS ne devienne un « foyer de subversion » dirigé contre la Mère patrie socialiste pourrait bien signer la fin du rôle, attribué jusqu’à présent, à la Perle de l’Orient, de catalyseur des changements économiques et politiques pour cette nation de plus d’un milliard de personnes.
(ead/msb)