Eglises d'Asie – Chine
POUR APPROFONDIR – Les parapluies de Hongkong : bilan provisoire
Publié le 10/11/2014
… En effet, une certaine lassitude se manifeste parmi les manifestants eux-mêmes mais aussi parmi la population de Hongkong ; le nombre des opposants au mouvement a rapidement augmenté.
De plus, en novembre, la température du thermomètre descend et il va probablement pleuvoir. Il deviendra plus compliqué de rester sur les sites occupés et de continuer à les contrôler. Par ailleurs, de nombreux manifestants ont repris leur travail dans la journée mais, le soir, reviennent sur les sites pour y passer la nuit.
Sur quoi débouchera le mouvement ? Il est encore impossible de le dire mais déjà on peut esquisser un premier bilan.
Les plus âgés des Hongkongais s’en souviennent encore en 1967 : alors que la Révolution culturelle (1966-1976) enflammait la Chine continentale, des émeutes avaient éclaté sur leur territoire. Le désordre, à l’époque, fut de courte durée mais, pourtant, comparable à celui d’aujourd’hui, dans la Région administrative spéciale (RAS). Le paradoxe toutefois, est que les rôles se sont inversés. Les agitateurs d’hier étaient des éléments pro-Pékin ; ils se battaient contre l’ordre établi (ordre maintenu par les Britanniques). Aujourd’hui, les pro-Pékin sont passés du côté de l’ordre établi, et les « fauteurs de troubles » sont des pro-démocrates.
Ces derniers avaient annoncé qu’ils occuperaient un quartier : celui de « Central » mais, le 28 septembre, quand le mouvement a démarré, l’enthousiasme des foules était tel que ce sont cinq sites clé qui ont été submergés et occupés par les Hongkongais. Un mois plus tard, trois quartiers de Hongkong, Admiralty, Causeway Bay et Mongkok, sont toujours bloqués par des manifestants, souvent jeunes, qui perturbent les transports et le commerce. La police a fini par chasser les « rebelles » des autres sites, non sans s’y être repris à plusieurs fois après plusieurs tentatives infructueuses.
Pour se rendre au travail, beaucoup de Hongkongais doivent prendre patience à cause des embouteillages monstres et des véhicules, autobus ou métro, bondés. Mais, curieusement, peu de personnes protestent, ou montrent des signes d’impatience. Chacun suit discrètement l’évolution de la situation, les yeux fixés sur son portable, car chacun se rend compte que cette « désobéissance civile » est un sujet de discussion explosif qui risque de semer la division autour de soi.
Les journalistes parlent de : « révolution des parapluies ». Le terme de « révolution » est cependant inapproprié pour qualifier les événements qui ont lieu depuis le 28 septembre 2014 dans la RAS. Il vaudrait mieux parler d’« effervescence sous les parapluies » ou de « verrouillage contre les parapluies ». Un journal titrait avec humour : « Hongkong a eu un pépin avec ses parapluies ! » Il est vrai que ceux-ci ne protégeaient pas les manifestants des gaz lacrymogènes, comme l’ont affirmé de nombreux médias, mais seulement des giclées de liquide au poivre dont la police les arrosait.
Pendant cette période agitée, autre paradoxe, le gouvernement de Hongkong (accusé d’être soumis à celui de Pékin) a rappelé, au moins mille fois, que le respect de la loi était essentiel dans la RAS, (le droit faisant partie de culture institutionnelle et civique locale). Or, ce même gouvernement a fait appel, en plusieurs occasions, à des mafieux, membres de triades, qui sont loin d’être des citoyens modèles, pour provoquer les manifestants. De son côté, Pékin, qui prêche également pour le respect de la légalité (1), s’affranchit allègrement des règles du droit pour combattre la corruption de ses cadres et des membres du Parti qui, eux aussi, ne font pas du zèle pour respecter la loi. Et, plus généralement, dans toute la société chinoise du Continent, les plus forts l’emportent très souvent dans les conflits, les procès et les affaires. Qui sont donc ces gens qui veulent donner aux Hongkongais des leçons de droit ?
Une question s’est posée durant ce mois d’octobre 2014 : où sont passés les chefs et responsables des partis politiques ? On s’attendait à ce qu’ils approuvent ou condamnent les manifestations, à ce qu’ils donnent leur avis sur l’évolution de la situation, à ce qu’ils conseillent les étudiants et autres rebelles. Or, ces politiciens élus et compétents de la RAS ont complètement disparu des petits écrans durant tous ces moments chauds. Avaient-ils si peur de faire un faux pas ou de déplaire à l’un ou l’autre des deux camps ? (2)
Voilà maintenant qu’ils réapparaissent, en novembre, surtout pour se défendre. En effet, les meneurs des étudiants ont demandé aux pro-démocrates de démissionner de leur siège de députés au Conseil législatif (Legco) pour provoquer de nouvelles élections. Or, pratiquement, aucun d’entre eux n’accepte d’entrer dans cette manœuvre. Ils ont trop peur de tout perdre. Ceux de l’opposition protestent vigoureusement contre l’oppression que la minorité (les étudiants) fait subir à l’ensemble du bon peuple de la RAS. Des paroles qui ne coûtent pas cher et qui peuvent leur attirer des voix lors des élections !
Une majorité de catholiques hongkongais soutient les manifestants, soit activement pour les jeunes, soit en parole pour les autres. Sur les lieux des manifestations, de petits sanctuaires ont été dressés pour que ceux qui le veulent puissent prier et se recueillir. Une paroisse a ouvert ses portes toutes les nuits pour accueillir les manifestants blessés ou malades qui avaient besoin de soins et de repos. Des eucharisties ont été célébrées, le dimanche, devant des nombreux participants, sur les sites occupés. Cependant, des incidents ont eu lieu dans plusieurs paroisses. Des fidèles se sont levés pendant l’homélie du prêtre, qu’ils jugeaient trop favorable aux manifestants, et sont sortis de l’église en vociférant.
Nouvelle défaite pour la démocratie ?
Les médias du monde entier ont parlé des événements de Hongkong. Mais aujourd’hui, en novembre, ils n’en soufflent plus mot. Nombreux doivent être ceux qui en ont conclu que, comme les étudiants de Tiananmen en 1989, ceux de Hongkong en 2014 ont perdu la partie contre le gouvernement de Pékin et que la démocratie devra attendre encore de nombreuses décennies avant de pouvoir, progressivement, pointer de nouveau son nez face au puissant et redoutable Parti communiste chinois. Il est bien vrai qu’à court terme, on ne peut pas s’attendre à une réforme satisfaisante du système politique de Hongkong et que l’on blâme les manifestants pour les pertes financières qu’ont subit beaucoup de commerçants, petits vendeurs, chauffeurs de taxis et de minibus.
Le mouvement des étudiants de Hongkong est généreux et justifié. Mais ces derniers n’ont pas mesuré, au départ, l’habileté et la roublardise de l’adversaire qu’ils avaient en face d’eux : le gouvernement de la RAS, soutenu énergiquement par les autorités de Pékin ; tous des gens qui semblent ignorer les bienfaits du dialogue. Donc, à court terme, les manifestants pro-démocrates sont en train de perdre la partie : après de longues semaines de protestation, ils n’ont obtenu aucune concession.
Dans la culture chinoise, il est de tradition de ménager la « face » de son vis-à-vis quand on le fait perdre, de lui accorder, au moins, quelques arrangements symboliques qui lui « sauvent la face ». L’importance de la « face », qui aide à adoucir les relations tendues, n’a jamais été prise en compte par le gouvernement de Hongkong et, encore moins, par celui de Pékin.
Des bombes à retardement ?
Cependant, il faut considérer l’avenir de Hongkong sur le long terme. Ces milliers d’étudiants idéalistes entreront bientôt dans la vie active. Certains deviendront des meneurs politiques réalistes et n’oublieront pas cette expérience exceptionnelle qu’ont été ces semaines de résistance. Au moindre incident, ils se mobiliseront de nouveau ! Toute une génération de jeunes les suivra ! Pour le gouvernement de la RAS, c’est une véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête, une bombe à retardement qui risque de faire des dégâts quand elle explosera. Et Hongkong deviendra encore un peu plus « la Rebelle ! » dans la grande République populaire de Chine !
Notons, de plus, qu’il y a, dans les universités de Hongkong, 20 % des étudiants qui viennent de Chine continentale. Ils ont participé aux manifestations comme leurs camarades de classe et ont compris que la soumission passive n’est pas la seule attitude possible face au gouvernement communiste. Ils rentreront un jour dans leurs régions respectives et exerceront des responsabilités importantes en Chine. Ils retrouveront peut-être des étudiants qui étaient sur la place Tiananmen en mai-juin 1989. Eux aussi risquent de faire pression sur leur gouvernement pour qu’il se démocratise. Nouvelle bombe à retardement ! Déjà, le bruit court qu’une liste de hauts fonctionnaires du Continent, en apparence soumis à Pékin mais, en fait, favorable à la cause des étudiants, circulerait en Chine. Cette information, vraie ou fausse, donne bien du souci au sein du Parti communiste chinois.
Le slogan, inventé par Deng Xiaoping : « Un pays, deux systèmes », qui semblait fonctionner jusqu’à maintenant, est mis à mal car la RAS refuse de se résigner face aux injonctions du Continent. Or, le concept de Deng devait mettre en marche un processus de réunification avec Hongkong et attester pour l’île de Taïwan qu’avec elle aussi, un accommodement était possible. Or, le mouvement de contestation brisée, dans l’ancienne colonie britannique, indique le contraire. Et ce, seulement dix-sept ans sa mise en application du principe « Un pays, deux systèmes », alors que les accords avec la Grande-Bretagne prévoyaient une période de cinquante ans sans changement (3).
Pour Martin Lee, fervent catholique, avocat aujourd’hui à la retraite, fondateur du Parti démocratique de Hongkong, l’enjeu est de « défendre les valeurs fondamentales qui font de ce territoire un lieu unique où se rencontrent l’Orient et l’Occident… Hongkong est en train d’écrire son Histoire et vit un moment historique de son destin chinois, depuis 1997 ! » (4). Effectivement, on a déjà l’impression qu’un point de non-retour a été atteint et qu’un nouveau chapitre de l’Histoire de l’ancienne colonie britannique commence.
L’ensemble de la société de la RAS, jadis apolitique, a pris conscience de son droit à prendre la parole et d’être écouté, face à des gouvernants, aussi bien à Hongkong qu’à Pékin, qui semblent incapables de dialoguer (5). Pourtant, il faudra bien qu’ils s’y mettent et qu’ils apprennent l’art des négociations et des compromis. Un long chemin reste à parcourir.
« Comment Yugong déplaça des montagnes ? » (愚公移山)
C’est le titre d’une légende que Mao Zedong aimait citer : quand Yugong et ses fils décident de déplacer deux montagnes, le vieux Zhisou (智叟) se moque d’eux en leur disant que c’est impossible. Mais Yugong lui répond que, même s’il faut plusieurs générations pour y parvenir, finalement cela se fera.
Les étudiants de Hongkong suscitent mon admiration. Après avoir constaté que le chef de l’exécutif de Hongkong, C.Y. Leung (6), refusait de dialoguer avec eux, ils ont interpelé d’autres membres du gouvernement. Puis, après l’échec de cette confrontation, ils ont décidé d’aller à Pékin pour s’exprimer face aux plus hauts responsables. Mais on leur a signifié qu’il était inutile de s’y rendre car ce serait en pleine réunion de l’APEC (Réunion des pays de l’Asie Pacifique). Alors, en ce moment, ils cherchent à contacter Tung Chee-Hwa, l’ancien chef de l’exécutif de Hongkong, pour qu’il leur arrange un rendez-vous avec un des leaders chinois (7). Et ils avertissent : s’ils ne parviennent pas à leurs fins, ils poursuivront leur mouvement de protestation jusqu’au mois de juin 2015, quand le Conseil législatif de Hongkong devra voter ou rejeter la réforme législative mise en avant par Pékin.
Ayant enseigné quinze années dans diverses universités chinoises, jamais je n’y ai rencontré de jeunes faisant preuve d’une telle maturité politique, d’une telle détermination, d’une telle audace ! La RAS engendre des jeunes libres et responsables. Encore un autre paradoxe : ces étudiants Hongkongais ont adopté le style de ténacité de Yugong, celle que Mao voulait promouvoir durant sa dictature. Quant à ceux qui critiquent les étudiants, ils ressemblent à Zhisou. Ce sont souvent des gens qui craignent la confrontation, qui n’osent pas entreprendre ou qui n’ont pas de vision d’avenir.
Pierre Jeanne, MEP
Hongkong, le 9 novembre 2014.