Eglises d'Asie

Le pouvoir en place compte l’« infiltration religieuse en provenance de l’étranger » au nombre des quatre plus « sérieux défis » qui se posent à lui

Publié le 08/05/2014




Pékin ne s’en cache pas. Le 6 mai dernier, un département de l’Académie chinoise des sciences sociales a publié un « Livre bleu » où sont détaillés les « défis les plus sérieux » qui se posent au pays, défis qui représentent …

… autant de « menaces » pour « la sécurité nationale » du pays. Au nombre des quatre principales menaces figurent « les infiltrations religieuses en provenance de l’étranger ».

Le Livre bleu est coédité par l’Académie des Sciences sociales, souvent décrite comme le think tank le plus influent du gouvernement chinois, et l’Université des relations internationales, installée à Pékin et placée sous la supervision directe du ministère de la Sécurité d’Etat. Autant dire que sa publication reflète des voix très autorisées au sein des plus hautes sphères de l’administration. Selon Wu Li, directeur adjoint de l’Institut d’études sur la Chine contemporaine, instance rattachée à l’Académie des sciences sociales, le Livre bleu « arrive à point nommé » dans la mesure où il pourra se révéler utile au très récemment institué Conseil de sécurité nationale. Annoncé en novembre dernier, ce Conseil de sécurité nationale, créé sur le modèle du National Security Council américain, s’est réuni pour la première fois le mois dernier.

Les auteurs du livre distinguent quatre principaux « défis » menaçant la sécurité de la Chine : l’exportation par les nations occidentales des idéaux démocratiques, l’hégémonie culturelle occidentale, la dissémination de l’information via Internet et les infiltrations religieuses. « Des forces occidentales hostiles infiltrent les religions en Chine en utilisant des voies toujours plus variées et d’une manière toujours plus grande. Cela se fait en mettant en œuvre des moyens toujours plus subtils, que ce soit de manière ouverte ou secrète. Ces forces sont de nature fortement séditieuse et agissent par nature en sous-main », peut-on lire dans ce rapport. « Des infiltrations religieuses en provenance de l’étranger ont pénétré dans tous les domaines de la société chinoise », y est-il encore écrit.

Si le thème de l’influence néfaste venue de l’étranger par le biais de la religion ne constitue pas une nouveauté dans l’univers mental des dirigeants chinois, la publication de ce Livre bleu intervient dans un contexte particulier, caractérisé par un raidissement très net du pouvoir en place.

Alors que l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping en mars 2013 avait soulevé quelques espoirs du côté des cercles réformateurs chinois, force est de constater que ces espoirs ont été très rapidement déçus. Le New York Times a révélé en août dernier qu’au mois d’avril 2013, une circulaire interne au Parti communiste, le « Document n° 9 », avait été émise. Celle-ci établissait un état des lieux sur « la situation dans la sphère idéologique » et appelait à un resserrement du contrôle sur les voix les plus critiques dans la société civile. Plus précisément, à l’heure où la circulation de l’information sur Internet est de plus en plus difficile et délicate à verrouiller complètement, les autorités demandaient au Parti de tout mettre en œuvre pour que rien ni personne, dans une société civile de plus en plus active, ne puisse venir faire dérailler le « rêve chinois » mis en avant par le nouveau président Xi.

A l’évidence, les religions font partie des éléments de la société civile à surveiller de très près. Que ce soit au Tibet, où la multiplication des immolations par le feu de Tibétains bouddhistes rend compte du désespoir de cette communauté face à la colonisation humaine et culturelle chinoise, ou que ce soit au Xinjiang, où le surgissement d’actions terroristes de la part de Ouïghours témoigne, là aussi, de l’impasse dans laquelle se trouve acculée cette communauté identifiée à la fois par son appartenance ethnique et religieuse, les autorités chinoises se méfient du pouvoir mobilisateur des religions auprès de peuples auxquels les autres dimensions de leur existence sont niées.

Dans le cas du christianisme, Ying Fuk-tsang, directeur du Centre d’études des religions et de la société chinoise à l’Université chinoise de Hongkong, explique à l’agence Ucanewsque l’attitude des dirigeants chinois est ambivalente. A court terme, ils reconnaissent que la foi chrétienne et ses œuvres peuvent contribuer au développement d’une « société harmonieuse » ; mais, à long terme et sur le fond, ils s’en méfient et associent le christianisme à un outil occidental visant, par le biais d’« évolutions pacifiques », à saper les bases du pouvoir du Parti communiste.

Selon ce chercheur, il ne faut pas chercher plus loin les raisons qui, ces dernières semaines, ont présidé à la destruction de plusieurs lieux de culte protestants et catholiques dans la région de Wenzhou, au Zhejiang. De même, l’annonce conjointe, le 5 mai dernier, par le ministère des Affaires civiles et par l’Administration d’Etat des Affaires religieuses de l’interdiction des « conversions forcées » d’enfants au sein des orphelinats ressort de cette même méfiance envers les religions. Les autorités savent qu’un grand nombre d’orphelinats sont gérés, animés ou soutenus par des chrétiens qui, souvent, sont en lien avec l’étranger ; or, et si elles apprécient les fonds et l’expertise ainsi apportés, elles craignent l’influence que ces chrétiens pourraient avoir sur la société.

(eda/ra)