Eglises d'Asie

Catholiques et protestants osent critiquer un projet de loi visant à interdire les croix trop voyantes de leurs lieux de culte

Publié le 15/05/2015




Commentant un projet de loi visant à restreindre la visibilité de leurs lieux de culte et notamment à interdire la présence de croix à leur sommet, des responsables chrétiens de la province du Zhejiang ont usé d’une liberté de ton inhabituellement franche pour dire leur refus d’une telle évolution règlementaire.

« Le règlement envisagé est porteur de nombreuses dispositions pour les constructions catholiques et protestantes qui ne peuvent être acceptées », peut-on lire dans le communiqué publié diffusé ces jours-ci par l’Eglise Chongyi sur son site Internet. Ces dispositions « interfèrent de manière excessive sur la liberté d’user de manière raisonnable des bâtiments [d’Eglise] et de leur intérieur, violant ainsi l’esprit [de la législation] de l’Etat sur les Affaires religieuses », affirment encore les responsables de cette Eglise protestante implantée à Hangzhou et considérée comme la plus importante communauté protestante de cette ville, par ailleurs capitale du Zhejiang. Visiblement très déterminés, les responsables protestants écrivent que le projet de règlement « blasphème la croyance fondamentale du christianisme » et viole les dispositions de la Constitution de la République populaire relatives au respect de « la liberté de croyance religieuse » ; ils précisent encore que ce texte est « discriminatoire dans la mesure où il impose aux seules Eglises protestantes et catholique des mesures spécifiques ».

Ainsi que l’a constaté le bureau de l’AFP en Chine – et signe du caractère sensible de cette prise de position critique –, le site Internet de l’Eglise Chongyi était inaccessible aujourd’hui 15 mai.

Les nouvelles directives en question ont été rendues publiques le 8 mai dernier. Détaillées dans un document de 36 pages, elles encadrent strictement la présence de croix sur les églises chrétiennes. Celles-ci devront désormais être placées sur les façades et non plus surmonter les églises ou les clochers. Elles ne devront pas mesurer plus d’un dixième de la hauteur de la façade et leur couleur devra se confondre avec celle de l’édifice. Le texte va jusqu’à préciser le ratio commandant la taille de chacune des deux parties de la croix ; bizarrement, ce ratio diffère pour les croix des édifices catholiques (1/0,618) et pour celles des édifices protestants (3/2). D’autres dispositions spécifient que les cuisines et les toilettes des lieux de culte devront fonctionner principalement à l’énergie solaire ou à d’autres sources d’énergie renouvelable – une spécification exigeant des investissements coûteux et qui n’est pas habituellement imposée en Chine.

Un catéchiste catholique de Wenzhou, la ville côtière de la province du Zhejiang connue pour abriter une forte proportion de chrétiens, qualifie de « ridicule » l’ensemble du projet de loi. « Les autorités feraient mieux de s’atteler à contrôler le smog et la pollution avant d’exiger de l’Eglise qu’elle protège l’environnement », déclare à Ucanews ce catéchiste qui préfère garder l’anonymat.

Selon Bob Fu, de China Aid, organisation basée aux Etats-Unis et soutenant les chrétiens de Chine, « ce projet de règlement n’est qu’une nouvelle manœuvre du gouvernement pour légaliser la violente campagne de destruction d’églises et d’enlèvement des croix » menée depuis la fin 2013 au Zhejiang. Ces derniers dix-huit mois, quelque 470 croix surmontant ou ornant des lieux de culte chrétiens, que ceux-ci soient catholiques ou protestants, affiliés ou non aux organismes « officiels » encadrant le catholicisme et le protestantisme en Chine, ont été démontées ou abattues ; 35 lieux de culte ont été rasés.

Le 8 mai, lorsque le projet de règlement a été rendu public, les autorités ont précisé que la phase de consultation durant laquelle les citoyens pouvaient exprimer leurs éventuels commentaires à son propos était ouverte jusqu’au 20 mai. Le projet, qui affirme « protéger la liberté de croyance religieuse », ne concerne pas que les lieux de culte chrétiens ; il s’applique aussi aux mosquées, ainsi qu’aux temples bouddhistes et taoïstes. Mais, à l’évidence, ses nombreux articles relatifs à la taille, à l’apparence et à la place des croix indiquent qu’il vise bien spécifiquement les chrétiens.

Selon les observateurs qui ont suivi ces derniers dix-huit mois le développement de la campagne de destruction de croix et d’églises au Zhejiang, la mobilisation des autorités provinciales sur ce sujet ne peut s’expliquer que par leur inconfort face à l’essor pris par le christianisme dans la région. A Wenzhou (neuf millions d’habitants), surnommée « la Jérusalem de l’Orient » en raison du grand nombre des églises chrétiennes qu’elle abrite, Zheng Leguo, prédicateur protestant, s’interroge sur la portée du dispositif qui se met en place. Outre les destructions de croix et d’églises, des arrestations ont eu lieu ; de nombreuses personnes ont été intimidées pour qu’elles ne parlent pas aux médias ; l’expression sur les réseaux sociaux est étroitement contrôlée. « Lors d’une réunion, des officiels ont évoqué des restrictions visant les classes de catéchisme pour enfants, les instituts de formation en théologie et la diffusion de la Bible, ainsi que les espaces où se réunissent les chrétiens qui opèrent en dehors des structures officiellement enregistrées. Nous devons voir jusqu’où tout ceci ira », commente ce responsable protestant.

Que ce soit à Wenzhou, à Hangzhou ou dans d’autres grandes villes de la province, l’incompréhension est forte face à ce projet de règlement. Au sein des communautés protestantes, ces dernières années, à la faveur de l’essor conjugué du christianisme et du développement économique, des « mega-churches » sont apparues dans le paysage. Le lieu de culte de l’Eglise de Chongyi à Hangzhou compte ainsi 5 000 places assises et il est stratégiquement situé en face d’un centre commercial. A Wenzhou, le temple de l’Eglise Liu Shi, inauguré le 19 février 2013, dispose lui aussi de 5 000 places assises. Si les églises catholiques ne sont pas aussi colossales, l’incompréhension face au projet de règlement est tout aussi forte. « Placer une croix au sommet d’une église, c’est ce qui se fait partout dans le monde. Pourquoi nous demander de la fixer seulement sur la façade ? Pour nous, c’est difficile à accepter », commente sous le sceau de l’anonymat un prêtre « clandestin » de l’Eglise catholique à Wenzhou.

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(eda/ra)