Eglises d'Asie

Le sanctuaire marial de Madhu n’a pas pu bénéficier d’un cessez-le-feu pour Noël

Publié le 25/03/2010




Le P. Santhiapillai Emilianuspillai, recteur de Notre-Dame de Madhu, le sanctuaire marial le plus vénéré du Sri Lanka (1), a déclaré à l’agence Ucanews, le 2 janvier dernier, qu’au lieu de la grande foule espérée, il n’y avait pas eu un seul pèlerin aux messes de Noël et du Nouvel an. « Pour des raisons de sécurité, les fidèles n’ont pas été autorisés à venir », a-t-il expliqué, …

… ajoutant qu’habituellement, environ 3 000 pèlerins viennent à cette période de l’année. Le gouvernement sri-lankais avait cependant laissé espérer la réouverture du site, mais, engagé dans d’intenses combats contre les Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (LTTE), il avait rejeté, peu avant Noël, la demande des responsables chrétiens d’un cessez-le-feu pour le temps des célébrations de la Nativité.

Situé dans le nord du pays, en pleine jungle, le site de Madhu est au cœur de la zone des combats entre l’armée gouvernementale et le LTTE, attaques qui ont pris ces dernières semaines une ampleur d’autant plus forte qu’il s’agit, pour Colombo, de reconquérir militairement les derniers bastions des Tigres tamouls. La guerre civile, qui dure depuis 1983, a fait plus de 80 000 morts et des centaines de milliers de réfugiés. Après avoir progressivement repris les territoires occupés par le LTTE dans le nord du pays fin 2008, les forces gouvernementales ont annoncé le 2 janvier avoir pris Kilinochchi, « capitale » politique de la guérilla, puis le 5 janvier, s’être emparées de la Passe de l’Eléphant, étroite langue de terre qui relie l’île à la péninsule de Jaffna (2). Selon l’AFP, l’armée sri-lankaise a affirmé poursuivre « l’assaut final » dans la portion de jungle où sont repliés les rebelles et leurs chefs. Dans son message du Nouvel An, le président du Sri Lanka a promis que 2009 serait l’année de « la victoire héroïque » sur les Tigres (3).

Le sanctuaire marial, malgré sa position exposée, aux confins de la Province du Nord, avait pendant les premiers temps de la guerre, bénéficié d’une relative protection due à la vénération que les populations sri-lankaises, toutes ethnies et religions confondues, éprouvent pour Notre-Dame de Madhu. Dans les années 1990, le site avait même abrité des milliers de réfugiés fuyant les combats. Mais avec le durcissement du conflit, le sanctuaire s’était retrouvé progressivement sous les feux croisés des deux parties. En 1999, un bombardement avait tué 44 personnes, et blessé de nombreux pèlerins, les armées rebelles et gouvernementales se renvoyant mutuellement la responsabilité du massacre. Depuis, l’Eglise catholique et d’autres responsables religieux n’avaient eu cesse de demander au gouvernement sri-lankais de déclarer le sanctuaire « zone de paix », mais en vain (4).

En 2008, après de nouveaux bombardements du site et la décision du gouvernement sri-lankais d’entamer une offensive définitive contre les Tigres tamouls, Mgr Rayappu, évêque de Mannar, sous la juridiction duquel se trouve le sanctuaire, avait décidé de mettre à l’abri la statue de la Vierge (5). Après avoir accueilli tant de réfugiés, « c’est Notre-Dame de Madhu qui est devenue une réfugiée », avait déploré le prélat. La Vierge de Madhu avait été transportée en avril 2008 à Thevanpiti, village côtier au nord du sanctuaire. L’évacuation de la statue et des quelques personnes d’Eglise qui étaient encore sur le site avait provoqué une polémique lancée par des groupes activistes pro-bouddhistes et les organes officiels du gouvernement, accusant l’Eglise catholique de collusion avec le LTTE, Thevanpiti se trouvant en zone sous contrôle rebelle. Sur un site gouvernemental (6), on pouvait ainsi lire, le 25 avril, une déclaration du ministre de la Défense Keheliya Rambukwella : « Madhu n’a jamais été attaquée ni jamais été la cible des forces de sécurité (…). La décision du LTTE de déplacer la statue (…) a été motivée par l’intention de détourner l’attention de la communauté internationale des opérations militaires en cours contre les LTTE terroristes et de créer une image négative du gouvernement. » Les évêques avaient alors expliqué que la raison du choix du village était sa proximité et sa population catholique majoritaire, tout en précisant que cette évacuation était provisoire.

Au cours de l’été, sur l’insistance du gouvernement, la statue avait été ramenée à Madhu, puis des visites encadrées par l’armée avaient été organisées pour les responsables de l’Eglise catholique et les journalistes afin de faire constater « la remise en état » du sanctuaire par les militaires (7). Ce déploiement médiatique faisait suite à un reportage télévisé, diffusé en mai, qui avait profondément choqué la population sri-lankaise, montrant le sanctuaire sous le contrôle de l’armée : murs de l’église criblés de balles, statues brisées, débris divers, matériel et véhicules militaires introduits dans le sanctuaire, etc. En juin 2008, Colombo avait assuré que le nettoyage du site et son déminage seraient terminés pour les célébrations du 2 juillet (fête patronale) et du 15 août, les deux fêtes les plus importantes de Madhu qui drainent des milliers de fidèles venant de toutes les régions du pays (8). Mais le site marial, restitué en août au diocèse de Mannar, n’avait pu finalement accueillir que 540 pèlerins, autorisés à assister à la messe de l’Assomption.

En novembre 2008, après avoir visité Madhu, le P. Fernando, directeur de la Caritas Sri Lanka, avait à son tour demandé au gouvernement de rendre possible sa réouverture, soulignant le délabrement du sanctuaire et le fait qu’il n’y avait toujours pas d’alimentation électrique. A l’agence Ucanews, il rapporte que les quelques religieux et laïcs présents sur les lieux étaient totalement isolés – la population des environs ayant été déplacée par l’armée –, qu’ils devaient demander l’autorisation des militaires pour se ravitailler en ville et étaient atteints de paludisme. Colombo avait répondu que le retour des pèlerins était suspendu tant que les opérations de déminage ne seraient pas terminées.

Un nouvel espoir était né parmi les fidèles après la rencontre au Vatican, le 2 décembre dernier, du pape et du président du Sri Lanka. Mahinda Rajapakse aurait assuré à Benoît XVI que le sanctuaire de Madhu avait été entièrement restauré et rendu disponible au culte (9). Selon des sources vaticanes, le pape avait également demandé au président du Sri Lanka de « consolider le dialogue et la négociation comme seule méthode pour une solution politique juste et durable du conflit en cours ». Il s’est également inquiété de ce que l’Eglise catholique puisse continuer à jouir d’une liberté qui lui permet, en ce temps de conflit, de venir en aide aux populations durement éprouvées, sans distinction de race ni de religion.

Forts de ces avancées concernant la possible réouverture du site, Mgr Thomas Savundaranayagam, évêque de Jaffna, Mgr Rayappu Joseph, évêque de Mannar et Mgr Norbert Andradi, évêque d’Anuradhapura, ainsi que les évêques anglicans Kumara Illangasinghe et Duleep De Chickera, demandaient au gouvernement et aux rebelles tamouls un cessez-le-feu pour la période de Noël et du Nouvel An. Le 17 décembre, le gouvernement rejetait cet appel, déclarant qu’il n’envisagerait un cessez-le-feu que si les rebelles tamouls déposaient les armes. Au sanctuaire de Madhu, selon Ucanews, la messe de la nuit de Noël s’est donc déroulée en la présence d’un seul prêtre, de quatre religieuses, de six laïcs au service du culte et de 30 militaires.

Dans son message de Noël, la Conférence des évêques catholiques du Sri Lanka a appelé les responsables du pays à oublier leurs différends politiques et à se focaliser sur la construction de la paix.