Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Les évêques catholiques du Japon : « La paix ne doit pas dépendre des armes »

Publié le 11/03/2015




A quelques mois de la célébration du soixante-dixième anniversaire des bombardements atomiques de Hiroshima et de Nagasaki et de celui de la fin de la seconde guerre mondiale, l’épiscopat japonais a publié un message pour réaffirmer « la vocation particulière à travailler pour la paix » de l’Eglise qui est au Japon. En ces temps de « montée du nationalisme …

… au Japon », les évêques redisent leur attachement à la Constitution de leur pays, dans laquelle est inscrite, depuis 1946, « la décision de renoncer à la guerre », qualifiée par eux d’« exigence de l’Evangile du Christ ».

Le message des évêques est daté du 25 février dernier et s’inscrit dans le sillage de l’appel à la paix lancé par le pape Jean-Paul II le 25 février 1981 à Hiroshima. Il y a trente-quatre ans, depuis la cité martyrisée par la bombe atomique, le pape dénonçait la guerre comme « une œuvre de l’homme », synonyme de « destruction » et de « mort ». En 1995 puis en 2005, pour le 50ème et le 60ème anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, les évêques japonais avaient saisi l’occasion pour redire leur attachement non seulement à la paix, mais à la nature prophétique pour le monde du renoncement à la guerre inscrit dans l’article 9 de la Constitution japonaise, article qualifié par eux de « trésor dont le Japon peut être fier ».

Classique dans sa facture, le message des évêques n’omet pas de rappeler que si l’engagement de l’Eglise du Japon pour la paix s’inscrit dans « les horreurs infligées par les armes nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki », il s’enracine aussi dans les « remords profonds que nous exprimons quand nous réfléchissons à l’attitude de l’Eglise au Japon avant et pendant la guerre », claire allusion au fait que l’épiscopat japonais, à l’époque du Japon impérialiste et militariste, ne s’est pas opposé à la politique menée par les dirigeants d’alors.

Intitulé « Bienheureux les artisans de paix », le message affirme que, face à la montée des nationalismes dans la région de l’Asie du Nord-Est, la course aux armements n’est pas la solution. Au Japon, la droite nationaliste, actuellement au pouvoir en la personne du Premier ministre Abe Shinzo, les inquiète manifestement. « Désormais, on entend des appels à réécrire l’histoire [des années 1930-1940], niant ce qui s’est réellement passé. Le gouvernement actuel s’efforce d’adopter des lois pour protéger les secrets d’Etat, de permettre le droit à la légitime défense collective et de modifier l’article 9 de la Constitution afin d’autoriser l’utilisation de la force militaire à l’étranger », peut-on lire dans le document.

En saisissant l’anniversaire du discours du pape Jean-Paul II à Hiroshima, les évêques prennent date. Ils savent que l’année 2015 est particulière : outre le 70ème anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, le Premier ministre Abe dispose de tous les leviers, au sein des pouvoirs exécutif et législatif, pour faire aboutir son programme visant, comme il l’a déjà dit à plusieurs reprises, à « abandonner le régime d’après-guerre », perçu comme ayant été imposé au Japon par l’occupant américain. En visite il y a deux jours à Tokyo, la chancelière allemande Angela Merkel a cité les propos tenus en 1985 par le président allemand Richard von Weizsäcker : « Celui qui ferme les yeux devant le passé s’aveugle pour l’avenir. » Dans les chancelleries et tout particulièrement chez les voisins du Japon, en Corée, en Chine ainsi que dans l’Asie du Sud-Est, on attend de voir quelle sera la teneur du discours que le Premier ministre japonais prononcera pour les anniversaires du 6 et du 9 août 1945 (bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki) et surtout celui du 15 août 1945 (annonce par l’empereur de la reddition du Japon).

La traduction française est de la Rédaction d’Eglises d’Asie.

 

70 ans après la guerre
Bienheureux les artisans de paix
Tout particulièrement aujourd’hui, la paix ne doit pas dépendre des armes

A nos frères et sœurs dans le Christ et à tous ceux qui souhaitent pour la paix,

La Conférence des évêques catholiques du Japon a publié des messages marquant la fin de la seconde guerre mondiale, en 1995 (« Résolution pour la paix – à propos du 50e anniversaire de la fin de la guerre ») et 2005 (« Message pour la paix soixante ans après la fin de la seconde guerre mondiale – La route vers la paix fondée sur la non-violence – Il est temps de se montrer prophétique »). En cette année 2015 où nous célébrons le 70e anniversaire de la fin de la guerre, nous voulons déclarer une fois de plus notre engagement en faveur de la paix.

1. L’Eglise ne peut rester silencieuse face aux menaces qui pèsent sur la vie et la dignité humaine

Pour l’Eglise catholique, 2015 est une année particulière en ce qu’elle marque le 50e anniversaire de la fin du Concile Vatican II (1962-1965).

Dans la première moitié du XXe siècle, l’Eglise chrétienne centrée en Europe a connu deux guerres mondiales et un génocide contre les juifs perpétrée par l’Allemagne nazie. En réfléchissant sur ces tragédies, l’Eglise ne peut pas se replier sur elle-même en arguant qu’elle n’a à se préoccuper que des seules questions « religieuses ». Nous avons pris conscience que les problèmes de l’humanité sont nos problèmes. La Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, publiée à la fin du Concile Vatican II, est une illustration limpide de cela ; elle s’ouvre par ces mots : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur » (1).

De la fin du Concile Vatican II jusqu’au pontificat du pape François aujourd’hui, l’Eglise s’est résolument intéressé aux questions de la vie et de la dignité humaine, en particulier de tous ceux qui sont exclus ou opprimés (2).

2. La décision de renoncer à la guerre

La domination coloniale japonaise sur la péninsule coréenne jusqu’en 1945 ainsi que les actes d’agression contre la Chine et d’autres pays asiatiques ont causé de grandes souffrances. La seconde guerre mondiale a aussi été une expérience horrible pour le peuple japonais. Le raid aérien lancé sur Tokyo le 10 mars 1945 n’a été que l’un des nombreux bombardements aériens qui ont frappé de nombreuses villes à travers le Japon. Sans compter les nombreux soldats japonais et étrangers qui ont trouvé la mort lors des combats terrestres livrés à Okinawa, bien des civils ont souffert de la guerre. Et, finalement, il y a eu les bombardements atomiques de Hiroshima le 6 août et de Nagasaki le 9 août 1945. Ces expériences ont donné naissance à un désir de paix qui a été inscrit dans la Constitution du Japon promulguée en 1946 sur la base de la souveraineté du peuple, de la renonciation à la guerre et du respect des droits fondamentaux. Fort de cette Constitution pacifique, le Japon s’est efforcé par la suite de construire des relations de confiance et d’amitié avec les nations de l’Asie.

En dépit de la guerre froide et puis dans le contexte nouveau né de la chute du mur de Berlin, l’Eglise catholique a, dans le monde entier, fait savoir de plus en plus clairement son opposition à la course aux armements et à l’utilisation des armes pour régler les différends.

Dans son encyclique Pacem in Terris, le pape Jean XXIII écrivait : « (…) il devient humainement impossible de penser que la guerre soit, en notre ère atomique, le moyen adéquat pour obtenir justice d’une violation de droits » (3). Dans Gaudium et Spes de Vatican II, on lit une dénonciation de la course aux armements et un appel urgent à établir la paix sans recourir à la force militaire (4). Dans son appel pour la paix à Hiroshima en 1981, le pape Jean Paul II a fait sienne cette renonciation claire de la guerre quand il a dit : « La guerre est l’œuvre de l’homme. La guerre est la destruction de la vie humaine. La guerre est la mort. »

Compte tenu de cet arrière-plan historique, il est évident que nous, les évêques catholiques japonais, respectons les idéaux pacifiques de la Constitution de notre pays (5). Pour les chrétiens, la renonciation à la guerre est exigée par l’Evangile du Christ. C’est là un respect de la vie qui ne peut pas être abandonné par les personnes religieuses et un idéal qui est fermement défendu par le genre humain tout entier.

3. La vocation à la paix de l’Eglise du Japon

La Conférence des évêques catholiques du Japon sait qu’elle a une vocation particulière à travailler pour la paix. Elle ne s’appuie pas une idéologie politique particulière. Si nous persévérons à appeler à la paix, nous n’en faisons pas une question politique, mais une question qui concerne l’humanité. Notre prise de conscience de cette vocation est, bien sûr, influencée par les horreurs infligées par les armes nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki, mais elle est aussi issue des remords profonds que nous exprimons quand nous réfléchissons à l’attitude de l’Eglise au Japon avant et pendant la guerre.

Lors d’une messe célébrée le 26 septembre 1986 à l’occasion d’une assemblée plénière de la Fédération des Conférences épiscopales d’Asie (FABC) tenue à Tokyo, Mgr Shirayanagi, archevêque de Tokyo, fit la déclaration suivante : « Nous, évêques catholiques du Japon, en tant que Japonais et en tant que membres de l’Eglise catholique au Japon, demandons sincèrement pardon à Dieu et à nos frères et sœurs de la région Asie-Pacifique pour la tragédie apportée par les Japonais durant la seconde guerre mondiale. Ayant été impliqués dans la guerre, nous partageons la responsabilité pour les plus de 20 millions de victimes en Asie et dans le Pacifique. En outre, nous regrettons profondément avoir attenté à la vie et aux cultures des peuples de ces régions. Le traumatisme de cette ne est toujours pas guéri. »

Ces mots n’étaient pas ceux d’un évêque isolé. Mgr Shirayanagi s’exprimait en tant que président de la Conférence des évêques, se faisant le porte-parole de l’opinion de l’ensemble de la conférence (6). Comme mentionné ci-dessus, dans leurs messages pour le 50e et le 60e anniversaire de la fin de la guerre, les évêques ont poursuivi leur réflexion sur la question de la responsabilité de l’Eglise avant et pendant la guerre et, partant de ce point de vue, ont exprimé leur engagement en faveur de la paix.

4. Au sujet des problèmes tels que l’acceptation de l’Histoire et l’exercice de la légitime défense collective

Soixante-dix ans après la guerre, la mémoire de celle-ci s’estompe, tout comme s’efface le souvenir de la domination coloniale japonaise, de sa brutalité et des crimes contre l’humanité qui l’ont accompagné. Désormais, on entend des appels à réécrire l’histoire de cette époque, niant ce qui s’est réellement passé. Le gouvernement actuel s’efforce d’adopter des lois pour protéger les secrets d’Etat, de permettre le droit à la légitime défense collective et de modifier l’article 9 de la Constitution afin d’autoriser l’utilisation de la force militaire à l’étranger.

Dans le même temps, nous ne pouvons pas ignorer la montée du nationalisme non seulement au Japon, mais parmi les gouvernements des autres pays de cette partie du monde. Alors que les tensions montent entre les nations, un engagement fort visant à améliorer les relations par le dialogue et la négociation plutôt que la militarisation accrue devient plus nécessaire que jamais pour préserver la stabilité régionale.

Sur le plan intérieur, la situation à Okinawa pose un problème particulièrement grave. Comparativement au reste du pays, le nombre des bases militaires [américaines – NdT] y est particulièrement élevé. Une nouvelle base est en cours de construction en dépit de la volonté exprimée par les habitants de la préfecture. Ceci témoigne d’une attitude qui met la priorité sur les armements, tout en ignorant l’opinion des gens et les efforts pour construire la paix.

5. Au milieu des crises graves auxquels est confronté le monde d’aujourd’hui

En observant le monde d’aujourd’hui, on constate que les tragédies induites par les conflits militaires et le terrorisme se produisent encore et encore dans de nombreux endroits. En plus des conflits entre nations et groupes ethniques, désormais la violence exercée au nom de la religion peut laisser penser que le dialogue à l’échelle de la planète est devenu impossible. Dans cette situation, les femmes et les enfants ainsi que les minorités ethniques et religieuses sont particulièrement menacés et beaucoup perdent la vie.

Face à une telle capacité de destruction à l’œuvre dans le monde, le pape François a exprimé la crainte que certaines personnes parlent désormais d’une « troisième guerre mondiale » plutôt que de s’attacher à travailler à ne pas répéter les erreurs du passé (7). Le monde est confronté à des crises d’une telle intensité et d’une nature si particulière que bien des voix s’élèvent pour dire que le recours à la force est la réponse qui s’impose. Mais qu’est devenu le respect de l’humanité ? Répondre constamment à la violence par la violence ne fera que conduire à la perte et à la destruction de l’humanité.

Le monde est dominé par la mondialisation des entreprises et du système financier. Les inégalités continuent de se creuser et les pauvres sont exclus. L’activité économique humaine est à l’origine du changement climatique et de la destruction de la biodiversité. Si nous voulons réaliser la paix, cette situation doit changer. Nous ne pouvons ignorer les problèmes de la pauvreté et de l’environnement qui produisent disparités et exclusion. Chacun de nous, nous sommes appelés à surmonter notre indifférence aux problèmes du monde et à changer nos vies. Nous ne pouvons pas résoudre tous les problèmes du monde à la fois, mais nous pouvons nous attacher à travailler patiemment à la paix et à la compréhension mutuelle.

En conclusion

Nous rappelons les paroles du pape Jean-Paul II dans son Appel pour la paix à Hiroshima : « La paix doit toujours être l’objectif : une paix poursuivie et protégée en toutes circonstances. Ne répétons pas le passé, un passé de violence et de destruction. Laissons-nous embarquer sur le chemin escarpé et difficile de la paix, la seule voie qui convienne à la dignité humaine, la seule voie qui mène au véritable accomplissement de la destinée humaine, la seule voie vers un avenir dans lequel l’équité, la justice et la solidarité sont des réalités et pas seulement des rêves lointains » (8).

Ces paroles de Jésus-Christ : « Heureux les artisans de paix » (Mt 5,9) sont un encouragement pour nous. Soixante-dix ans après la fin de la guerre et cinquante ans après la fin du Concile Vatican II, nous renouvelons notre détermination à rechercher la paix et à travailler pour la paix. Nous, catholiques au Japon, sommes un petit nombre mais, en union avec les autres chrétiens et avec les croyants des autres religions et ceux à travers le monde qui veulent la paix, nous renouvelons notre engagement à travailler à faire de la paix une réalité durable.

Le 25 février 2015,
la Conférence des évêques catholiques du Japon.

(eda/ra)