Eglises d'Asie

Mgr Liu Guandong est décédé : une grande figure de l’épiscopat « clandestin » disparaît

Publié le 05/11/2013




La nouvelle remonte à une semaine mais n’a été connue qu’aujourd’hui par la diffusion d’une dépêche de l’agence Ucanews : le 28 octobre dernier, Mgr Pierre Liu Guandong, évêque émérite et « clandestin » du diocèse de Yixian, dans la province du Hebei, est mort. Décédé à l’âge de 94 ans, celui qui fut le président de la Conférence des évêques catholiques « clandestins »…

… de Chine vivait caché depuis 1997. Dans la plus stricte clandestinité, il a été inhumé le 29 octobre en un lieu tenu secret.

La vie et le parcours de Mgr Liu Guandong appartiennent à cette partie de l’Eglise catholique en Chine, particulièrement forte dans un certain nombre de diocèses du Hebei – notamment celui de Yixian- qui, avec constance et détermination, a refusé de se soumettre à la politique religieuse du gouvernement communiste et qui le plus souvent, a payé cher ce refus. Selon un prêtre « clandestin » interrogé par Ucanews, Mgr Liu avait joué « un rôle central » lors de l’établissement en 1989, de la Conférence des évêques « clandestins », un acte qui avait « contribué à affirmer la continuité de l’existence en Chine d’une Eglise fidèle au Saint-Siège ».

Né en 1919 au sein d’une famille catholique de Yixian, le jeune Liu entre au séminaire en 1935. Il ne sera ordonné que dix ans plus tard, le cours de sa formation ayant été perturbé par la guerre qui sévit alors en Chine. Rapidement après la prise du pouvoir des communistes, le P. Liu est confronté aux manœuvres auxquelles se livre le nouveau régime pour mettre en place une « Association patriotique des catholiques chinois ». La résistance des catholiques est vive et le P. Liu est arrêté une première fois en 1955 ; il est emprisonné durant deux ans pour s’être opposé à la mise en place de l’Eglise indépendante de Rome que veut le nouveau pouvoir. Lorsqu’il sort de prison, l’Association patriotique vient d’être mise en place.

Dès 1958, le P. Liu, qui refuse d’adhérer à la nouvelle structure « officielle », est de nouveau arrêté et traduit devant un tribunal. Condamné à la prison à vie, il rejoint les cohortes d’évêques, de prêtres et de fidèles qui payent alors de leur liberté leur opposition à la politique religieuse de Pékin. Il ne sortira de prison puis des camps de travail qu’en 1981.

A l’âge de 62 ans, il commence une vie pastorale consacrée à la reconstruction de l’Eglise, à la faveur des libertés qui sont peu à peu concédées par le régime sous Deng Xiaoping. Dès 1982, il est consacré, toujours dans la clandestinité, évêque coadjuteur du diocèse de Yixian et en devient l’ordinaire quatre ans plus tard. A une époque où les tensions sont très fortes entre ceux qui estiment pouvoir travailler au sein des structures « officielles » mises en place par les autorités et ceux qui refusent toute compromission avec un régime qu’ils estiment hostile à une Eglise en lien avec Rome, Mgr Liu appartient aux seconds.

Devenu l’une des principales figures de cette Eglise « clandestine », il fait partie de ceux qui décident de fonder une Conférence épiscopale « clandestine ». La première – et unique – réunion de cette assemblée a lieu le 21 novembre 1989 dans la province du Shaanxi et Mgr Liu en est élu président. Mais, une semaine plus tard, il est arrêté par la police et, au cours des semaines suivantes, il en sera de même pour tous les participants. Accusé d’avoir « fomenté, organisé et formé des organisations illégales » ainsi que d’avoir « pris part à des activités illégales », il sera condamné, en même temps que le vicaire général du diocèse de Baoding (autre bastion des « clandestins »), à trois ans de détention dans un camp de rééducation par le travail.

Libéré en mai 1992, Mgr Liu est soumis à une intense surveillance policière. En 1994, il souffre d’une crise cardiaque et, affaibli, décide de se retirer. Mais la police craignant une résurgence de la Conférence épiscopale « clandestine », l’évêque est placé en résidence surveillée dans son village natal, à Weigezhuang. En 1997, à la barbe des policiers, plusieurs prêtres réussissent à l’exfiltrer et l’emmènent, diminué par l’âge et la maladie mais toujours aussi déterminé, hors de portée des autorités. Depuis cette date jusqu’au 28 octobre 2013, Mgr Liu restera caché.

La mort de Mgr Liu laisse le diocèse de Yixian dans une situation difficile. Son successeur, Mgr Côme Shi Enxiang, aujourd’hui âgé de 91 ans, a été arrêté par la police en 2001 et, depuis cette date, aucune nouvelle de lui n’a filtré (1).

Selon les observateurs, avec la mort de Mgr Liu Guandong disparaît un visage de l’Eglise de Chine qui a incarné la résistance à la politique de contrôle de l’Eglise voulue par le pouvoir communiste. Aujourd’hui, si des évêques « clandestins » poursuivent ce combat – tels Mgr Su Zhimin, de Baoding, qui fut ordonné évêque en 1993 par Mgr Liu Guandong et dont quasiment aucune nouvelle n’a filtré depuis son arrestation le 8 octobre 1997 –, d’autres, au sein de la partie « officielle » de l’Eglise, se battent également pour permettre à l’Eglise de vivre en-dehors de la tutelle de l’Association patriotique.

Eux aussi se heurtent à l’arbitraire du pouvoir chinois. Depuis son ordination épiscopale de juillet 2012, l’évêque « officiel » de Shanghai, Mgr Ma Daqin, est ainsi empêché d’exercer son ministère. Retenu en résidence surveillée, il a toutefois fait une brève réapparition le 24 octobre 2013. C’était au centre funéraire de Longhua, à Shanghai, à l’occasion des obsèques du P. Shen Baoyi (2). En juillet dernier, Mgr Ma Daqin, accompagné par des fonctionnaires du gouvernement local, avait été aperçu en visite à Jinggangshan, berceau de l’Armée rouge dans les montagnes du Jiangxi.

La signification de ces déplacements demeure incertaine : le régime de résidence surveillée de Mgr Ma serait-il en passe d’être allégé ? Mgr Ma aurait-il donné des gages aux autorités de sa fidélité à la ligne politique officielle ? Ou bien, Mgr Ma, qui doit ses ennuis au fait d’avoir démissionné de l’Association patriotique et d’avoir réussi à faire en sorte que seuls des évêques en communion avec Rome lui imposent les mains lors de sa messe d’ordination épiscopale, se montrerait-il entêté et aurait besoin d’un surcroît d’éducation « patriotique » ? Ainsi que l’explique une source anonyme à l’agence Ucanews, « il est trop tôt pour se prononcer ».

(eda/ra)