Eglises d'Asie – Sri Lanka
L’archevêque de Colombo fustige les « puissances étrangères » qui veulent dicter leur loi au Sri Lanka
Publié le 12/12/2013
Cette déclaration venait en réponse aux avertissements lancés par la communauté internationale lors du sommet du Commonwealth le mois dernier, enjoignant le gouvernement sri-lankais à se résoudre à une enquête internationale sur les crimes de guerre et les violations des droits de l’homme commis sur son territoire durant la dernière phase de la guerre civile (1).
Comme il l’avait fait l’an dernier, à la suite de la lettre ouverte de l’évêque de Mannar, Mgr Rayappu Joseph, le cardinal Ranjith, président de la Conférence des évêques catholiques du Sri Lanka (CBCSL), a fustigé « les tentatives d’immixtion étrangère » dans un domaine « relevant de la souveraineté même du Sri Lanka ».
« Les puissances étrangères n’ont pas à nous dicter ce que nous devons faire, nous ne sommes pas une bande d’imbéciles ! », s’est indigné l’archevêque de Colombo. « Nous sommes capables de trouver le moyen de régler nos problèmes : nous en avons les capacités intellectuelles et spirituelles, en nous appuyant sur notre riche héritage religieux commun, a-t-il poursuivi. C’est à nous d’apprendre à cohabiter dans la fraternité, et c’est pour cela que nous devons refuser toute immixtion étrangère (…). Ce n’est que si nous n’arrivons pas à résoudre ces problèmes, que nous demanderons alors nous-mêmes l’aide de la communauté internationale. »
Lors du sommet du Commonwealth qui s’est tenu du 15 au 17 novembre à Colombo, dans un climat de grande tension en raison du boycott de plusieurs Etats, le Premier ministre britannique David Cameron a en effet averti le Sri Lanka qu’il devrait accepter le principe d’une investigation menée par des experts de l’ONU sur les allégations de crimes de guerre à son encontre, faute de quoi il devrait encourir les sanctions du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en mars prochain (2).
Mgr Valence Mendis, secrétaire général de la CBCSL, durant la présentation aux médias de la Lettre pastorale intitulée « Vers la réconciliation et la reconstruction de la nation », a expliqué que le texte des évêques se voulait à la fois un appel au dialogue, tout en faisant des propositions concrètes au gouvernement afin d’améliorer les relations entre les parties tamoule et cinghalaise de l’île.
Passant en revue tous les aspects politiques, religieux, culturels et économiques du Sri Lanka d’aujourd’hui (3), le long mémoire de 24 pages, daté du 8 décembre, s’inspire d’une lettre pastorale parue en 1984 et ayant pour titre « Vers la reconstruction de la nation ». Soulignant que son prédécesseur, trente ans plus tôt, avait déclaré dans sa Lettre que « les interférences extérieures ne pouvaient que nuire au dialogue et à la paix dans le pays », Mgr Ranjith a ajouté que « gérer localement les problèmes du Sri Lanka était [à l’heure actuelle] la seule chose à faire (…), étant donné ce que les interventions étrangères avaient pu donner dans d’autres pays ».
Cette présentation à la presse de la Lettre pastorale des évêques a provoqué des réactions très vives, témoignant du fossé d’incompréhension qui continue de se creuser entre les catholiques tamouls et «l’Eglise cinghalaise. Le Tamil Guardian évoque ainsi le « ton incroyablement insolent et agressif » de Mgr Ranjith, « comme tous les tenants de la politique gouvernementale cinghalaise », tandis que l’archidiocèse de Colombo souligne tout au contraire « les efforts du cardinal pour réconcilier les parties en présence au Sri Lanka ».
Le débat au sujet d’une éventuelle intervention des Nations Unies fait rage au sein de l’Eglise au Sri Lanka depuis que Mgr Rayappu Joseph, évêque de Mannar, l’un des territoires les plus dévastés par la guerre civile, a lancé un appel à l’ONU en mars 2012, demandant que soit menée une enquête internationale sur les violations des droits de l’homme perpétrées dans les anciennes zones de guerre. Cette lettre ouverte lui avait valu d’être menacé d’arrestation par le parti bouddhiste nationaliste, allié du pouvoir en place, et d’être publiquement désavoué par Mgr Ranjith, affirmant que l’évêque tamoul « n’était absolument pas représentatif de l’Eglise au Sri Lanka » et que la sanction de l’ONU à l’encontre de Colombo « était une insulte à l’intelligence du peuple sri-lankais ».
Le 18 octobre dernier, Mgr Rayappu Joseph, à la tête de la Commission ‘Justice et Paix ‘ de Jaffna, s’est attiré de nouveau les foudres du gouvernement ainsi que celle de l’archidiocèse de Colombo, en signant avec 132 prêtres et religieux une lettre adressée au nonce apostolique au Sri Lanka et aux Nations Unies, dans laquelle il dénonçait « le génocide des populations tamoules ». Il récidivait le 8 novembre dernier, en appelant la communauté internationale à boycotter le sommet du Commonwealth au Sri Lanka, en raison de la « poursuite des actes génocidaires perpétrés à l’encontre du peuple tamoul ». Mgr Rayappu Joseph s’appuyait sur les rapports de la Commission ‘Justice et Paix’ du diocèse de Jaffna, ainsi que ceux d’Amnesty International, mais aussi de la Haut Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Navi Pillai, qui avait effectué une visite au Sri Lanka en août dernier et dénonçait « une intolérance religieuse croissante et une inaction manifeste des autorités à l’encontre des responsables ».
Plusieurs ONG ont signalé l’augmentation des violences envers les populations tamoules depuis la tenue du sommet du Commonwealth à Colombo. La National Christian Evangelical Alliance of Sri Lanka (NCEASL) vient notamment de publier un bilan à la hausse du nombre d’attaques commis contre les chrétiens par les bouddhistes extrémistes, avec 65 agressions pour la seule période allant de janvier à octobre 2013.
Les défenseurs des droits de l’homme sont également de plus en plus pris pour cibles et menacés de mort. Mardi 10 décembre, des centaines de Tamouls manifestant à Trincomalee pour réclamer une enquête sur les disparitions inexpliquées de leurs proches ont été violemment attaqués par des hommes cagoulés. Un jeune militant de l’organisation Internally Displaced People (IDPs), a témoigné auprès de l’agence AsiaNews être régulièrement menacé de mort pour son action en faveur de la reconnaissance des milliers de cas de personnes disparues. « Si vous voulez revoir vos enfants, démissionnez de votre travail, sinon votre corps se balancera au bout d’une corde dans la rue ». C’est la teneur du message qu’il reçoit depuis des mois par des appels anonymes, qui, dit-il, le font « vivre ainsi que sa famille dans une peur permanente ».
(eda/msb)