Eglises d'Asie – Pakistan
« Le système judiciaire au Pakistan garantit l’impunité aux crimes contre l’humanité »
Publié le 20/11/2014
« La montée de la violence et de l’intolérance religieuse met en danger la coexistence civile et sociale au Pakistan » et témoigne de « l’échec de l’administration civile et judiciaire », ont déclaré la Conférence épiscopale catholique et l’Association des Supérieurs majeurs du Pakistan. Dans un appel commun publié mercredi 19 novembre, Mgr Joseph Coutts, président de la Conférence des évêques, et le P. Pascal Paulus, représentant des Supérieurs majeurs, ont demandé aux autorités de prendre « des mesures qui ne peuvent être différées », rapporte l’agence Fides.
« L’assassinat de Shahzad Masih et Shama Bibi à Kasur démontre que l’intolérance au nom de la religion est allée si loin que l’on ne peut plus parler d’Etat de droit ; c’est une justice sommaire qui viole la Constitution et le Code pénal, constate l’Eglise catholique. De tels incidents reflètent l’absence totale de gouvernance, l’échec de l’administration civile et du système judiciaire, qui garantissent l’impunité à ces crimes contre l’humanité. »
Les responsables catholiques concluent en pressant le gouvernement de prendre des mesures immédiates pour que de tels drames ne puissent plus jamais se reproduire. Ils proposent que la Cour suprême lance une commission d’enquête sur les faits commis à Kasur, en vue de rendre une « justice immédiate » constituant un « précédent clair », mais aussi que soient dès à présent déclarés responsables les religieux islamiques ayant incité à la violence. Ils demandent également qu’il soit enfin mis un terme aux usages abusifs de la loi sur le blasphème mais aussi au manque de formation des policiers, qui n’ont pas appliqué les recommandations de la Cour suprême de juin dernier, au sujet de la protection des minorités religieuses.
Alors que la famille du couple chrétien assassiné demande la protection du gouvernement, ce dernier est de plus en plus montré du doigt pour son absence de réaction face à la montée de la violence islamiste, qui semble aujourd’hui n’avoir plus aucune limite.
« Nous recevons sans cesse des menaces téléphoniques pour retirer notre plainte », a déclaré Shahbaz Masih, le frère de Shehzad Masih, lors d’une conférence de presse à Islamabad, rapportée par l’agence Apic le 19 novembre. Bien que la police ait arrêté une quarantaine de personnes, dont le patron de la briqueterie et le responsable de la mosquée, aucune mesure législative ou judiciaire qui permettrait à ces crimes de se répéter, n’a été prise par les autorités.
« Nous réclamons seulement justice et une enquête objective », a expliqué Shehzad Masih, qui demande, à l’instar de nombreuses associations qui ont réagi depuis l’assassinat du jeune couple, que « l’affaire Shahzad et Shama » serve d’exemple, et qu’au-delà de la vague d’indignation qui a parcouru le Pakistan, elle puisse donner lieu à l’établissement de véritables mesures.
Comme le frère de la victime, la Ligue interreligieuse du Pakistan (LIP) – groupe de religieux et de militants en faveur des droits de l’homme –, presse le gouvernement de former une commission judiciaire spéciale, qui comprendrait des membres des minorités religieuses « afin que les coupables ne restent pas impunis », et qu’il puisse être réclamé « de lourdes peines à l’encontre de ceux qui ont dévoyé la religion pour l’utiliser comme prétexte pour assouvir des vendettas personnelles ».
L’impunité des coupables et la protection des islamistes par les institutions sont devenues les thèmes récurrents des différentes ONG de défense des droits de l’homme et des représentants des communautés chrétiennes ou minoritaires. Preuve en est la déclaration d’Ali Mohammad, leader du Pakistan Tehreek-e-Insaf (Mouvement du Pakistan pour la Justice, PTI), le parti d’Imran Khan, qui a commenté en direct à la télévision l’assassinat du couple en qualifiant les chrétiens de « kafirs » (‘infidèles’). Malgré les demandes d’excuses publiques exprimées par les chrétiens indignés, ni Imran Kahn, ni Ali Mohammad ne se sont excusés, le gouvernement se gardant de commenter les faits
Ces derniers jours, de nombreuses manifestations, rencontres interreligieuses et colloques divers ont été organisés dans le but de trouver des solutions urgentes aux dérives de la Black Law (loi anti-blasphème), qui font désormais quotidiennement la Une des journaux. Evoquant aussi bien l’affaire Asia Bibi que celle du couple brûlé vif, des responsables et chercheurs musulmans, chrétiens, hindous et sikhs réunis à Lahore, ont rédigé une feuille de route à l’attention du gouvernement afin de limiter les « usages abusifs de la loi anti-blasphème ».
L’assemblée interreligieuse propose aux autorités que l’enregistrement officiel d’une plainte pour blasphème ne puisse être effectuée que par un officier de police ayant au moins le grade de commissaire et que le déclarant comme le dénoncé soient maintenus en garde à vue jusqu’à la fin de l’enquête. En outre, il est demandé au gouvernement que tous les cas de blasphème soient jugés par des tribunaux supérieurs, et non des cours de première instance, afin que, si les accusations se révélaient fausses, le déclarant soit puni sévèrement.
Malgré ces multiples réactions et les nombreuses manifestations qui se succèdent au Pakistan, la loi anti-blasphème continue ses ravages, en particulier dans le Pendjab. Un chrétien, Qaiser Ayub, âgé de 40 ans, a été arrêté le 17 novembre et emprisonné pour blasphème présumé, dans la prison du district de Chakwal. Accusé d’avoir rédigé des « réflexions blasphématoires à l’encontre du Prophète Mahomet » sur son site Internet, il risque la peine de mort.
(ead/msb)