Eglises d'Asie

Avec plus ou moins de succès, les autorités tentent de « verdir » Qingming, jour de la fête des morts

Publié le 08/04/2015




Depuis 2008, Qingming, le jour de la fête des morts, est jour férié en Chine populaire et est célébré le 4 ou le 5 avril. Qu’il tombe un samedi ou un dimanche et le lundi suivant est chômé. Cette année, comme à l’accoutumée, les foules se sont déplacées en masse pour ce jour où …

… où les vivants vont nettoyer les tombes de leurs ancêtres et honorer la mémoire de ces derniers. Cette année toutefois, les autorités ont mis l’accent sur la nécessité de « verdir » cette fête de Qingming (清明), deux caractères que l’on peut traduire en français par « pureté (de l’air) et lumière ».

Outre le nettoyage des tombes, Qingming s’accompagne de différents rituels. La fête étant à l’origine une fête pour offrir des sacrifices aux ancêtres, il est d’usage d’offrir aux défunts encens, nourriture et objets de papier doré en forme de lingots (yuanbao) ou de billets de banque qui sont brûlés sur place en signe de respect et d’hommage. Ces dernières années, il est devenu fréquent de voir des objets en papier représentant des maisons, des voitures, des IPhones ou des objets de luxe partir en fumée à l’occasion de Chingming. L’agence officielle Chine nouvelle (Xinhua) y voit à redire et considère qu’il est plus « civilisé » et plus respectueux de l’environnement de marquer son respect pour ses ancêtres par des fleurs, des poèmes, voire des enregistrements audio ou vidéo, plutôt que par la combustion de ces objets en papier. « Les membres du Parti [communiste] devraient montrer l’exemple au peuple en mettant en œuvre un nettoyage des tombes civilisé et faiblement émetteur de carbone, lit-on dans une dépêche de Xinhua de ce week-end. Les membres du Parti devraient inciter leurs parents et amis et les gens autour d’eux à boycotter les produits vulgaires [vendus afin d’être brûlés] pour les morts. »

Une autre manière de « verdir » la fête de Qingming est de recourir non plus à l’inhumation dans les cimetières mais de procéder à la crémation de ses proches. Dans un pays où les terres arables disparaissent chaque jour un peu plus devant l’avancée des villes et des zones industrielles, l’engorgement des cimetières est devenu un problème très réel, au point que les autorités encouragent la dispersion des cendres des défunts en mer ou bien l’inhumation des morts dans des tombes non individualisées sur des terrains qui sont ensuite plantés d’arbres.

Selon un rapport publié au niveau central, les cimetières seront saturés quasiment partout en Chine d’ici une dizaine d’années et la nécessité de trouver des emplacements pour les tombes fait déjà peser une pression à la hausse sur le prix des terrains. Chaque année, environ dix millions de personnes décèdent dans le pays et, si l’ensemble des défunts venait à être inhumé, il faudrait un minimum de dix millions de mètres carrés de cimetières supplémentaires, argumente encore ce rapport. A Pékin, la demande pour des terrains où inhumer les morts est si forte que les emplacements existants voient leur prix augmenter de 30 % par an. Une concession de trois mètres carrés dans un cimetière connu de Pékin a été récemment vendue 1,2 million de yuans (180 000 euros), rapporte l’agence Ucanews.

Pour faire face à ce problème, les autorités ont mis en place des quotas obligatoires relatifs au pourcentage de crémation à obtenir. En fonction des régions, les crémations doivent représenter un minimum de 50 % des modes d’inhumation, dans les régions de montagne par exemple, à 100 % de crémation, dans des mégalopoles telles que Canton. Les différences d’une région à l’autre ont abouti à des trafics plutôt sordides. Fin 2014, un tribunal de la province du Guangxi a ainsi jugé trois personnes pour avoir vendu une vingtaine de corps fraîchement inhumés à des officiels de la province voisine du Guangdong qui cherchaient à atteindre les quotas qui leur avaient été assignés en matière de crémation ; chaque corps était vendu entre 1 500 et 3 000 yuans (entre 225 et 450 euros).

Au plan national, les statistiques officielles indiquent qu’en 2014, 4,46 millions de morts ont été incinérés, soit moins que l’objectif de 50 % visé, le pays ayant connu cette année-là 9,77 millions de décès.

Interrogé par l’agence Ucanews, Wang Yan, dont la famille gère une entreprise de services funéraires au centre de Pékin, estime que « si les usages culturels ne changent pas tant que cela, c’est parce que les mentalités n’ont pas vraiment changé ». Des analystes ajoutent que le gouvernement poursuit deux objectifs qui, d’une certaine manière, sont contradictoires : d’un côté, il encourage, par l’accent porté sur le confucianisme, un renouveau de la piété filiale ; de l’autre, il fait une priorité de la conscientisation sur les questions environnementales. Alors que des traditions millénaires appellent à brûler des offrandes en papier sur la tombe de ses ancêtres, comment encourager la population à se montrer à la fois empreinte de piété filiale et soucieuse de préserver l’environnement ?

Les initiatives des autorités sont parfois moquées sur les réseaux sociaux. Afin d’encourager la dispersion en mer des cendres des défunts – une pratique qui n’a rien de traditionnel –, la municipalité de Pékin a récemment doublé l’aide accordée aux familles qui y ont recours, celle-ci passant de 2 000 à 4 000 yuans. L’an dernier, dans la capitale, moins de 12 000 personnes ont opté pour cette solution. « Pour dire les choses sans prendre de gants, si votre mère souhaite que ses cendres soient dispersées en mer, autant les verser les égouts, qui de toute manière finissent à la mer, écrit ainsi un Chinois sur Weibo (l’équivalent local de Twitter). Vous économiserez autant sur les droits perçus par les autorités pour une dispersion en mer des cendres… »

(eda/ra)