Eglises d'Asie

Assassin ou martyr ? : le pays divisé au sujet de Mumtaz Qadri, meurtrier du gouverneur du Pendjab

Publié le 29/01/2015




Le procès en appel de Mumtaz Qadri, assassin du gouverneur du Pendjab Salman Taseer en 2011, lequel devait débuter le 27 janvier, vient d’être repoussé au 3 février. Le pays est sous tension, écartelé entre les pressions et les menaces des islamistes, qui soutiennent le « héros de l’islam »,…

… défenseur de la loi anti-blasphème, et les représentants des minorités ainsi que les défenseurs des droits de l’homme, qui craignent une aggravation de l’intolérance religieuse.

Le 4 janvier 2011, à Islamabad, Salman Taseer, gouverneur musulman de la province du Pendjab, était abattu d’une rafale de Kalachnikov par l’un de ses gardes du corps, appartenant à la police d’élite de l’Etat, Malik Mumtaz Hussein Qadri. Ce dernier se rendait immédiatement, affirmant avec fierté avoir tué au nom de l’islam un « apostat indigne de se dire musulman » et qui, non content d’avoir osé qualifier « les lois anti-blasphème de kala kanoon (‘loi noire’) », s’était rendu coupable d’avoir « soutenu la blasphématrice Asia Bibi ». Il avait affirmé à la police avoir agi seul, sans l’aide d’une organisation, bien que son affiliation au Dawat-e-Islami, mouvement de prédicateurs extrémistes, ait été rapidement établie.

Salman Taseer, ardent avocat de la démocratie et des droits de l’homme, avait été l’un des rares hommes politiques à défendre la cause d’Asia Bibi, chrétienne emprisonnée et condamnée à mort pour un blasphème qu’elle n’avait pas commis. Malgré les menaces de mort qu’il avait reçues, le gouverneur avait fait savoir qu’il soutiendrait le cas de cette mère de cinq enfants – laquelle attend toujours dans le couloir de la mort de connaître le sort qui lui sera réservé –, étant convaincu de son innocence. Des fatwa demandant sa mort avaient été immédiatement émises par plusieurs mollahs contre lui ; certains avaient même offert des récompenses pour son assassinat, comme pour son collègue chrétien Shahbaz Bhatti, ministre des Minorités, qui sera abattu quelques mois plus tard pour le même soutien apporté à Asia Bibi ainsi que pour son opposition à la loi anti-blasphème.

Mardi 27 janvier, devait avoir lieu devant la Haute Cour d’Islamabad la première audience du procès en appel de Mumtaz Qadri, aujourd’hui âgé de 30 ans. Ce dernier a été condamné à mort en première instance le 1er octobre 2011 par le tribunal anti-terroriste de Rawalpindi. Dès l’annonce du verdict, le magistrat qui l’avait condamné avait reçu des menaces de mort, l’amenant à quitter le pays.

Lors des audiences qui avaient précédé sa condamnation à mort, des centaines de partisans, d’avocats et d’étudiants des écoles coraniques avaient manifesté dans tout le pays, attendant devant le tribunal avant chaque audition pour l’ovationner et lui lancer des pétales de roses. Une « glorification » de l’assassin du gouverneur qui avait inquiété les minorités et les défenseurs des droits de l’homme.

« Notre nation est divisée en deux camps – les modérés et les extrémistes – ; la probabilité est faible de voir la justice rendue quand des avocats, qui sont des personnes censées être instruites, couvrent de fleurs le meurtrier d’un gouverneur connu pour ses positions libérales », s’était alarmé, le 9 janvier 2011, le vicaire général de l’archidiocèse de Lahore, quelques jours seulement après la mort de Salman Taseer.

Mardi 27 janvier, la même situation semble s’être reproduite : mêmes manifestations dans l’ensemble du pays, mêmes menaces de représailles lancées à l’égard du gouvernement si le « héros de l’islam » n’était pas « acquitté et relâché ». Comme quatre ans auparavant, des centaines de militants islamistes se sont rassemblés devant le tribunal d’Islamabad pour chanter des hymnes à la gloire de Mumtaz Qadri tandis que celui-ci arrivait pour être entendu devant la Cour, placée sous haute sécurité. Tout comme la dernière fois, des pages Facebook ont fleuri sur le net en soutien à l’assassin de Salman Taseer (dont l’une d’entre elles réunit plus de 6 000 « amis »), sans compter de nombreux sites et autres fan-clubs sur les réseaux sociaux.

Est-ce cette situation oppressante, les menaces de mort ou d’autres impératifs qui ont conduit les juges à ajourner l’audience du 27 janvier ? La question est posée aujourd’hui par la plupart des catholiques et militants pour les droits de l’homme au Pakistan. « Justice sera-t-elle rendue, malgré les pressions des islamistes ? », s’interroge entre autres le site Christians in Pakistan dans une tribune datée du 28 janvier. L’ajournement de l’audience de Mumtaz Qadri n’est certes pas sans rappeler les reports à répétition des auditions d’Asia Bibi, depuis des années, en raison des manifestations et menaces des islamistes à chaque annonce de parution de celle-ci devant ses juges.

« S’il est acquitté, la peur et l’insécurité augmenteront au Pakistan, avertit l’avocat chrétien Sardar Mushtaq Gill Sardar auprès de l’agence Fides. Ce serait un laissez-passer accordé à l’intolérance religieuse et à l’impunité et cela reviendrait à permettre que des éléments radicaux de la société dictent leur loi au Pakistan ; ce serait une véritable défaite pour la justice. »

(eda/msb)