Eglises d'Asie

L’assassinat d’un blogueur athée marque une nouvelle atteinte à la liberté d’expression

Publié le 30/03/2015




Ce 30 mars au matin, un blogueur athée a été assassiné à coups de couteau à Dacca. En l’espace de deux ans, c’est la troisième fois qu’un blogueur affichant son athéisme est tué au Bangladesh, cette action d’éclat, vraisemblablement menée par des islamistes, dénotant une nouvelle atteinte à la liberté d’expression.

Washiqur Rahman était âgé de 27 ans. Il travaillait dans une agence de voyage et menait, sur son temps libre, une activité de blogueur. D’après Imran Sarker, responsable du réseau de blogueurs Blogger and Online Activists Network, cité par l’AFP, « Rahman écrivait sous le nom de plume de Kutshit Hasher Chhana (‘vilain petit canard’) ; c’était un libre-penseur progressiste opposé au fondamentalisme religieux ». Selon d’autres blogueurs, Washiqur Rahman se disait musulman, et s’affirmait opposé à toute forme de fondamentalisme ; Ibrahim Khalil, blogueur lui aussi, dit de lui qu’il écrivait contre l’extrémisme religieux et la répression des minorités ethniques.

Selon la police bangladaise, les agresseurs de Washiqur Rahman suivaient leur victime depuis la veille au soir et ils ont attendu le matin de ce lundi, au moment où elle partait à son bureau, pour l’attaquer. Washiqur Rahman a été « brutalement poignardé à mort avec de gros couteaux à environ 500 mètres de chez lui » dans le quartier industriel de Tejgaon, au centre de Dacca, précise la presse locale, où l’on peut lire que les agresseurs ont attaqué Washiqur Rahman au visage, lui laissant peu de chances de s’en sortir. De fait, la victime a été déclarée décédée à son arrivée à l’hôpital. Sur les trois assaillants, deux ont été interpellés par la police, le troisième ayant réussi à s’enfuir, et il s’avère que les deux hommes interpellés étudiaient dans des écoles coraniques (l’une, Darul Ulum, située à Dacca, l’autre à proximité de Chittagong). « Les deux agresseurs étudient dans des madrasa, mais nous les soupçonnons d’appartenir à une organisation militante », a déclaré Biplob Kumar Saha, commissaire adjoint à Tejgaon.

Le meurtre de Washiqur Rahman s’ajoute à une liste déjà longue. Le 26 février dernier, Avijit Roy, blogueur et écrivain d’origine bangladaise (mais citoyen américain après avoir émigré à Atlanta il y une quinzaine d’années pour, déjà, fuir les extrémistes musulmans de son pays), avait été tué à coups de machette. Il était accompagné de sa femme, Rafida Bonya Ahmed, blogueuse elle-aussi, qui fut grièvement blessée à coups de machette. Tous les deux sortaient d’un salon du livre où ils étaient venus défendre leurs écrits et conforter la petite communauté des blogueurs qui se disent athées dans ce pays de 160 millions d’habitants très majoritairement musulman. La mort du fondateur du blog mukto-mona (‘libre pensée’) et fervent promoteur de la laïcité avait suscité l’indignation au Bangladesh et à l’étranger. Le 2 mars dernier, la police a annoncé l’arrestation d’un suspect pour l’assassinat d’Avijit Roy ; il s’agit de Farabi Shafiur Rahman. Présenté comme étant « un blogueur fondamentaliste » ayant menacé sa victime sur Twitter et Facebook, il est connu pour être membre du parti islamiste Jamaat e-Islami ; il avait déjà été inquiété par la police et la justice pour les menaces et les actions violentes qu’il préconisait pour réduire au silence ceux qu’il désignait comme étant des « diffamateur de l’islam et de Mahomet ».

On se souvient également que, le 14 janvier 2013, un autre blogueur se présentant comme athée avait échappé de peu à la mort après avoir été grièvement poignardé par des extrémistes musulmans. Un mois plus tard, le 15 février 2013, Ahmed Rajeeb Haider, un autre blogueur affichant son athéisme, tombait à son tour sous les coups de couteau d’islamistes. Auparavant, entre 2004 et 2013, deux écrivains avaient été assassinés par des extrémistes qui dénonçaient leurs écrits.

Reporters sans frontières a dénoncé le meurtre de Washiqur Rahman, appelant le Premier ministre du Bangladesh « à combattre l’insécurité croissante dans le pays, sous peine de voir la fuite de tous les penseurs laïques et l’installation définitive d’une autocensure stricte dans tous les débats publics ». L’organisation de défense de la liberté de la presse a également déploré « la passivité des autorités en matière de protection des blogueurs, et particulièrement de ceux qui s’expriment et informent sur la religion, les libertés fondamentales et les extrémistes de toutes sortes ».

De fait, l’engagement du gouvernement en faveur de la liberté d’expression et de la presse semble manquer. En mai 2013, après que des formations politiques islamistes eurent menacé de manifester pour appeler à l’exécution des blogueurs athées, les autorités avaient intensifié les tracasseries contre les blogueurs à qui étaient reprochés des propos « blasphématoires ». La commission de contrôle des télécommunications avaient obligé les hébergeurs de deux blogs à effacer des centaines de posts considérés comme diffamant l’islam et Mahomet.

Aujourd’hui, estime le blogueur Pervez Alam, le Bangladesh, faute de volonté politique, est devenu un lieu dangereux pour les blogueurs athées et les écrivains libre-penseur. « Je devine que ceux qui ont tué Washiqur Rahman sont des islamistes qui ont été encouragés par la culture d’impunité qui règne ici. Les athées sont une minorité dans ce pays qui n’a ni le pouvoir ni l’influence d’obtenir justice de la part du gouvernement », explique ce blogueur influent pour qui la liste des victimes des islamistes s’allongera forcément tant que le pouvoir politique n’agira pas autrement.

Selon les observateurs, la violence à l’encontre des athées et des libre-penseur ne faiblira pas tant que les partis islamistes maintiendront leur pression sur le gouvernement pour obtenir le votre d’une loi anti-blasphème semblable à celle qui est en vigueur au Pakistan. Même si l’actuel pouvoir en place a fermement affirmé son opposition à un tel projet, dans les faits, il n’a eu de cesse que de contenter ces partis extrémistes en harcelant et en arrêtant nombre de blogueurs militant pour la défense du caractère laïque des institutions nationales ; à chaque fois, le gouvernement a agi en utilisant les articles de loi qui, dans le Code pénal, punissent l’atteinte au « sentiment religieux ».

(eda/ra)