Eglises d'Asie

Malgré les attaques des islamistes, le mouvement mystique Bâul fait de plus en plus d’adeptes

Publié le 11/12/2014




Le Bâul, mouvement spirituel ascétique et humaniste, gagne en puissance au Bangladesh, malgré les attaques des islamistes qui le considèrent comme une hérésie et persécutent ses membres.Né au Bengale au début du XVIIIe siècle, le Bâul est un mélange syncrétique de soufisme, de vishnouisme et de bouddhisme tantrique.

Sa forme actuelle a été popularisée par le poète et penseur soufi Lalon Fakir, qui a composé plus de 5 000 chants, toujours interprétés aujourd’hui. Rabindranath Tagore, dont la poésie, la pensée et les écrits ont été très influencés par le chanteur, a achevé de donner au Bâul ses lettres de noblesse au sein de la société bengalie.

Appelés également « ménestrels mystiques », les adeptes du Bâul, prônent le détachement des biens de ce monde et l’union à la divinité « présente en chacun » par la musique, en particulier le chant, lequel a été reconnu en 2005, chef-d’œuvre du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO

La plupart des Bâuls choisissent de poursuivre la tradition de leurs prédécesseurs en menant une vie d’errance, chantant et mendiant de village en village. Vêtus de robes blanches, ou d’étoffes bigarrées, ils parcourent le Bengale indien et les régions de l’ouest du Bangladesh, avec pour seuls biens leurs ektaras (1). Une version plus moderne et « urbaine » du mouvement Bâul s’est développée récemment, avec certains adeptes qui ont opté pour une vie sédentaire avec un travail et une famille, tout en intégrant l’ascétisme et la philosophie Bâul à leur mode de vie et à leur quotidien.

Tel était le choix du professeur de sociologie, assassiné le mois dernier par les islamistes pour son appartenance à ce mouvement prêchant la tolérance et s’opposant aux positions religieuses extrémistes.

Le 15 novembre, Shafiul Islam, 51 ans, a été tué à coups de machette alors qu’il revenait de l’université de Rajshahi où il enseignait. Plusieurs islamistes ont été arrêtés et inculpés pour ce meurtre, revendiqué comme une « exécution » par les membres du Jamaat-Shibir, branche étudiante du principal parti islamique du pays, le Jamaat-e-Islam.

Le meurtre de Shafiul Islam, qui avait déjà été l’objet de menaces de mort pour son opposition au port de la burqa dans son département de sociologie, semble avoir eu pour véritable origine son appartenance au Bâul. « Mon père ne se contentait pas d’adhérer au Bâul, il le vivait réellement, composant des chants et de la musique qu’il jouait lors de concerts privés, avait déclaré peu après le meurtre, le fils unique de l’universitaire. Il ne faisait pas de politique, mais prêchait l’humanisme ; c’est pourquoi des islamistes comme ceux du Jamaat-Shibir ne l’aimaient pas et l’ont tué. »

Cette violente attaque n’est pas un cas isolé. Les « fous chantants » sont régulièrement l’objet d’agressions de la part de musulmans bangladais. En août dernier, des villageois musulmans ont pris à partie un groupe de Bâuls itinérants, leur coupant les cheveux et la barbe de force et les obligeant à réciter des versets du Coran, a rapporté le Daily Star, le 8 décembre dernier.

Mais les attaques répétées, les menaces et les meurtres ne semblent pas réussir à freiner l’ascension de cette philosophie religieuse qui séduit aujourd’hui la société bangladaise par sa tolérance et son rejet du consumérisme.

Selon les leaders du mouvement, le Bâul attire sans cesse de nouveaux adeptes, en particulier au sein de la classe moyenne – et urbaine – du Bangladesh. « De plus en plus de gens sont attirés par la philosophie Bâul et son humanisme, et ce malgré les attaques et les humiliations quotidiennes », affirme ainsi Mohammad Aynuddin, 35 ans, professeur d’anglais dans un lycée d’Etat, qui se définit lui-même comme un « pratiquant enthousiaste ».

Preuve en est le succès du rassemblement de milliers de membres du mouvement à Chheuria, un village isolé de l’ouest du Bangladesh où était célébré fin octobre, le 124e anniversaire de la mort de Lalon Fakir. C’est dans ce petit village frontalier que le poète mystique avait établi un akhra (ashram Bâul), où il recevait ses disciples, entre deux pérégrinations.

Pendant cinq jours, les Bâuls ont, comme tous les ans, accueilli les nouveaux convertis qui y ont subi le rite d’initiation traditionnel. Les yeux bandés, les mains liées et le corps enveloppé dans un linceul blanc, les postulants ont fait sept fois le tour du sanctuaire, accompagnés des chants rythmés par les tambours et ektaras.

Aftab and Saleha, un couple de commerçants prospère de Dacca, se sont ainsi engagés à 70 ans dans la voie ascétique du Baûl, rapporte L’Express Tribune le 9 décembre dernier. Après avoir confié tous leurs biens, dont leur restaurant, à leurs enfants, ils ont décidé de passer le reste de leur vie à arpenter les routes du Bangladesh en mendiant et en chantant « l’Amour et la Paix pour tous ».

« A partir d’aujourd’hui, je deviens un mendiant, ont-ils chanté, je vivrai désormais de l’aumône et ne m’intéresserai plus aux affaires du monde. » Les deux nouveaux Bâuls ont achevé leur initiation par une retraite de deux jours en silence, puis ont mendié de la nourriture dans les villages alentours afin d’offrir un repas de fête à leurs co-religionnaires.

« Autrefois, il n’y avait que quelques centaines de personnes par jour qui visitaient le sanctuaire, souligne le responsable de l’akhra, Mohammad Ali Fakir. Maintenant, il peut y avoir jusqu’à 2 000 voire 5 000 personnes par jour. »

Mais depuis les dernières attaques, certains Bâuls expriment des inquiétudes concernant leur sécurité : avec un instrument de musique pour tout bagage, comment pourront-ils se défendre en cas d’agression ?

« Les attaques ne sont pas une nouveauté », rétorque le chercheur et écrivain Bâul Saymon Zakari, bien qu’il admette qu’elles soient en forte augmentation chez les « islamistes radicaux en milieu rural, qui voient les Bâuls comme une menace ».

Les faits sont là, conclut-il : « De plus en plus de personnes se convertissent au Bâul car son message est humaniste et ne fait aucune différence entre les castes et les personnes. Et c’est ce dont notre société a le plus besoin. »

(eda /msb)