Eglises d'Asie

La communauté catholique oscille entre l’espoir et l’abattement

Publié le 05/04/2013




Près d’un mois après la violente attaque d’un quartier chrétien de Lahore – attaque qui n’a pas fait de morts mais a laissé sans abri près de 200 familles –, l’état d’esprit de la communauté catholique oscille entre espoir et abattement. Espoir car l’incendie de la Joseph Colony à Lahore a provoqué des manifestations de solidarité encourageantes et abattement…

… car la crainte d’une marginalisation toujours plus grande et le sentiment de vulnérabilité de la petite minorité chrétienne restent toujours aussi forts face à la menace quasi-constante d’une accusation de blasphème.

Depuis l’attaque et l’incendie, le 9 mars dernier, de la Joseph Colony à Lahore, les travaux de reconstruction de ce quartier aux allures de bidonville où vivaient quelque 2 000 chrétiens sont allés bon train. Les autorités de l’Etat du Pendjab ont débloqué des fonds pour l’indemnisation des familles qui avaient perdu leur toit. Elles n’ont pas négligé non plus les églises et l’un des deux lieux de culte chrétiens qui avaient été détruits par le feu a été reconstruit. Il porte désormais une plaque où l’on peut lire l’inscription suivante : « Rehabilitation of church, a project by Punjab Chief Minister Muhammad Shahbaz Sharif ».

Les habitants se montrent toutefois dubitatifs quant à la qualité des travaux engagés. Ils soulignent que les ouvriers se contentent de rebâtir et de peindre les façades des habitations détruites mais qu’à l’intérieur, rien ou presque n’a été reconstruit. Des chèques d’indemnisation donnés par les autorités n’ont pas pu être déposés en banque, leurs titulaires ne pouvant justifier de leur identité, tous leurs papiers ayant disparu dans l’incendie de leurs maisons. L’une des habitantes de la Joseph Colony explique : « les politiques, les policiers, les juges se pressent pour nous aider mais il n’y avait personne pour nous sauver lorsque la foule est venue nous attaquer. Les musulmans ont été nos voisins pendant des années mais je n’ai plus confiance en personne. Seul le Christ nous protégera ».

Le 3 avril dernier, le scénario qui avait vu la destruction de la Joseph Colony à Lahore a failli se reproduire à Francisabad, localité de la banlieue de Gujranwala, ville située à 80 km au nord de Lahore. Francisabad présente la particularité d’abriter l’une des plus importantes communautés chrétiennes du pays et là aussi, ce sont les accusations d’un imam qui ont amené une foule de musulmans en colère à s’en prendre physiquement aux chrétiens. L’imam en question reprochait à des jeunes catholiques de faire trop de bruit avec leur musique à proximité de sa mosquée et de manquer ainsi de respect envers l’islam. La foule des musulmans s’en est pris aux boutiques, aux véhicules et aux habitations des chrétiens. Cette fois-ci, contrairement à ce qui s’était passé à Lahore, la police n’est pas restée passive et a cherché à séparer les deux communautés. Mais en faisant usage de la force, les policiers ont blessé trois jeunes chrétiens.

Pour les chrétiens du Pakistan, qui sont environ 2,5 millions dans un pays de 162 millions d’habitants à 98 % musulmans, ces dernières attaques renvoient à des épisodes tragiques : en 1997, près de huit cents maisons et quatre églises chrétiennes avaient été incendiées à Shantinagar ; en 2009, des maisons de chrétiens étaient brûlées à Bahmani Wala et, la même année, à Gojra, sept chrétiens trouvaient la mort, brûlés vifs, dans l’incendie de leurs maisons. Directeur du Centre pour l’éducation aux droits de l’homme, basé à Lahore, Samson Salamat souligne que la communauté chrétienne avait dû faire face à l’attaque de Gujranwala alors qu’elle se remettait à peine de celle de la Joseph Colony. « Cela montre avec quelle facilité ils [les chrétiens] peuvent être attaqués ; la sécurité des minorités religieuses est dans une situation alarmante », ajoute-t-il.

Ces récents incidents interviennent alors que les électeurs pakistanais s’apprêtent à renouveler leurs députés et les dirigeants du pays. Les élections législatives auront lieu le 11 mai prochain et c’est la première fois depuis l’indépendance qu’un gouvernement aura été jusqu’au bout de son mandat, soit les cinq années que dure une législature au Parlement. Cette relative stabilité institutionnelle cache toutefois mal une désillusion croissante de l’opinion publique vis-à-vis du jeu politique traditionnel. Un sondage effectué par le British Council auprès de 5 000 jeunes âgés de 18 à 29 ans et dont les résultats ont été publiés par le quotidien Dawn indique que seulement 29 % de la jeunesse du pays croient en la démocratie comme système politique viable ; la majorité n’y croit pas : ils sont 38 % à préférer la charia et 32 % à appeler de leurs vœux un régime militaire. Pour 94 % des sondés, le pays prend la mauvaise direction.

Même si l’on peut penser que les résultats de ce sondage témoignent plus d’un rejet du personnel politique en place que de la démocratie en elle-même, ils n’augurent pas d’un avenir où le respect de la légalité et de l’Etat de droit serait renforcé au Pakistan. Or, pour les minorités religieuses, soumises à l’arbitraire d’un système judiciaire marqué par les lois anti-blasphèmes, une de leurs revendications majeures est l’abrogation, sinon la réforme de ces lois – une démarche à laquelle le pouvoir politique se refuse.

La chronique judiciaire de ces dernières semaines apporte cependant quelques lueurs d’espoir. Ce 3 avril, la Haute Cour de Lahore, statuant en appel, a acquitté Younis Masih, un chrétien condamné à mort sur la base de fausses accusations de blasphème, et qui se trouvait en prison depuis 2005. Le tribunal a ordonné sa remise en liberté immédiate. En janvier dernier, la Cour suprême avait définitivement acquitté Rimsha Masih, une jeune chrétienne faussement accusée de profanation du Coran.

Par ailleurs, au mois de mars, un tribunal à Pattoki a déclaré nul un mariage contracté par Rafia Mansha, une jeune chrétienne, fille d’ouvriers agricoles du Pendjab, qui avait été enlevée et « convertie » de force par ses ravisseurs. Le juge a également ordonné que la jeune fille soit rendue à sa famille, laquelle a porté plainte pour enlèvement de mineur et demandé que les coupables soient punis. Cette dernière décision de justice entrouvre une perspective d’espoir pour le millier de jeunes chrétiennes ou hindoues qui, chaque année, sont enlevées par des musulmans et contraintes de se convertir et de se marier.