Eglises d'Asie

Vers une loi sanctionnant les discours de haine ciblant les personnes en fonction de leur appartenance religieuse

Publié le 20/04/2015




Honorant une promesse faite durant la campagne électorale qui s’est conclue par l’élection, le 8 janvier dernier, du président Maithripala Sirisena, le gouvernement dirigé par le Premier ministre Ranil Wickremesinghe a approuvé un projet de loi visant à sanctionner « les discours de haine liés à …

… l’appartenance ethnique et religieuse et visant à exacerber les tensions ethniques et religieuses ».

C’est le porte-parole du gouvernement et ministre de la Santé, Rajitha Senaratne, qui a annoncé, le 3 avril dernier, que le projet de loi qui sera présenté au Parlement prévoyait l’introduction dans le Code pénal d’une mesure portant une peine de deux années de prison et des sanctions d’amende afin de punir ceux qui, « dans un passé récent, ont tenu des discours faisant la promotion de l’extrémisme religieux ». Quelques jours auparavant, Azath Salley, membre du Comité exécutif national, chargé de veiller à l’application du programme que Maithripala Sirisena s’est engagé à mettre en œuvre durant les cent premiers jours de sa présidence, avait précisé que, par ce projet de loi, le gouvernement tenait à doter les institutions judiciaires des moyens de lutter contre « les nombreux discours haineux et les campagnes de haine visant les minorités religieuses (…), notamment les nombreuses attaques contre des lieux de culte musulmans et chrétiens qui ont eu lieu sous l’administration [du précédent président, Mahinda Rajapkasa] ».

Les autorités ne cachent pas que ces nouvelles dispositions législatives visent notamment les groupes extrémistes bouddhistes qui se sont développés depuis la fin de la guerre, au printemps 2009, et la défaite militaire des Tigres tamouls. Trois organisations notamment ont largement fait parler d’elles, en présentant la nation cinghalaise et bouddhiste (70 % des 20 millions de Sri Lankais) comme étant menacée dans son essence par les minorités musulmane (de 7 à 11 % de la population) et chrétienne (principalement catholique, 7 % de la population). Il s’agit du Bodu Bala Sena (BBS, Buddhist Power Force ou ‘Puissante force bouddhiste’), du Sihala Ravaya (Sinhalese Roar ou ‘Rugissement cinghalais’) et du Ravana Balakaaya (‘Brigade Ravana’).

Selon le secrétaire général du BBS, Galagoda Aththe Gnanasara Thero, les musulmans et les autres minorités peuvent vivre à Sri Lanka s’ils le souhaitent, mais seulement comme des citoyens de seconde classe, sous la domination des Cinghalais bouddhistes. Le BBS s’est efforcé de diaboliser la minorité musulmane. Il a mené une campagne de mensonges et de rumeurs contre les musulmans sur Internet et par SMS et organisé des manifestations antimusulmanes. Le BBS affirme ainsi que les musulmans tentent de convertir les Cinghalais, construisent de nombreuses mosquées dans le pays ou qu’ils cherchent à stériliser les femmes bouddhistes en leur vendant des produits empoisonnés. Les moines militants du BBS attaquent aussi les croyances religieuses, les rituels et les lieux de culte des musulmans. Depuis 2012, des groupes menés par des moines du BBS ont attaqué plusieurs mosquées et des magasins détenus par des musulmans. Sous la pression du BBS, le Sri Lanka a interdit l’étiquetage halal pour la viande vendue dans l’île.

Le 5 avril dernier, soit deux jours à peine après l’annonce du projet de loi par le gouvernement, ce n’est pas le BBS qui a fait parler de lui, mais le Sihala Ravaya. La police a dû faire usage de canons à eau pour disperser les partisans de cette organisation qui menaçait de détruire les constructions islamiques du site de Kuragala. Situé dans la province de Sabaragamuwa, ce site est disputé par les musulmans et les bouddhistes. Les premiers y fréquentent la mosquée Dambulla, sanctuaire soufi où est honorée la mémoire du cheikh Mohiyadeen Abdul Qadir Jilani (1077-1166), fondateur de la confrérie de Qaadir (Qadiriyya). Les seconds affirment que la grotte du sanctuaire est un monastère bouddhique remontant au IIe siècle avant Jésus-Christ.

Pour justifier l’action de ses partisans, le moine bouddhiste Magalkande Sudantha Thero, fondateur de Sihala Ravaya, a déclaré : « Nous avons demandé au gouvernement de retirer les constructions illégales [NDLR – les constructions islamiques, dont des inscriptions en arabe datées du Xe siècle] avant le 4 avril, mais nos appels ont été ignorés. Par conséquent, les moines bouddhistes ont le droit de protéger le bouddhisme étant donné que [le Sri Lanka] est un pays bouddhiste. »

Selon Sym Saleen Been, membre du comité de la mosquée Dambulla, les demandes du Sihala Ravaya sont « sans objet ». A l’agence Ucanews, il rappelle qu’en 2012, des cocktails Molotov avaient été lancés contre l’édifice musulman et ajoute : « Il n’y a pas de temple bouddhique, ni même de statue bouddhiste à Kuragala (…). La mosquée est ancienne et belle ; elle restera là où elle est car elle signifie beaucoup pour les musulmans de ce pays. »

Ces dernières années, les tensions entre les musulmans et les bouddhistes sont allées crescendo. En juin dernier, trois musulmans ont trouvé la mort après une attaque du BBS dans la ville côtière d’Aluthgama. Depuis la défaite du président Rajapaksa, le BBS – que l’on disait soutenu activement par son frère et ministre de la Défense Gothabaya Rajapaksa – s’est fait un peu plus discret ; il a toutefois promis que ses partisans ne respecteraient pas le projet de loi à l’étude. En revanche, le Sihala Ravaya s’est montré très présent. Outre l’action de Kuragala, ses responsables ont appelé, au début de ce mois, le gouvernement à interdire le voile islamique (niqab) ainsi que la burqa.

Selon le P. Jehan Perera, prêtre catholique et directeur exécutif du Conseil national pour la paix, organisation indépendante fondée en 1995, les campagnes menées ces dernières années contre les musulmans et les chrétiens sont une réalité et elles menacent l’unité de la nation sri-lankaise. Le projet de loi va donc dans la bonne direction car « tant le gouvernement que les médias devraient prêter plus d’attention dans leurs déclarations et leurs écrits au fait que la nature de ce pays est pluri-religieuse ». « La plupart des gens ne sont pas d’accord avec la violence utilisée par les extrémistes, mais en même temps ils estiment que les extrémistes soulèvent des problèmes qui sont réels. Il est nécessaire de développer l’éducation civique au sujet des droits et des responsabilités des différentes communautés religieuses », analyse-t-il.

(eda/ra)