Eglises d'Asie

Le Vénérable Wirathu, moine bouddhiste et nationaliste

Publié le 03/04/2013




Agé de 45 ans, le Vénérable Wirathu est moine bouddhiste à Masoeyein, monastère parmi les plus influents de Mandalay. Il s’est notamment fait connaître à travers la campagne « 969 », d’inspiration nationaliste et à qui il est fait le reproche de favoriser la diffusion de sentiments hostiles aux musulmans et à l’islam au sein de la majorité bouddhiste de la population. Lors des troubles en Arakan, l’an dernier, il avait pris la tête des moines …

… réclamant la déportation des Rohingyas hors de Birmanie ; en octobre, il avait organisé les manifestations visant à empêcher l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) d’ouvrir un bureau de représentation à Rangoun. En 2003, sous le régime de la junte militaire, il avait été arrêté et condamné à vingt-cinq ans de prison pour incitation à la haine entre les communautés religieuses et avait recouvré la liberté en janvier 2012.

Après les violences meurtrières qui ont pris pour cible les musulmans à Meikhtila, les 20, 21 et 22 mars dernier, le Vénérable Wirathu a accepté d’être interviewé par The Irrawaddy, publication en ligne d’informations sur la Birmanie (1). Il rejette toute responsabilité dans ces récentes émeutes, affirmant que sa campagne de boycott des commerces tenus par des musulmans n’y a joué aucun rôle, et déclare que les musulmans sont, pour une part au moins, responsables des violences intercommunautaires de Meikhtila.

Diffusée le 2 avril 2013 par The Irrawaddy, l’interview du Vénérable Wirathu est ici traduite en français par Eglises d’Asie.

The Irrawaddy : Selon les chiffres du gouvernement, le bilan du conflit à Meikhtila est de 42 morts. Vous vous êtes rendu sur place pour empêcher les émeutiers d’agir. Comment expliquez-vous que le bilan humain soit cependant si lourd ?

Vénérable Wirathu : C’est au second jour des émeutes que le bilan a été le plus lourd et la plupart des victimes ont été des musulmans qui étaient coincés dans une mosquée, principalement des étudiants musulmans d’une madrasa ainsi que des civils. Des responsables du village les avaient cachés là afin de les protéger. Mais, alors qu’il était 4 heures du matin et que les policiers s’étaient retirés, ces musulmans cachés se sont mis à s’agiter et à crier des slogans. Les gens de la ville ont donc découvert qu’il y avait là des musulmans et ils les ont cernés.

A gauche du groupe il y avait une mosquée ; à droite il y avait les restes de constructions détruites par le feu et devant il y avait une esplanade vide. Ils n’avaient donc nulle part où trouver à se cacher ou fuir. C’est alors qu’un des musulmans a fait usage d’un lance-pierre en visant un moine bouddhiste. Cela a mis en colère la foule qui s’était amassée. Ensuite, ils [les musulmans] ont lancé des sacs contenant de l’acide sur les gens qui ne faisaient que se tenir là et qui regardaient. Les musulmans étaient toujours retranchés mais ils continuaient à lancer des projectiles.

J’étais sur les lieux durant la nuit du 20 mars. [Le leader de Génération étudiante 88] Min Ko Naing et [le moine dissident] Shwe Nya Wah Sayadaw étaient là eux aussi. Ensuite, une vingtaine de musulmans sont sortis et se sont mis à se battre avec la foule bouddhiste réunie à l’extérieur. C’est là que des gens sont morts, dix ou onze environ. Les forces de sécurité ont sauvé le reste de ceux qui se cachaient.

C’est à cet endroit qu’il y a eu le plus de morts en un lieu précis à Meikhtila. D’autres personnes sont mortes, prises dans des incendies, mais jamais autant d’un coup. Les autres incidents meurtriers n’ont entraîné la mort que d’une ou deux personnes à la fois.

Le rapporteur spécial des Nations Unies pour la Birmanie, Vijay Nambiar, et les médias internationaux ont affirmé que les émeutes à Meikhtila étaient le résultat d’une violence planifiée à l’avance. Que pensez-vous de ces accusations ?

Le premier et le deuxième jour, la violence n’était pas systématique. A la vérité, le premier jour, les personnes habitant les quartiers kalar [terme péjoratif désignant les musulmans] étaient celles qui, systématiquement, [attaquaient]. Ils avaient des couteaux, des bâtons et d’autres armes et ils s’en prenaient aux Birmans. Lorsque la foule a appris qu’un moine avait été tué, les gens se sont rendus dans les quartiers kalar, tout en étant désarmés. Seulement un Birman sur dix avait un bâton en main en sortant des maisons détruites, à l’exclusion de toute autre arme. Lorsqu’il y a eu des heurts, les musulmans avaient des couteaux et beaucoup ont été blessés. Deux sont mort et seize ont été blessés. Les blessures ont été infligées par des couteaux. C’est pourquoi les attaques planifiées sont venus des quartiers musulmans. Jusqu’au deuxième jour, rien n’était prévu ou planifié.

Ces jours-ci, les médias internationaux font état d’« extrémistes bouddhistes » menant une campagne « 969 ». Pouvez-nous dire en quoi consiste cette campagne, votre campagne ?

Certainement. Le premier 9 correspond aux neufs attributs spéciaux du Bouddha, le 6 aux six attributs spéciaux du Dharma, les enseignements du bouddhisme, et le dernier 9 aux neuf attributs spéciaux de la Sangha [la communauté des moines]. Ces attributs spéciaux sont les trois joyaux du Bouddha. Autrefois, le Bouddha, la Sangha et le Dharma ainsi que la roue du Dharma étaient les signes distinctifs du bouddhisme. Il en va ainsi pour le 969. C’est un autre signe distinctif du bouddhisme.

Aujourd’hui, les gens trouvent à redire à ce symbole, au 969, et affirment que ce symbole est lié aux atrocités parce qu’ils ne trouvent pas les vrais responsables. [Mais] aucun tract portant le 969 n’a été trouvé ou n’a été distribué à Meikhtila. Lorsque je suis allé là-bas et y ai prêché, j’ai distribué vingt-cinq autocollants qui disaient « Sauvegardez notre avenir ». On a voulu faire de la campagne 969 un coupable, mais en vérité elle n’y est pour rien et représente seulement les attributs spéciaux du Bouddha.

Des habitations, des boutiques et des mosquées ont été détruites dans la Division de Pegu et le 969 a été peint sur des voitures vandalisées et des bâtiments appartenant à des musulmans à Gyobingauk. Que dites-vous du fait que votre symbole a été peint en ces lieux ?

Je ne connais personne à Pegu. Je ne peux donc rien dire. Il n’y a pas eu de problèmes dans les endroits et les lieux où j’ai monté et organisé ma campagne et celle-ci est menée dans le respect des principes qui sont les miens. Des gens m’ont rapporté bien des histoires, telles que ces cas de batailles entre des Birmans et des musulmans ou bien encore le viol de très jeunes filles. La plupart des victimes de viol sont des écolières ou des collégiennes. Il y a d’autres histoires à propos d’attaques physiques et d’insultes au bouddhisme – et, pour vous dire la vérité, il y a même le cas d’une attaque verbale contre des moines. D’autres affaires sont liées à des mosquées illégales, des mosquées et des cimetières musulmans bâtis sans permis de construire. J’ai entendu plus de 50 histoires comme cela et j’ai donné des conseils dans plus d’une centaine d’autres. Je dis toujours de régler les problèmes selon ce que dit le droit et on vient me voir pour prendre conseil, y compris des moines plus âgés. Il n’y a pas de problème aussi longtemps que je gère ces affaires dans le cadre imparti par la loi. Dans notre communauté, les vrais [promoteurs] du 969 ne recourent pas à la violence.

Le ministère des Affaires religieuses à Naypyidaw affirme que 969 n’est pas officiellement reconnu comme étant un symbole bouddhique. Qu’en pensez-vous ?

Nous le partageons de la manière dont nous le pouvons. Nous ne l’enregistrons pas pour le distribuer légalement. Par exemple, certains le préparent, d’autres le donnent et le distribuent. Nous ne l’enregistrons pas comme étant la marque déposée de notre mouvement.

Dans votre sermon « Ne prenez pas le nationalisme à la légère », vous dites que Min Ko Naing et Aung San Suu Kyi ne peuvent pas faire grand-chose [pour les bouddhistes birmans] et que la Ligue nationale pour la démocratie n’est pas un vrai paon qui attaque [l’emblème de la LND est un paon en posture d’attaque], mais qu’elle est un paon d’attaque au service des musulmans. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire ?

J’ai soutenu Aung San Suu Kyi durant des années mais elle ne s’est pas montrée fiable lorsque des troubles ont éclaté en Arakan. Je pense que c’est à cause de son entourage. Je remarque aussi que presque tous les bureaux que la LND entretient dans les villes et les villages sont tenus par des musulmans. A cause d’eux, les Birmans qui s’y présentent sont renvoyés. Dans certaines villes, là où les bureaux de la LND sont loués à des propriétaires musulmans, les membres de la LND ne font pas offrande de nourriture aux moines le jour du général Aung San [la Journée des martyrs de Birmanie] parce que les propriétaires des lieux l’interdisent.

C’est pourquoi j’ai dit que l’emblème de la LND, le paon qui attaque, est devenu un emblème pour les musulmans. Je m’appuie beaucoup plus sur le groupe [de la Génération étudiante 88] de Min Ko Naing comme deuxième plus importante force de l’opposition et je nourris beaucoup d’espoir en eux pour l’avenir. Même si, en ce qui concerne les émeutes dans l’Etat de l’Arakan, ils n’ont pas été très sûrs et ne se sont pas mis du côté de l’opinion publique. Après avoir aidé des réfugiés en Arakan, ils ont tenu une conférence de presse. Ils n’ont pas publié de communiqué pour dire que les Rohingyas [musulmans] n’étaient pas une minorité nationale reconnue [en Birmanie] et ils auraient dû condamner le meurtre d’Arakanais [bouddhistes] par des Bengalis [musulmans]. C’est ainsi qu’un personnage qui est supposé défendre la justice et combattre l’injustice, Min Ko Naing, ne s’est pas dressé pour la justice dans le cas de l’Arakan. C’est ce que j’ai dit dans mon prêche.

Dans vos prêches, vous dites que les gens ne doivent pas soutenir les boutiques des musulmans qui affichent le signe « 786 » (un chiffre utilisé par les musulmans du sous-continent indien pour faire référence au verset qui ouvre chaque sourate du Coran). Cet appel génère-t-il de discrimination, de la méfiance ou de la haine entre les communautés ?

Bien, il faut dire que ce n’est pas un usage birman mais un usage musulman, répandu qui plus est. Allez en ville et voyez combien de musulmans fréquentent les échoppes birmanes. S’ils soutiennent ainsi leurs propres boutiques, pourquoi, nous les bouddhistes [birmans], ne pourrions-nous pas faire de même ? Si nous soutenons nos boutiques birmanes, nous n’aurons aucun problème et cela ne peut pas faire de mal. Regardez ce qui s’est passé à Meikhtila : si les gens n’allaient que dans les boutiques qui font commerce de l’or qui appartiennent à des Birmans, il n’y aurait pas eu de problème [Les troubles à Meikhtila auraient commencé par une altercation entre un boutiquier musulman, marchand d’or, et un client musulman.] Ce type de comportement d’achat n’équivaut pas à une discrimination. Il peut au contraire protéger les intérêts de notre peuple.

Le conflit et la peur se répandent au sein des communautés. Comment peut-on y mettre fin ?

Après ma libération de prison, j’ai toujours dit aux communautés musulmanes que nous devions tous travailler ensemble à régler les problèmes. Les communautés musulmanes doivent former leurs propres groupes et les communautés birmanes doivent former les leurs elles aussi. Ces deux communautés doivent agir pour leur propre peuple quand il y a des problèmes.

Le président Thein Sein a récemment déclaré que son gouvernement prendrait les actions nécessaires contre ceux qui exploitent les nobles enseignements des religions et tentent de semer la haine entre les personnes de croyances différentes pour parvenir à leurs propres fins. Qu’en pensez-vous ?

Bien sûr, le gouvernement a raison d’agir ainsi. Mais il serait plus efficace encore d’agir contre ceux qui sont derrière ces émeutes, plutôt que de s’en prendre à ceux qui sont dans la rue. Par exemple de s’en prendre aux imams. Ils endoctrinent les enfants avec des discours de haine contre le bouddhisme. Leurs enfants regardent les moines bouddhistes comme s’ils étaient leurs ennemis. Ils considèrent les Birmans de la même façon. C’est cela la réalité. C’est pourquoi les autorités devraient essayer de s’en prendre à ces instigateurs.