Eglises d'Asie

Des croix démantelées par les autorités de l’Etat Chin

Publié le 30/01/2015




Le gouvernement de l’Etat Chin, qui abrite une importante communauté chrétienne, ordonne le retrait d’une croix haute de plus de 16 mètres et menace de prison les responsables chrétiens, dénoncent plusieurs ONG de défense des droits de l’homme. 

C’est par un communiqué de presse, paru le 28 janvier, que l’organisation Chin Human Rights Organization (CHRO) a tiré la première la sonnette d’alarme, avant d’être relayée par plusieurs médias et ONG.

« Si la Birmanie veut avancer sur le chemin authentique des réformes, elle doit de toute urgence protéger et respecter les droits de l’homme les plus élémentaires, a notamment déclaré le directeur de Christian Solidarity Worldwide (CSW), Mervyn Thomas, ce 30 janvier. L’ordre de détruire cette croix et la persécution des représentants des Chin illustrent une fois encore que la liberté de religion continue d’être violée en Birmanie ; nous appelons les autorités de l’Etat Chin à annuler ce décret ainsi que les charges portées à l’encontre de Tial Cem. »

A la mi-janvier, la communauté chrétienne, majoritairement baptiste dans la région, était informée qu’elle avait jusqu’au 30 janvier pour retirer la croix installée au sommet de la colline Caarcaang dominant Hakha, capitale de l’Etat, en raison du fait qu’elle avait été élevée « sans autorisation officielle ».

En réponse à cet ultimatum, les chrétiens chin se sont rendu le 23 janvier au poste de police de leur district afin de solliciter, comme l’exige la loi, la permission de manifester contre le décret, avant l’expiration du délai, soit les 29 et 30 janvier. N’ayant reçu aucune réponse à leurs demandes, les responsables de la communauté ont alerté la CHRO et c’est peu après la publication du communiqué de presse de cette dernière que le chef de l’Etat Chin, Hung Ngai, ancien général de l’armée birmane, a averti les chrétiens qu’un délai concernant le démantèlement serait finalement accordé afin que la question de l’illégalité de la construction de la croix puisse être discutée lors de la session du cabinet ministériel, laquelle débuterait le 2 février prochain.

Les organisateurs ont ensuite reçu leur autorisation à manifester, non aux dates demandées mais pour les lundi 2 et mardi 3 février, de 10 h à 12 heures. Les participants devraient être plusieurs milliers, avancent les responsables de la communauté chrétienne.

Selon le gouvernement de l’Etat Chin – dont il n’est pas précisé s’il bénéficie ici du soutien de Naypyidaw –, la croix aurait été installée le 29 avril dernier sans permis de construction et aurait de surcroit été fabriquée en bois de pin, coupé sans l’autorisation des autorités locales. Un délit passible de deux ans de prison.

A cette accusation de construction illégale, les chrétiens ont rétorqué qu’ils n’avaient pas pu « demander un permis officiel, sachant par avance qu’il leur était impossible de l’obtenir ». Une constatation confirmée par la CHRO qui rappelle que « les restrictions discriminatoires [instaurées par l’administration publique] rendent pratiquement impossible d’obtenir des permis de construire pour des édifices religieux » non bouddhistes.

Cet incident est en effet loin d’être le premier dans la région. Ces dernières années, les autorités de l’Etat ont refusé systématiquement toute construction d’églises et de symboles religieux et ont fait détruire plus de 13 croix. Les restrictions et les contraintes que subissent les chrétiens dans l’exercice de leur culte, ainsi que leur « bouddhisation » forcée ont d’ailleurs fait en 2012, l’objet d’un rapport de la CHRO intitulé « Menaces sur notre existence : la persécution des chrétiens d’ethnie chin en Birmanie ».

Quant à l’ONG Christian Solidarity Worldwide (CSW), elle affirme : « La destruction de croix chrétiennes dans la région est depuis longtemps une politique des autorités birmanes, souvent accompagnée par l’obligation faite aux chrétiens chin d’édifier des pagodes bouddhistes à leur place ».

Les autorités ont également incriminé un fidèle de la région, Tial Cem, ancien représentant de la communauté chin et l’un des chrétiens à l’origine de la construction de la croix. Accusé d’avoir abattu des arbres sans autorisation officielle, il a été entendu mercredi 28 janvier par la Cour d’Hakha. Il s’agit de sa sixième convocation et aujourd’hui, il risque deux ans de prison ferme au titre de la Loi sur les forêts de 1992. « Nous ne retirerons pas la croix, a cependant affirmé le leader chrétien. Nous ferons face quoi qu’il arrive et si je dois aller en prison, j’irai, je n’ai pas peur. »

Le bois ayant servi à la construction de la croix venant d’un terrain adjacent au Calvaire appartenant à un certain JP Biak Tin Sang, ce dernier est désormais accusé d’avoir « utilisé sa propriété à des fins religieuses » et risque lui aussi des poursuites judiciaires.

Beaucoup de chrétiens chin, expliquait encore la CHRO dans son rapport de 2012, cherchent à contourner les restrictions religieuses en demandant des autorisations de construction au nom d’un individu, plutôt que d’une organisation chrétienne. Mais si les autorités soupçonnent que la finalité des constructions est religieuse (et non-bouddhiste), l’autorisation peut être révoquée à tout moment. JP Biak Tin Sang et Tial Cem avaient ainsi demandé et obtenu la permission de la municipalité de Hakha de construire un orphelinat sur le même site que la croix. Mais cette autorisation a été annulée en octobre dernier et Tial Cem convoqué au tribunal.

Dans son communiqué du 28 janvier, la CHRO a exhorté les autorités birmanes à annuler le démantèlement de la croix, et à lever les « fausses accusations » portées à l’encontre de Tial Cem. « Cet ordre de destruction de la croix démontre la poursuite d’une politique discriminatoire à l’encontre des chrétiens chin depuis des décennies », a déclaré le directeur de l’ONG, Salai Bawi Lian Mang. « Les autorités ont un choix à faire maintenant : ou elles stoppent tout, annulent le décret et abandonnent les charges contre Tial Cem, (…) ou elles continuent, et montrent au monde que rien n’a changé. »

Avec l’affaire de la croix de Hakha, la situation des chrétiens de l’Etat chin, relativement peu connue, sort quelque peu de l’ombre. Le magazine The Irrawady notamment y consacre un article dans son édition du 29 janvier. On y apprend que la croix menacée de démantèlement est aujourd’hui « l’une des dernières grandes croix restant dans la région, toutes les autres ayant déjà été détruites ».

Et sur les réseaux sociaux circulent les photos d’une centaine de jeunes chrétiens chins disposant des bougies en forme de croix devant le Bandoola Parc Maha à Rangoun lors d’une veillée de prière jeudi soir …

(eda/msb)