Eglises d'Asie

L’archidiocèse de Rangoun s’apprête à célébrer le centenaire de sa cathédrale, rénovée de fond en comble pour l’occasion

Publié le 05/12/2011




Le 29 novembre, les paroissiens de la cathédrale se sont déplacés en masse pour une messe d’action de grâce saluant la fin d’un chantier de trois ans. Le 8 décembre prochain, solennité de l’Immaculée Conception, ce sera le diocèse tout entier, et avec lui l’ensemble de l’Eglise catholique de Birmanie, qui viendra fêter cet événement, la cathédrale étant consacrée à la Vierge Marie. Pour Mgr Charles Bo, 63 ans, archevêque de Rangoun depuis 2003, cette occasion est d’importance : …

 … « La cathédrale Sainte-Marie, à Rangoun, fête ses cent ans. Elle est le symbole de l’histoire du christianisme dans ce pays. Elle a en effet survécu à bien des catastrophes, comme des tremblements de terre, des bombardements et des typhons. Dans cette nation où les pagodes (bouddhiques) se comptent par millions, cette église, au centre de la plus grande ville du pays, porte haut le message du Christ, montrant que les chrétiens abordent ce nouveau millénaire ainsi que les jours historiques que nous vivons, dans l’espérance et l’optimisme » (1).

Selon une dépêche de l’agence I-Media (2), la messe du 8 décembre revêtira un caractère particulier en raison de la présence dans l’assistance d’Aung San Suu Kyi, la figure emblématique de l’opposition aux généraux au pouvoir à Naypyidaw, et du ministre birman des Affaires religieuses. Au début de la messe, l’envoyé du pape pour le centenaire de la cathédrale, le cardinal Renato Martino, lira un message de Benoît XVI avant que le ministre des Affaires religieuses ne prenne à son tour la parole (3). Aung San Suu Kyi, de religion bouddhiste, doit assister à tout l’office religieux, tandis que le ministre birman quittera les lieux dès la fin de l’homélie, avant la liturgie eucharistique. La cérémonie sera suivie d’un déjeuner à l’archevêché de Rangoun où Mgr Charles Bo recevra le cardinal Martino, l’ensemble des évêques birmans, des prêtres et des « invités spéciaux », au nombre desquels pourrait se trouver Aung San Suu Kyi.

Tandis que les derniers ouvriers mettaient une touche finale à des travaux de rénovation entamés il y a trois ans, Margaret Jozef, paroissienne de la cathédrale de l’archidiocèse catholique de Rangoun depuis une vingtaine d’années, se réjouissait, le 29 novembre dernier, de l’achèvement de ces travaux et de voir enfin rendue à sa splendeur originelle ce qui demeure une des plus vastes églises catholiques d’Asie. Ayant contribué à cette rénovation en confectionnant les nouveaux habits des enfants de chœur, elle n’hésite pas à établir un parallèle entre les travaux entrepris à la cathédrale et les changements politiques que vit son pays depuis quelques mois (4) : « La seule chose que je peux dire, c’est que la rénovation de nos bâtiments ne suffit pas à elle seule. Il nous faut aussi changer nos manières de penser » (5).

C’est à la fin du XIXème siècle que la nécessité pour la jeune Eglise de Birmanie d’ériger une nouvelle cathédrale à Rangoun s’est fait jour. Après les guerres anglo-birmanes qui avaient provoqué le déclin des missions, le retour à la paix permettait un certain essor du christianisme. Aux barnabites italiens succédèrent les pères français des Missions Etrangères et, après le très dynamique vicaire apostolique Paul Bigandet (1856-1894), Mgr Alex Cardot, vicaire apostolique de la Basse-Birmanie de 1893 à 1926, entreprit de remplacer la vieille église qui servait de cathédrale, par un monument plus important. Diplomate avisé, il obtient du gouvernement le terrain nécessaire ainsi que l’autorisation de vendre celui qu’occupait alors la vieille église et qui avait une grande valeur. Avec le produit de la vente et celui d’une souscription, il lance un vaste chantier en 1895. Le P. Janzen, nouveau missionnaire et ancien architecte, lui fournit une aide précieuse et, sur les plans d’un architecte hollandais, Joseph Cuypers, une cathédrale en briques, de style néo-gothique, sort de terre. Non sans mal car le sol sur lequel elle est édifiée est meuble et doit être renforcé de centaines de piliers en bois. Les équipes locales manquent d’expérience. Une fois élevées, les deux tours de la façade créent une grosse frayeur lorsqu’elles s’enfoncent d’une soixantaine de centimètres. Finalement, la cathédrale est achevée en 1911 et, assurent les chroniques des MEP, c’est, « dit-on, la plus belle de nos missions ».

Le 5 mai 1930, un fort tremblement de terre à Rangoun provoque des dégâts, heureusement mineurs, à l’édifice. La cathédrale sort à peu près épargnée des combats de 1941-42 consécutifs à l’invasion japonaise mais le 14 décembre 1944, une bombe alliée souffle tous les vitraux, qui seront remplacés par des productions locales. Le 2 mai 2008, le cyclone Nargis n’épargne pas Rangoun et, à nouveau, les vitraux sont brisés et le toit endommagé. Tous ces outrages avaient rendu une rénovation complète plus que nécessaire, souligne le P. George, porte-parole de la paroisse de la cathédrale. Il ne donne pas de chiffres quant au coût total des travaux mais les travaux ont été complets : 88 vitraux ont été remplacés (venus de Thaïlande, ils ont été réalisés dans le style d’origine et représentent les mystères du Rosaire, les douze apôtres, dix saints et évêques missionnaires, des scènes de la vie du Christ) ; l’intérieur a été entièrement repeint et l’extérieur ravalé. Et, touche finale, la statue de la Vierge qui trône au sommet de la façade est désormais dotée d’un éclairage semblable à celui utilisé pour les statues du Bouddha, un dispositif rarement vu sur les édifices chrétiens. « Je trouve que les rayons de lumière qui irradient de la tête de la statue de la Vierge nous font ressentir la force de sa bienveillance. De plus, la statue est maintenant visible de loin », explique Margaret Jozef.

Adjacents à la cathédrale, les locaux de la « Basic Education High School N° 6 », lycée d’Etat connu auparavant sous le nom de « Saint Paul’s High School », forment un témoignage visible de la nationalisation forcée en 1965-66 de toutes les institutions éducatives et caritatives de l’Eglise. Dans un pays où les catholiques représentent 1,43 % de la population (les chrétiens étant au total 4 %), Mgr Charles Bo ne cache pas que l’Eglise est « une petite minorité sans grands pouvoirs ». « En réalité, nous [les chrétiens] sommes comparables aux militaires en ceci que nous sommes la seule communauté à être présente partout dans le pays ! L’Eglise est présente au sein de tous les groupes ethniques. Dans bien des régions isolées, nous sommes les seuls à être aux côtés des gens pour leur apporter un soin pastoral, éducatif ou médical. Nous sommes une Eglise qui a survécu en dépit des épreuves : les missionnaires ont été expulsés en 1966, nos institutions, écoles et hôpitaux, ont été nationalisées, nous sommes devenus pauvres en l’espace d’une nuit. Et pourtant l’évangélisation et le travail de la charité ont continué. De huit diocèses, nous sommes passés à seize ; de 300 000, le nombre des fidèles est passé à 750 000. Les prêtres étaient 150, ils sont aujourd’hui 750 ; les religieuses étaient 400, elles sont désormais 1 600. Quant aux catéchistes, ils se comptent par centaines. Tous les diocèses ont établi une Caritas et mènent des activités tant pastorales que caritatives », explique l’évêque, en concluant : « Aujourd’hui, dans un pays qui est train de vivre de grands changements, l’Eglise compte bien être une ressource pour construire l’avenir de la nation. »