Eglises d'Asie

Des aborigènes expulsés illégalement au nom de la protection des tigres

Publié le 15/01/2015




Dans l’Etat du Madhya Pradesh, des milliers d’aborigènes ont été illégalement expulsés de la réserve de Kanha, a alerté l’ONG Survival International, mercredi 14 janvier.La jungle épaisse qui couvre le sud-est de l’Etat abrite en effet l’une des plus importantes populations de tigres de l’Inde dont la survie est aujourd’hui menacée, essentiellement par le braconnage.

Pour sauver l’espèce mais aussi pour préserver la lucrative exploitation touristique liée à la réserve présentée comme étant celle qui a inspiré Le Livre de la Jungle de Rudyard Kipling, le Département des forêts de l’Etat a expulsé des familles entières d’aborigènes de leurs « terres ancestrales ».

Les membres des tribus expropriées de force – le plus souvent sans aucune contrepartie – ont rapporté que les autorités les avaient menacés de « lâcher des éléphants sur leurs maisons et leurs cultures s’ils ne partaient pas immédiatement ».

La réserve de Kanha, qui s’étend sur les deux districts de Mandla et de Balaghat districts – soit environ 1 950 km²  –, est habitée par les tribus baiga et gond qui y vivent depuis des temps immémoriaux, en symbiose étroite avec la forêt. Vénérant la jungle comme leur « Terre-Mère », les aborigènes sont des semi-nomades, vivant essentiellement de la chasse et d’une agriculture itinérante.

Depuis des années, ces communautés aborigènes sont harcelées et menacées par le Département des forêts dans le but de leur faire quitter la réserve. Si certaines d’entre elles, cédant aux autorités, ont fini par quitter la jungle en échange d’une compensation minime, plus nombreuses sont celles qui se retrouvent expulsées, sans argent, sans aide ou même sans aucune terre, qui leur permettrait de faire vivre leurs familles.

Depuis juin dernier, où selon Survival, plus de 450 familles baiga et gond (environ 3 000 personnes) ont été expulsées de leurs villages, la situation semble s’être encore dégradée. Aujourd’hui, ce sont plus de 20 villages qui viennent d’être vidés de leurs habitants au nom de la « préservation de la faune », tandis que de nombreux autres subissent d’intenses pressions afin d’évacuer la « zone préservée » dans les semaines à venir.

Le directeur de la réserve de tigres de Kanha, J. S. Chauhan, a cependant refuté par voie de presse les accusations d’expropriation des aborigènes, soutenant que 1 200 membres des tribus avaient été réinstallés dans des villages en bordure de la jungle, et avaient reçu des compensations financières. « Nous n’avons jamais procédé à des expulsions forcées des villageois, a-t-il déclaré ce 15 janvier à la Thomson Reuters Foundation. Tous ont signé un document signifiant leur accord. »

Une affirmation démentie par Survival et plusieurs ONG locales qui dénoncent des pratiques « mafieuses » consistant à faire signer à des aborigènes analphabètes des documents vierges lesquels sont ensuite « utilisés pour attester de leur ‘consentement’ à être délogés de leurs villages, en violation totale de leurs droits ».

L’Eglise catholique, qui travaille depuis des années aux côtés des aborigènes pour la défense de leurs droits, explique de son côté tenter de donner aux communautés tribales les moyens de lutter juridiquement contre les injustices dont elles sont victimes dont les expropriations illégales.

« Eduquer les membres des tribus à connaître leurs droits fait partie de notre mission », affirme le P. Joshy Abraham, avocat militant pour le droit à l’information des peuples indigènes. Au sein du service social du diocèse, il lutte entre autres pour l’alphabétisation des Gond et des Baiga.

« La plupart des Baiga qui viennent dans notre centre ne savent même pas qu’ils ont des droits », ajoute le P. Joseph Raj, lequel dirige un centre d’information et d’aide sociale, où se forment actuellement « des chefs de villages qui à leur tour formeront les habitants de leurs communautés ».

Mais les récentes expropriations forcées semblent avoir, par leur ampleur, dépassé le cadre de la défense juridique associative. Selon Survival, elles demandent désormais à être relayées de toute urgence par la communauté internationale. « Les programmes de défense de l’environnement actuellement mis en application en Inde doivent respecter le droit international et les droits territoriaux des peuples indigènes, lesquels sont les meilleurs défenseurs de l’environnement », rappelle l’ONG dans sa déclaration de mercredi dernier.

Selon ces lois, dont le Forest Rights Act, signé en 2008, qui reconnait aux aborigènes le droit de vivre sur leurs terres ancestrales, les autorités doivent prouver non seulement que la co-existence des communautés et de la faune est impossible, mais que les droits des aborigènes ont été respectés, et qu’ils ont donné « leur consentement libre, préalable et éclairé à leur déplacement ». Or, souligne Survival« dans le cas de la réserve de Kanha, aucune de ces conditions n’a été remplie ».

« Ce qui se passe à Kanha montre la face cachée de l’industrie de la protection de la nature, dénonce encore Stephen Corry, directeur de l’ONG. Des milliers de touristes se promènent à travers le parc dans des jeeps bruyantes pour prendre les tigres en photo. Pendant ce temps, les communautés baiga, qui ont veillé sur l’habitat des tigres durant des générations, sont anéanties par des expulsions forcées. Les prétendus défenseurs de l’environnement ne manquent pas d’ironie. Si l’Inde ne permet pas aux Gond et aux Baigasde retourner dans leurs villages et n’empêche pas l’expulsion d’autres villageois, ces communautés seront brisées. Expulser les tribus ne sauvera pas les tigres. »

La nouvelle de ces expulsions forcées a vivement inquiété les différentes communautés aborigènes qui, vivant des ressources de la jungle dans plusieurs Etats de l’Inde, se trouvent également en butte aux politiques d’expropriation des Départements des Forêts, et craignent à leur tour de connaître le même sort.

(eda/msb)