Eglises d'Asie

Sirisena élu président du Sri Lanka : Rajapksa admet sa défaite

Publié le 09/01/2015




A l’issue du scrutin présidentiel du 8 janvier, les urnes ont rendu leur verdict : le président sortant Mahinda Rajapaksa, qui sollicitait des électeurs un troisième mandat consécutif, a été battu par le « candidat commun » de l’opposition, Maithripala Sirisena. Dans un scrutin caractérisé par un fort taux de participation (plus de 80 %), …

… qui s’est déroulé sans incidents majeurs en comparaison des précédentes élections, ce dernier a réuni 51,3 % des suffrages, contre 47,6 % pour Rajapaksa, qui a concédé sa défaite et reçu des garanties quant à sa sécurité et à celle de sa famille (1).

Dès l’annonce des résultats et avant de prêter serment en tant que président de la République – la cérémonie s’est déroulée ce vendredi à 18h00, heure locale, place de l’Indépendance à Colombo –, le vainqueur de cette élection a déclaré à la presse qu’il promettait « d’assurer la sécurité du pays, de protéger le bouddhisme et de respecter toutes les autres religions afin d’œuvrer par une bonne gouvernance à une société juste et équitable pour tous ». Signe des appréhensions quant à d’éventuels troubles post-électoraux, Maithripala Sirisena a aussi appelé « tous [ses] partisans et ceux qui [l’avaient] aidé durant la campagne à fêter la victoire de manière pacifique et à agir avec retenue ».

De son côté, le secrétaire chargé de la communication de Mahinda Rajapaksa a déclaré : « Le président admet sa défaite et, se soumettant au verdict exprimé par le peuple, assure que la passation de pouvoir se fera normalement. » Ce proche conseiller du président sortant a ajouté qu’afin de signifier par un geste symbolique son acceptation de la défaite, Mahinda Rajapaksa avait quitté son bureau à la présidence de la République.

La presse sri-lankaise comme les commentateurs locaux saluent comme « une victoire historique », le résultat de l’élection et le fait qu’elle se soit déroulée dans le calme, ainsi que l’écrit le Colombo Telegraph de ce jour. « C’est un moment de vérité et un tournant significatif en faveur de la démocratie au Sri Lanka, explique Jayadeva Uyangoda, professeur de science politique à l’Université de Colombo. Les électeurs ont fait preuve de courage, en particulier ceux des minorités [ethniques et religieuses], pour sortir un président qui était pourtant très puissant et qui se pensait lui-même en dirigeant invincible. »

Dans les derniers jours de la campagne électorale, lors d’un meeting à Jaffna, en plein territoire tamoul et donc a priori hostile, Mahinda Rajapaksa n’avait pas hésité à s’exprimer en ces termes : « L’adage dit qu’un diable que vous connaissez est préférable à un ange inconnu. Je suis ce diable que vous connaissez, alors n’hésitez pas à voter pour moi ! » L’argument n’a pas porté : le dépouillement électoral indique que, dans de nombreux bureaux de vote de la Province du Nord, province à majorité tamoule, Maithripala Sirisena a recueilli près de 80 % des suffrages.

Mahinda Rajapaksa, élu en 2005 sur la promesse de vaincre les Tigres tamouls, réélu en 2010 après avoir écrasé militairement la rébellion tamoule en mai 2009, n’aura donc pas su convaincre les électeurs une troisième fois. Lorsque, le 19 novembre dernier, il convoquait ces élections présidentielles anticipées, une nouvelle victoire semblait pourtant à sa portée. Dominant entièrement l’appareil étatique, contrôlant les institutions à l’aide des nombreux membres de sa famille et affidés placés à des postes stratégiques, intimidant la presse, il régnait sans partage sur le pays. Attisant le sentiment nationaliste de la majorité cinghalaise et bouddhiste de la population (entre 70 et 75 % des 20 millions de Sri-Lankais sont cinghalais, très majoritairement bouddhistes), il ne doutait pas d’être réélu.

C’était sans compter sur la défection surprise d’un de ses proches, cinghalais lui aussi, Maithripala Sirisena, son ministre de la Santé et secrétaire général de son parti, le SLFP (Sri Lanka Freedom Party) . En faisant campagne contre la corruption, l’autoritarisme du président Rajapaksa et la mise entre parenthèses de l’Etat de droit, Sirisena a su fédérer autour de lui l’ensemble des opposants et des mécontents, à savoir la minorité tamoule, la minorité musulmane mais aussi les opposants cinghalais au clan Rajapaksa. En promettant le poste de Premier ministre à l’opposant Ranil Wickramasinghe, il s’est engagé à restaurer la démocratie et l’Etat de droit, à respecter l’indépendance de la justice et à faire bénéficier l’ensemble de la population des fruits de la croissance économique, jusqu’ici confisqués par les proches du pouvoir.

Pour le Colombo Telegraph, le nouveau président dispose d’une légitimité inédite en ce sens que les électeurs de tout le pays se sont exprimés (2). En 2010, l’électorat tamoul avait en grande partie boycotté le scrutin présidentiel. Cette fois-ci, « la participation électorale au Nord, à l’Ouest, à l’Est et au Sud a été forte et libre ; on peut peut-être voir là les premiers prémices d’une réconciliation nationale dans le Sri Lanka d’après-guerre [celle qui s’est terminé 2009] ».

Pour autant, les électeurs n’ont pas accordé un blanc-seing au président nouvellement élu. Suresh Premachandran, porte-parole de l’Alliance nationale tamoule (Tamil National Alliance, TNA), explique qu’en raison « des souffrances endurées sous le régime [Rajapaksa] », les Tamouls ont voté « pour le candidat commun [de l’opposition] » mais que « cela ne signifie pas qu’ils se satisfassent du nouveau président ». Et de préciser à l’agence Ucanews : « Nous n’avons pas apprécié les discours du candidat commun au sujet de l’armée, lorsqu’il a déclaré que son gouvernement ne retirerait pas les forces armées [de la Province du] Nord », soulignant que la démocratie ne pouvait aller de pair avec « la militarisation continue du Nord ».

Durant la courte campagne qui a précédé les élections, Maithripala Sirisena s’est gardé de préciser les contours que devraient prendre, selon lui, la réconciliation nationale entre Tamouls et Cinghalais, ainsi que le pacte social permettant à une majorité cinghalaise – principalement bouddhiste – de vivre harmonieusement avec des minorités diverses, qu’elles soient tamoule – majoritairement hindoue –, musulmane ou chrétienne. Son programme pour les cent jours à venir consiste principalement à la restauration d’une pratique démocratique, sans se prononcer sur une éventuelle réforme des institutions à venir.

Dans une tribune libre publiée aujourd’hui dans le Colombo Telegraph, le journaliste Ranga Kalansooriya écrit que le principal défi qui se pose désormais au duo formé par le président Maithripala Sirisena et le Premier ministre Ranil Wickramasinghe va être de ne pas décevoir les fortes attentes exprimées par les électeurs, tout en répondant aux demandes de la coalition très hétérogène qui s’est fédérée autour des deux hommes. « S’ils déçoivent les attentes placées en eux, leur popularité plongera encore plus rapidement que celle de Mahinda [Rajapaksa]. Et ceux qui ont contribué à les porter au pouvoir seront les mêmes qui les descendront de leur piédestal. C’est exactement ce qui est arrivé à Mahinda ; Maithri [Sirisena] et Ranil [Wickramasinghe] devraient en tirer des leçons avant de monter sur scène », écrit le journaliste.

A l’heure où nous mettons en ligne cette dépêche, l’Eglise catholique n’a pas réagi ou commenté le résultat de l’élection présidentielle. Le seul fait que le scrutin se soit déroulé sans incidents majeurs et que le président sortant accepte sa défaite doit, cependant, avoir été accueilli avec un réel soulagement, tant les inquiétudes étaient grandes de voir des violences éclater à cette occasion, à moins de quatre jours de l’arrivée du pape François dans le pays.

(eda/ra)