Eglises d'Asie

Un universitaire assassiné par les islamistes pour s’être opposé au port de la burqa

Publié le 18/11/2014




Pour la troisième journée consécutive, les cours et les examens étaient suspendus aujourd’hui à l’Université de Rajashahi où un professeur de sociologie a été assassiné par des islamistes samedi dernier pour s’être opposé en 2010 au port de la burqa, voile intégral musulman, par l’une de ses étudiantes.

Depuis dimanche 16 novembre, étudiants et enseignants de l’université de Rajashahi, située dans la partie nord-ouest du Bangladesh, manifestent et boycottent les cours, réclamant l’arrestation immédiate des meurtriers de Shafiul Islam, qui était « aimé de tous » et n’avait « commis que le crime d’être tolérant et respectueux de la religion de chacun ».

Différentes organisations étudiantes sont venues gonfler les rangs des manifestants lundi et aujourd’hui, mardi 18 novembre, où ils étaient plus d’un millier à former une chaine humaine le long des routes de Rajshahi, et à manifester sur le campus des universités de Dacca, la capitale.

L’ensemble du corps enseignant de l’université a d’ores et déjà averti que le mouvement de protestation prendrait encore plus d’ampleur si les assassins n’étaient pas traduits en justice dans les quinze jours.

Le 15 novembre, dans l’après-midi, Shafiul Islam, 51 ans, professeur de sociologie, a été attaqué par plusieurs jeunes, à quelques pas de sa résidence de Bihashpalli, alors qu’il revenait de l’université. Selon les premiers éléments de l’enquête, il a été tué par des coups portés à la tête et au cou avec des lames tranchantes, probablement des machettes. L’universitaire est décédé peu après des suites de ses blessures au Rajshahi Medical College.

Dans la soirée du 15 novembre, l’assassinat était revendiqué par un groupe islamiste jusqu’alors inconnu, l’Ansar al Islam Bangladesh-2, sur sa page Facebook créée quelques heures plus tôt. On pouvait y lire : « Aujourd’hui, nos moudjahidins ont exécuté un apostat qui avait interdit aux étudiantes de porter la burqa dans son département et dans les salles de classe. » Une revendication suivie d’une menace : « Attention à vous tous, apostats de l’islam et athées ! »

La page Facebook du groupe islamiste cite ensuite des articles de la presse locale datant de 2010 en expliquant que le professeur Shafiul Islam, qui dirigeait à l’époque le département de sociologie de l’université, avait exigé que ses étudiantes ôtent leur voile pendant les cours et avant les examens.

« Shafiul pensait que le voile intégral rendait impossible l’identification des élèves et que, dans les salles de classe et d’examen, le port du voile pouvait permettre de tricher, comme cela était déjà arrivé », explique aujourd’hui aux médias, l’un des collègues de la victime, Sirajul Islam

Mais ajoute ce dernier, ce n’est pas seulement en raison de « l’affaire de la burqa » que l’universitaire a été assassiné, mais aussi parce qu’il était l’objet « depuis longtemps de menaces de mort pour sa critique ouverte du mouvement Jamaat-Shibir sur le campus. »

L’université de Rajshahi est en effet connue pour être l’un des bastions de cette aile étudiante réputée très violente du principal parti islamique du pays, le Jamaat-e-Islam. C’est, confie l’un des amis du professeur assassiné, l’une des raisons pour lesquels Shafiul Islam avait tenu à enseigner dans cette université, une « zone sensible » où il tentait de prêcher la tolérance religieuse.

Shafiul Islam était un adepte du mouvement Bâul, très populaire dans cette partie ouest du Bangladesh, de culture essentiellement bengalie. Ses membres qui se définissent comme des musiciens et chanteurs « mystiques », prônent une religion syncrétique, mêlant hindouisme et islam auxquels ont été incorporés des éléments du soufisme et du bouddhisme.

Le fils unique de la victime, Soumin Shahrid Javin, est convaincu que son appartenance au Bâul est la véritable cause de son assassinat. « Mon père ne se contentait pas d’adhérer au Bâul, il le vivait réellement, composant des chants et de la musique qu’il jouait lors de concerts privés, a-t-il déclaré le 16 novembre au Dhaka Tribune. Il ne faisait pas de politique, mais prêchait l’humanisme ; c’est pourquoi des islamistes comme ceux du Jamaat-Shibir ne l’aimaient pas et l’ont tué. »

Parmi la vingtaine de personnes arrêtées à Rajshahi en relation avec le meurtre, onze sont actuellement en détention provisoire et attendent d’être déféré devant un juge. Figurent, parmi les personnes écrouées, un enseignant du collège Fazlul Haque et Humayun Ahmed, principal de l’Islamia Degree College, une institution considérée comme l’un des plus importants viviers de l’Islami Chhatra Shibir.

Au-delà du choc provoqué par l’assassinat de Shafiul Islam, les membres de l’université Rajshahi ne cachent pas leur inquiétude : le professeur de sociologie n’est pas le premier à avoir été tué par les islamistes, et si l’on en croit la page Facebook du groupe Ansar al Islam qui a revendiqué l’attaque, il ne sera pas le dernier.

Le matin du 24 décembre 2004, Muhammad Yunus Ali, professeur d’économie avait été tué à Binodpur, près du campus universitaire, alors qu’il faisait son jogging. Ses assassins, des hommes du mouvement islamiste Jamaat-ul-Mujahideen Bangladesh ont été jugés depuis pour meurtre et condamnés à mort en 2010.

Le 1er février 2006, Sheikh Taher Ahmed, professeur de géologie, avait été enlevé dans sa résidence, et son cadavre avait été retrouvé deux jours plus tard. Quatre personnes avaient été condamnées à mort en 2008 pour cet assassinat, dont Mia Mohammad Moinuddin, un enseignant affilié au Jamaat-e-Islami qui était également professeur à l’université Rajshahi.

Mais la page Facebook d’Ansar al Islam revendique d’autres meurtres, et en annonce de nouveaux.

Ont été postées en effet les photographies, barrées de rouge, de Shafiul Islam et de deux autres victimes dont les assassins demeurent pour le moment non identifiés ; le blogueur Rajib Haider (1), assassiné l’année dernière, et Ashraful Alam, un étudiant de 22 ans, de l’université de Daffodul, massacré à son domicile en septembre dernier. Sur leur visage barré en rouge, figure la mention « exécuté ».

Dans toutes ces affaires, le mode opératoire est effectivement le même, accréditant la thèse d’un même groupe, ou du moins d’une même mouvance, qui serait à l’origine des attaques commises il y a plusieurs années à Rajshahi et de celles plus récentes, revendiquées aujourd’hui. Ashraful Alam, le blogueur Haider et les professeurs Yunus, Shafiul Islam ont tous été « exécutés » par des coups portés à la tête et au cou avec des lames tranchantes, identifiées comme des machettes.

Sur la page Facebook d’Ansar al Islam toujours, ont été postées également deux autres photos : celles de deux blogueurs, Asif Mohiuddin and Rakib Mamun, accompagnées de la légende : « Première tentative : échec. Deuxième tentative : à venir ».

Le blogueur athée Asif Mohiuddin, avait été laissé pour mort en janvier 2013 devant son bureau de Dacca, après avoir été frappé à coups de couteaux par des individus non identifiés. Il n’avait survécu qu’en raison de l’épaisseur de ses vêtements d’hiver qui avaient protégé son cou, analyse ce mardi 18 novembre, le site d’information bangladais, bdnews24.com.

Quant à Rakib Mamun, âgé de 28 ans, il a été attaqué en juin dernier et emmené dans un état très critique à l’hôpital après avoir posé sur sa page Facebook un appel à poursuivre et condamner à mort les criminels de guerre. Selon les témoins, les assaillants appartenaient au Jammat-shibir, mais aucun d’eux n’avait pu être arrêté.

(eda/msb)