Eglises d'Asie – Chine
Tibet : Pékin réagit à la vague d’immolation de moines bouddhistes en durcissant sa politique de répression
Publié le 31/10/2011
… Depuis le 10 mars 2011, date du 52e anniversaire de la rébellion tibétaine et du 3e anniversaire des émeutes antichinoises de 2008 (1), neuf moines et une nonne bouddhistes, âgés de moins de 20 ans pour la plupart, ont tenté de s’immoler par le feu (2). Sur ces dix religieux, qui avant de se transformer en torches vivantes, ont crié « longue vie au dalai lama ! » ou « il n’y pas de liberté religieuse au Tibet ! », plus de la moitié ont perdu la vie. Selon des sources locales, de nombreux moines seraient décidés à poursuivre les suicides jusqu’à ce que le gouvernement chinois cède ou que la communauté internationale intervienne.
La dernière immolation s’est produite le 25 octobre dernier à Karze (Garze), dans la préfecture autonome tibétaine du même nom, intégrée à la province chinoise du Sichuan. Lors d’une cérémonie au monastère de Karze, Dawa Tsering, 38 ans, après s’être aspergé d’essence et y avoir mis le feu, a appelé au retour du dalai lama et à la liberté pour le Tibet. Ses chances de survie sont faibles, ont indiqué différentes agences de soutien au peuple tibétain, qui ont également rapporté que les autorités chinoises avaient instauré la loi martiale dans toute la région.
Depuis l’auto-immolation de Phuntsog, 21 ans, devant le monastère de Kirti le 16 mars dernier, jour commémorant le 3e anniversaire de la répression des émeutes de 2008 qui avait fait des dizaines de morts parmi les Tibétains, le phénomène des suicides de moines a pris de l’ampleur et s’est récemment accéléré : sur les dix tentatives d’immolation recensées à ce jour, huit ont eu lieu au cours du dernier mois. Considéré comme l’épicentre de la contestation, Kirti est aujourd’hui sous haute surveillance : quelque 300 moines ont été arrêtés et des centaines d’autres ont été envoyés en « rééducation patriotique ». En quelques mois, il n’est resté que 600 moines sur les 2 500 qu’abritait ce grand monastère du district de Ngaba (Aba) de la préfecture autonome tibétaine d’Aba dans le Sichuan.
Force est de constater que l’augmentation soudaine des suicides a suivi de peu les déclarations de la Chine concernant la réincarnation du dalai lama. Le 26 septembre, après les propos du chef spirituel tibétain sur la désignation de sa future réincarnation de son vivant (3), les autorités chinoises avaient rétorqué qu’elles n’hésiteraient pas à « marcher sur la tradition » du bouddhisme tibétain en s’arrogeant le droit de décider qui serait le XVe dalai lama. « La réincarnation [du dalai lama] doit respecter les règles religieuses, les normes historiques, les lois et règlements de l’Etat », avait ainsi affirmé Hong Lei, au nom du Ministère des Affaires étrangères, ajoutant que « tout successeur choisi par le dalai lama serait considéré comme « illégal ». Une déclaration qui semblait signer la fin de la lignée des dalai lama, du bouddhisme tibétain lui-même, et réduire à néant les derniers espoirs de la communauté tibétaine en Chine.
Malgré le caractère inédit de la vague d’ immolation des moines, Pékin a continué d’appliquer au Tibet ses recettes habituelles de répression des mouvements protestataires : bouclage de la région concernée, silence des médias, envoi de troupes pour la répression armée, puis de fonctionnaires pour la « rééducation patriotique ». Selon le gouvernement tibétain en exil à Dharamsala, 20 000 fonctionnaires chinois s’apprêteraient à partir pour la Région Autonome du Tibet (TAR) et le Sichuan, afin de « re-sculpter l’esprit des Tibétains ». Ils devraient y rester un an, le temps « de faire adopter le patriotisme et l’amour pour la Chine ».
D’autres informations relayées par des ONG font état d’une campagne de propagande pro-chinoise déjà en cours, consistant en distribution de drapeaux nationaux et de photos de dirigeants chinois dans tous les villages tibétains, avec obligation de les exposer sur les autels et les murs des habitations. La plupart des moines sont quant à eux sont astreints à des séances de « rééducation politique » tandis que des commissariats s’édifient à la hâte au pied des monastères qui en étaient encore dépourvus.
Dans ce contexte, l’inauguration en grande pompe le 20 octobre dernier du Tibet Buddhist College à Lhassa par Zhu Weiqun, vice-ministre du Département du front uni du travail du comité central du Parti, également connu pour ses propos virulents à l’encontre du dalai lama, n’a rien d’un hasard. L’institut, qui s’est donné pour but d’ « intégrer le bouddhisme tibétain au sein de la société communiste » a été dédié à la liberté religieuse par les autorités, trois jours seulement après l’auto-immolation de Tenzin Wangmo, nonne bouddhiste de 20 ans. Selon l’agence gouvernementale Xinhua, l’établissement accueillera des centaines d’étudiants, de grands universitaires, des lamas et 150 moines tibétains qui y apprendront à « combattre les idées séparatistes tentant de s’infiltrer dans le domaine religieux ».
L’annonce d’une dixième immolation a cependant provoqué une nouvelle réaction de la communauté internationale qui avait déjà condamné, quoique faiblement, la politique de Pékin au Tibet ces derniers mois. Après les Etats Unis, le Parlement européen a fait part à son tour de sa « profonde préoccupation » ainsi que de sa « condamnation » de la répression mise en œuvre par les autorités chinoises, dans une résolution votée le 27 octobre 2011 (4).
La Chine a invoqué de son côté des tentatives de déstabilisation venues de l’étranger et le « terrorisme du dalaï lama ». Les indépendantistes tibétains « en glorifiant [les immolations] ont incité plus de personnes à les poursuivre », a accusé la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Jiang Yu. « Le fait de s’immoler est contraire à la morale et à la conscience et devrait être condamné », a-t-elle ajouté.
Le dalaï-lama a rappelé n’avoir jamais soutenu l’auto-immolation des moines, un acte « qui va à l’encontre du caractère sacré de la vie selon les préceptes bouddhistes », bien qu’il puisse être considéré par certains comme un sacrifice et non pas un suicide (5). Lobsang Sangay, à la tête depuis avril dernier du gouvernement tibétain en exil, a pour sa part rendu « hommage au courage et à l’esprit indomptable » de « ceux qui ont donné leur vie pour le Tibet », avant de dénoncer le « colonialisme de la Chine » et sa volonté de « détruire systématiquement la culture, la langue et la religion tibétaines », seuls responsables selon lui des suicides des moines bouddhistes.
Ce vendredi 28 octobre, la situation restait tendue sur l’ensemble des territoire tibétains après l’attentat à la bombe survenu dans la nuit de mercredi à jeudi dernier, dans un bâtiment gouvernemental de Karma, ville de la préfecture de Chamdo ( Région autonome du Tibet), lequel aurait fait des dégâts matériels mais aucune victime. Plusieurs médias indépendants ont confirmé l’incident, précisant que des slogans pour l’indépendance du Tibet avaient été peints en rouge sur les murs et que des tracts appelant au soulèvement avaient été disséminés dans toute la région. Des militaires et des policiers appelés en renfort ont bouclé la zone et assigné à résidence les moines de Karma qu’ils soupçonnent d’être à l’origine de l’explosion.