Eglises d'Asie – Sri Lanka
Dans le nord du pays, les populations tamoules sont victimes d’une insécurité grandissante et d’une « bouddhisation » forcée
Publié le 17/01/2011
Malgré les promesses du président sri-lankais Mahinda Rajapaksa, le panel d’experts mandatés par l’ONU pour juger des éventuelles violations des droits de l’homme pendant la guerre civile (1) n’aura finalement pas pu enquêter sur place. Le chef de l’Etat sri-lankais s’en est tenu à ses premières déclarations où il refusait une « immixtion des puissances étrangères dans les affaires intérieures du Sri Lanka » et, à ce titre, exigeait de diligenter et de contrôler l’enquête sur les crimes de guerre par une commission spéciale, nommée par lui et intitulée : « Lessons Learnt and Reconciliation Commission » (LLRC).
Les 8 et 9 janvier derniers, une session de cette commission d’Etat (2) s’est tenue à Mannar, dans le nord du pays, une région particulièrement marquée par la guerre civile. Dans le rapport qu’il présentait au nom de son diocèse, Mgr Rayappu Joseph, évêque de Mannar, a présenté un état des lieux très sombre, dénonçant les violations persistantes des droits de l’homme, la cinghalisation forcée des populations tamoules, l’occupation militaire et un climat de peur et de violence en inquiétante augmentation.
De nombreuses sources locales ou humanitaires font état en effet d’une montée de la violence significative dans les territoires du Nord, en particulier dans la péninsule de Jaffna où se multiplient meurtres, enlèvements (essentiellement d’enfants), viols, vols et exactions diverses. « Nous prions Dieu de venir à notre secours. Nous ne savons pas quand et où les tireurs agiront la prochaine fois », témoigne auprès de l’agence Ucanews (3) Jayanthan Emmanuelpillai, du village de Chankanai, où un prêtre hindou a été récemment assassiné après que ses deux fils eurent été gravement blessés quelques semaines auparavant. Pour les célébrations de Noël et du Nouvel An, les chrétiens, par crainte des attaques, ont dû se rendre à la messe en plein jour et en groupes.
Lors de sa déposition devant la Commission d’Etat, Mgr Joseph a particulièrement dénoncé les atteintes à la liberté religieuse : « La population et les responsables religieux devraient être libres d’organiser des événements en faveur de la paix sans qu’il leur soit imposé des restrictions (…). A plusieurs reprises, l’armée a annulé des célébrations religieuses pour les civils tués ou disparus pendant la guerre. Les prêtres ont été menacés à chaque fois qu’ils ont essayé d’organiser des commémorations pour les victimes. »
Selon le prélat, ces intimidations sont en augmentation proportionnelle à la « bouddhisation » de la région, qui voit fleurir de nouveaux lieux de culte et de nombreuses statues de Bouddha édifiés par le gouvernement. Loin « d’aider à la réconciliation, cela risque de conduire à des tensions communautaristes », a ajouté l’évêque de Mannar, qui a exprimé « la peur d’une population majoritairement hindoue, chrétienne et musulmane face à une hégémonie bouddhiste grandissante ».
Mgr Joseph a également demandé au gouvernement de décréter un jour de deuil national afin de commémorer les victimes de la guerre, et de faire toute la lumière sur le nombre des morts et des disparus dans les territoires du nord du Sri Lanka. « Le système existant s’est montré incapable d’aider les familles des personnes portées disparues. Nous sommes notamment très inquiets de n’avoir aucune nouvelle des deux prêtres tamouls qui ont disparu [pendant la guerre civile] », a-t-il déclaré (4).
Revenant sur une demande régulièrement faite par les évêques catholiques, il a insisté pour qu’une liste des milliers de Tamouls qui sont toujours détenus dans les camps ou les prisons du gouvernement soit enfin mise à la disposition des familles, et que l’accès aux prisonniers soit permis « aux proches, aux religieux, aux avocats ainsi qu’aux différentes institutions ».
Pour finir, le prélat a rappelé que l’occupation militaire des territoires du nord du Sri Lanka (avec restriction de circulation et confiscation de terres) qui s’accompagne d’une cinghalisation forcée (comme en témoigne le remplacement des panneaux de signalisation écrits en tamoul par leur traduction en cinghalais) ne pouvait que raviver les blessures du passé et qu’« il était vital de ne pas répéter les mêmes erreurs ».
« Pour mener à terme une réconciliation authentique et durable, nous sommes persuadés qu’il faut s’attaquer aux racines du conflit et de la guerre, c’est-à-dire aux problèmes qui concernent les Tamouls », a-t-il conclu, invitant le gouvernement à reconnaître les mêmes droits aux Tamouls qu’aux Cinghalais en tant que citoyens sri-lankais, aussi bien dans les domaines de l’éducation que de la langue, de la culture ou encore de la possession des terres.
En réponse peut-être à ce rapport de l’évêque de Mannar, très largement repris par les médias sri-lankais d’opposition et la diaspora tamoule, le président Mahinda Rajapasa a déclaré le 14 janvier aux représentants des médias étrangers qu’il « était prêt à partager le pouvoir [avec la minorité tamoule] (…) » et avait « déjà demandé aux partis politiques tamouls de s’unir pour se constituer en interlocuteur dans la négociation » (5).