Eglises d'Asie – Malaisie
Un million d’exemplaires du Coran distribués gratuitement aux non-musulmans
Publié le 19/03/2015
… à distribuer gratuitement un million d’exemplaires du Coran aux non-musulmans de ce pays de 28 millions d’habitants où les musulmans représentent environ 60 % de la population.
La fondation, dont l’objet social est de « faire connaître l’islam au monde », présente son initiative comme visant à dissiper les malentendus nourris envers l’islam, ainsi qu’à lutter contre « l’islamophobie » et la perception selon laquelle l’islam serait « une religion cruelle ». Lors de la présentation du projet, Mohamad Mahathir a cité l’exemple « du verset [du Coran] qui autorise les musulmans à tuer les non-musulmans », un verset « qui ne fait référence qu’à un point précis de l’histoire de l’islam [et qui] ne signifie pas qu’il nous est dit de tuer des gens ». Il est prévu de distribuer un million d’exemplaires du Coran, imprimés non en arabe mais en tamouls, chinois, anglais et malais, langues utilisées par les différentes composantes ethniques de la population non musulmane de Malaisie. « Il appartiendra aux non-musulmans d’accepter ou non [ces exemplaires du Coran] », peut-on lire dans le communiqué de la fondation, où il est aussi précisé que les identités des personnes qui accepteront ces corans « ne seront pas relevées ».
Dans un pays où le principal journal catholique s’est vu interdire d’utiliser le mot ‘Allah’ pour dire Dieu dans ses colonnes en malais et où il est arrivé que les douanes saisissent des bibles venues de l’Indonésie voisine pour y apposer la mention « pour les chrétiens seulement », la distribution du livre saint d’une religion à des adeptes d’une autre religion est un sujet très sensible. Le Malaysian Council of Buddhism, Christianity, Hinduism, Sikhism and Taoism (MCCBCHST) ne s’y est pas trompé et a publié une déclaration, le 9 février dernier, pour dénoncer cette initiative et conseiller aux non-musulmans de refuser les corans qui pourraient leur être proposés.
Pour le MCCBCHST, instance qui est devenue au fil de ces dernières années l’interlocutrice principale des autorités pour les questions interreligieuses, l’initiative de l’IIS est irrecevable car elle relève « de la mauvaise foi ». En effet, l’objectif affiché, à savoir « combattre les idées reçues nourries à propos de l’islam », « ne tient pas la route car ce ne sont pas les non-musulmans mais les musulmans qui entretiennent des malentendus » au sujet de l’islam. « Ce sont les musulmans qui se livrent à des tueries et qui condamnent les autres religions et les fidèles des autres religions. Par conséquent, ce sont les musulmans, et non les non-musulmans, qui doivent recevoir une éducation au sujet des vrais enseignements de l’islam », peut-on lire dans le communiqué du MCCBCHST.
En Malaisie, continuent les responsables religieux, « les musulmans s’opposent avec force au fait qu’un musulman puisse être mis en contact avec une religion non musulmane ; ils s’appuient pour cela sur l’article 11, alinéa 4, de la Constitution fédérale, qui autorise l’Etat à restreindre et contrôler la propagation de toute doctrine ou croyance religieuse aux personnes qui professent la religion musulmane ». Or, la raison d’être de cet article est d’agir comme un bouclier protecteur pour les musulmans ; il n’est pas de devenir une arme entre leurs mains pour propager leur religion aux non-musulmans. « La maxime ‘Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse’ s’applique : rien dans l’article 11, alinéa 4, n’autorise les musulmans à propager leur foi aux non-musulmans », écrivent les responsables religieux, qui rappellent que l’alinéa 1 de cet article 11 de la Constitution garantit la liberté de religion en Malaisie. Ils notent encore qu’il est « particulièrement déplaisant » que les musulmans se voient reconnaître le droit de distribuer des corans aux non-musulmans, sans que les non-musulmans puissent avoir le droit de distribuer leurs livres saints aux musulmans.
Enfin, le MCCBCHST met en garde les non-musulmans contre les risques que représentent pour eux le fait d’accepter un exemplaire du Coran. « Le Coran étant un livre saint, il ne devrait pas être distribué gratuitement car il se peut que [des musulmans] jugent qu’il n’est pas traité avec suffisamment de respect [par ses nouveaux propriétaires]. Certains musulmans peuvent penser que la possession par un non-musulman d’un exemplaire traduit du Coran est blasphématoire », écrivent les responsables religieux, qui notent avec malice : « Qu’arrivera-t-il si les versions traduites contiennent des mots dont l’usage a été interdit aux non-musulmans par différents textes réglementaires ? »
Sur Internet et les réseaux sociaux – où l’expression est bien plus libre que dans les médias imprimés, sujets à la censure et à l’autocensure –, les commentaires vont bon train. Des tweets notamment ont circulé, mettant en garde les non-musulmans contre le fait d’accepter un de ces exemplaires du Coran contre signature. Ces signatures, disent ces tweets, seront utilisées ensuite comme des preuves de « conversion à l’islam ». Assertion immédiatement démentie par les associations proches de l’IIS. D’autres tweets mettent en garde sur le caractère sacré que chaque coran revêt pour un musulman : « Une fois en votre possession, vous ne pourrez plus vous en défaire, le mettre n’importe où car c’est un livre saint. SVP, faites preuve de prudence, exercez vos droits et refusez-le poliment. »
Signe de l’inconfort que suscite l’initiative patronnée par Mohamad Mahathir, le chef du Malaysian Indian Congress dans l’Etat de Penang, pourtant membre de la coalition au pouvoir au niveau fédéral, a publiquement posé la question : « Les hindous peuvent-ils commencer à distribuer la Bhagavad Gita et les chrétiens leur bibles aux musulmans qui se posent des questions au sujet de l’hindouisme ou du christianisme ? » Selon N. G. Senthelnathan, la Malaisie connaît suffisamment de conflits à propos « de la race et de la religion » pour risquer « des troubles » supplémentaires à cause de ces distributions de corans.
(eda/ra)