Eglises d'Asie

Xinjiang : les autorités s’en prennent aux familles des dissidents

Publié le 28/11/2014




Dans la Région autonome ouïghoure du Xinjiang, la répression s’accroît et vise de plus en plus les familles des dissidents condamnés, en leur infligeant des sanctions financières qui les privent de tout moyen d’existence.Lorsque le tribunal de Nanle, dans la province du Henan, a émis le mois dernier un avis d’expulsion à l’encontre de la famille du pasteur Zhang Shaojie, emprisonné depuis un an, … 

…  il a été signifié aux proches de celui-ci – son père âgé de 80 ans, sa mère de 78 ans, sa femme handicapée, sa plus jeune fille et son gendre –, qu’ils n’avaient que trois jours pour quitter leur maison, rapporte ce 28 novembre, l’agence Ucanews.

Le 4 juillet dernier, le Rév. Zhang, dirigeant d’une Eglise protestante pourtant reconnue par l’Etat (1), était condamné à 12 ans de prison pour « troubles à l’ordre public », la sentence la plus sévère émise à l’encontre d’un chrétien en Chine depuis des décennies – ainsi qu’à verser une amende de 700 000 yuans (92 000 euros).

Afin de régler l’amende, le tribunal a ordonné de saisir les biens du pasteur et de vendre la maison et la voiture de la famille. Le 14 novembre, les fonctionnaires de Nanle se sont présentés au domicile du Rév. Zhang afin de faire exécuter l’ordre d’expulsion de la famille du pasteur, maisils ont dû y renoncer face à la détermination de la mère de celui-ci, Mei Xian, qui a menacé de s’immoler par le feu, « un briquet dans une main, un bidon d’essence dans l’autre ».

Des cas comme celui de la famille du pasteur Zhang se multiplient actuellement en Chine, tout particulièrement dans la région troublée du Xinjiang. Ainsi celui de l’universitaire ouïghour Ilham Tohti, 45 ans, qui a été condamné en septembre dernier par un tribunal d’Urumqi, à la prison à vie pour « activités séparatistes ».

Là aussi, à cette sentence d’une sévérité exceptionnelle, et dénoncée par la communauté internationale comme «incompréhensible, inique et ignominieuse », le gouvernement a décidé d’ajouter la saisie de tous ses biens. Dès son arrestation en janvier 2015, les autorités gelaient ses comptes bancaires, avant de saisir 850 000 yuans (111 000 euros), peu avant sa présentation devant la Cour d’appel la semaine dernière, laquelle, sans surprise, a confirmé le verdict de la prison à perpétuité.

« Cet argent, c’était toutes nos économies, à mon mari et à moi, que nous avions prélevées sur nos salaires depuis plus de vingt ans, se lamente sa femme, Tohti Guzelnur. Il avait été économisé pour l’éducation de nos trois enfants, et ne provenait ni de dons de personnes ni de soutiens d’associations. »

Me Liu Xiaoyuan, avocat du célèbre économiste ouïghour, a souligné que le cas de la famille d’Ilham Tohti était particulièrement déconcertant, de telles sanctions n’étant généralement appliquées en Chine qu’envers des personnes condamnées pour de graves crimes économiques. « Je ne comprends pas sur quelle base juridique tout l’argent de cette famille a pu être confisqué », s’indigne-t-il auprès de China Aid, ONG de défense des droits de l’homme, basée aux Etats-Unis.

Dans le cas du pasteur Zhang, le tribunal de Nanle a condamné le leader chrétien, non seulement pour « troubles à l’ordre public » mais également pour « fraude », se fondant sur la dénonciation d’un unique témoin, Li Cairen, qui n’a jamais comparu devant le tribunal. Le pasteur a été accusé d’avoir aidé Li Cairen à obtenir des compensations financières après la mort de son fils dans un accident industriel, avant de chercher à lui extorquer de l’argent, des faits que le Rév. Zhang a toujours niés, ainsi que sa famille et ses avocats.

Selon China Aid, qui suit l’affaire des chrétiens de Nanle depuis l’arrestation de leur pasteur et de 23 fidèles en novembre dernier, ces accusations ont été « montées de toutes pièces » par les autorités qui gardent « au secret » le témoin mystérieux. Le fait est fréquent « lorsque les autorités désirent réduire des dissidents au silence sans pour autant avoir à justifier de faits établis », rapporte l’ONG .

Cependant, s’il « est habituel que le gouvernement utilise de fausses accusations pour faire tomber des personnes considérées comme des menaces pour l’Etat », analyse Maya Wang de l’ONG Human Rights Watch, « les peines de prison sont bien moins sévères que celles prononcées à l’encontre du Rév. Zhan et d’Ilham Tohti, et elles sont rarement accompagnées de pareilles sanctions financières ».

En juillet dernier, un autre intellectuel ouïghour, le linguiste Abduweli Ayup, a été condamné à 18 mois de prison et à payer une amende de 10 000 euros pour « collecte de fonds illégale ». Une accusation qui a été lancée contre lui suite à l’organisation par son groupe de vente de miel et de t-shirts afin de faire construire une école en langue ouïghoure au Xinjiang.

Afin de l’aider à payer cette amende, les amis d’Ayup ont lancé une collecte de fonds sur le site YouCaring.com, espérant rassembler au moins 4 000 euros avant l’échéance de janvier, alors que le linguiste a déjà passé un an en prison dans l’attente de son procès.

La répression qui sévit actuellement dans le Xinjiang touche tous les aspects de la culture ouïghoure, dont la langue qui se retrouve évincée par le mandarin, rendu obligatoire par Pékin dans toutes les écoles de la région. La condamnation d’Abduweli Ayup est, selon les organisations de défense des droits des Ouïghours, un « avertissement » du gouvernement chinois destiné à tous ceux qui s’opposent à la sinisation du Xinjiang.

Zhao Guojun, un avocat du site China Lawyer’s Observation, confirme cependant que, selon la loi chinoise, les biens immobiliers et mobiliers d’un condamné ne peuvent être confisqués que si les membres de sa famille sont considérés comme capables de subvenir à leurs besoins. Ce qui n’est certes pas le cas des proches d’Ilham Tohti ni de ceux du pasteur Zhang.

« De toute évidence, dans des situations politisées comme celles-ci, les amendes infligées sont davantage destinées à punir [les dissidents] à travers leurs familles », poursuit Me Zhao Guojun. « Les autorités – et même les policiers – l’affirment : il n’y a pas de place pour le droit dans les affaires politiques. »

(eda/msb)