Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – « Un évêque n’est pas un homme politique, c’est un pasteur » – cardinal Zen Ze-kiun

Publié le 15/05/2015




En janvier dernier, le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, se félicitait de l’avancée des négociations avec la Chine en ces termes : « Nous sommes dans une phase positive. » Depuis, aucune information nouvelle significative n’est parue au sujet d’un éventuel réchauffement des relations entre Pékin et le Saint-Siège, pas plus que le respect de la liberté religieuse …

… en Chine populaire ne semble s’être amélioré. Dans ce contexte, le point de vue du cardinal Zen Ze-kiun, évêque émérite de Hongkong, demeure intéressant à entendre.

L’interview du cardinal Zen que nous reproduisons ci-dessous a été publiée le 11 mai 2015 sur le site Internet du journal L’Homme Nouveau.

 

L’Homme Nouveau : On entend dire que les relations entre la Chine et le Saint-Siège se réchauffent. Le secrétaire d’Etat, le cardinal Parolin, estime que les relations avec la Chine prennent un tour prometteur. Qu’en pensez-vous ?

Cardinal Joseph Zen Ze-kiun : C’était une vraie surprise pour nous d’apprendre que Pékin veut renouer avec Rome. Même étonnement d’apprendre que les perspectives soient considérées comme très prometteuses du côté du Vatican. Peut-être y a-t-il quelque secret que nous ne connaissons pas. A regarder les choses de plus près, il n’y a aucune raison pour être optimiste. Le gouvernement chinois reste totalitaire et la liberté religieuse n’existe pas. Récemment, ils ont retiré la croix de nombreuses églises et ils en ont démoli d’autres. Deux évêques sont encore en prison. On dit que l’un d’entre eux est mort mais les nouvelles sont tellement contradictoires qu’on ne sait plus rien. Un jour, il a été annoncé aux parents qu’il était mort. Puis comme la famille s’inquiétait de récupérer son corps, on lui a dit que celui qui avait lancé la nouvelle était ivre. Ensuite, il y eut des rumeurs que le gouvernement avait donné de l’argent à la famille pour qu’elle reste calme mais la rumeur a ensuite été réfutée. Les choses sont loin d’être idylliques comme vous le voyez.

Qui donc a enclenché cette ivresse d’optimisme ? Ce sont les journaux communistes de Hongkong qui ont lancé l’affaire. En Chine, tout est politique. Et politique rime avec lutte de pouvoir. Tout le monde sait qu’aujourd’hui il y a une lutte au sommet entre Xi Jinping et Jiang Zemin (1). Xi Jinping est le champion de la lutte anti-corruption mais il faut savoir que cette bannière n’est peut-être qu’un moyen pour éliminer ses ennemis. Et l’élimination des gros tigres permettra à de nouveaux tigres de grandir. Il n’est pas sûr que Xi Jinping puisse gagner. Car Jiang Zemin est très puissant. Qui sont ces gens qui veulent parler au Vatican ? Sont-ils de la faction de Xi Jinping ou appartiennent-ils à celle de Jiang Zemin ? S’ils sont du clan de Xi Jinping, peut-être y a-t-il quelque espoir. S’ils sont du clan adverse, il n’y en a pas. A Hongkong, le pouvoir communiste est sous l’influence de Jiang Zemin. La chaîne de télévision Phoenix TV a récemment interviewé le P. Lombardi et c’est à cette occasion que le Vatican a révélé son enthousiasme pour le réchauffement des relations entre la Chine et le Saint-Siège. Comment peuvent-ils être aussi enthousiastes ? Nous ne voyons aucune raison à cette euphorie. Ils ne comprennent pas et ne veulent pas nous écouter. Je suis très inquiet. Beaucoup de gens ne peuvent rien dire. Moi je suis cardinal et ma voix porte. Alors je n’ai pas peur. Peut-être est-ce la voix qui crie dans le désert mais je dois dire ce que j’ai à dire.

Je ne dis pas qu’il faut refuser le dialogue : le dialogue est nécessaire. Mais on peut s’interroger sur la bonne volonté du gouvernement chinois. C’est en commençant à dialoguer, qu’on verra s’ils sont de bonne volonté. Mais, en attendant, il faut rester ferme. Ce n’est pas à nous de changer, c’est à eux. Ces dernières années, l’Eglise a suivi une stratégie beaucoup trop timide faite de peur et de volonté de composer. Le gouvernement en profite. Les choses se sont dégradées dans les années 2000. Jusqu’en 2001, la Congrégation pour l’Evangélisation des peuples est présidée par le cardinal Tomko. Il venait de Tchécoslovaquie et connaissait très bien le communisme. Quand il prit sa retraite en 2001, arriva le cardinal Sepe. Sepe n’avait aucune connaissance ni de la Chine ni du communisme. Rien ne s’est passé pendant cette période. Puis vint le pape Benoît XVI. Benoît XVI est un pape merveilleux mais le personnel qu’il a choisi ne lui fut d’aucune aide. Beaucoup de bonnes choses qu’il a encouragées ont été gâchées car on ne le suivait pas. À la fin de son pontificat, il changea finalement son personnel. C’est à cette époque qu’est apparu ce projet d’accord avec le gouvernement chinois. Aujourd’hui le gouvernement pousse à ce qu’il soit signé. Il faut donc que le Vatican continue de refuser car un tel accord n’est pas acceptable si je me fie aux informations que j’ai pu avoir. Malheureusement, le nouveau secrétaire d’Etat est plein d’espoir : pourquoi le cardinal Parolin s’est-il cru obligé de louer le cardinal Casaroli ? Et pourquoi croit-il encore aux miracles de l’Ostpolitik alors que cela a été un échec, un grand échec ? Je ne comprends pas pourquoi ils ne prennent pas les leçons de l’Histoire. En Hongrie, cela a été un échec complet.

Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Hong Lei a déclaré qu’en ce qui concerne les ordinations d’évêques, le Vatican devait respecter « la tradition historique et la réalité des catholiques en Chine ». Selon lui, « la Chine est toujours sincère dans sa volonté d’améliorer les relations avec le Vatican et déploie sans discontinuer des efforts en ce sens ». Et d’ajouter : « Nous souhaitons avoir un dialogue constructif avec le Vatican (…). Nous espérons que le Vatican pourra créer les conditions favorables à une amélioration des relations » (2). Quelle est la part de la langue de bois dans ce genre de propos ? Et comment faut-il interpréter ceux-ci ?

Le discours officiel du gouvernement autour des ordinations d’évêques est toujours le même. Selon eux, tout se passe de la manière la plus transparente possible : il y a des élections puis les élections sont approuvées ; et enfin le gouvernement demande au Vatican d’accepter. Concrètement, le Vatican fait quelques recherches puis approuve. Savez-vous ce qu’est une élection en Chine ? Il n’y a pas de vraie élection en Chine. Vous connaissez la blague. Le citoyen du pays X dit : « Notre gouvernement est très efficace car nous connaissons le résultat des élections le lendemain du vote ». Le citoyen du pays Y réagit et dit : « C’est mieux chez nous car nous connaissons le résultat le jour même avant minuit ». C’est alors que le citoyen chinois intervient et conclut la dispute en disant : « Nous nous faisons encore mieux car nous connaissons les résultats avant même que le vote n’ait eu lieu ».

C’est comme cela que cela marche également pour l’Eglise car l’Eglise « officielle » est complètement dans les mains du gouvernement. Les élections en vue de la nomination d’un évêque sont toutes manipulées : il n’y a pas de règle. Puis la nomination est approuvée par la Conférence épiscopale. Mais il n’y a pas de Conférence épiscopale : ce ne sont que des noms. Le président de la Conférence épiscopale est un évêque illégitime. Certes ce n’est pas un mauvais homme mais il a peur et est subjugué par le gouvernement.

Vous vous rappelez il y a deux ans, le tout nouvel évêque de Shanghai, Mgr Ma Daqin. Lors de son sacre, il refusa l’allégeance à l’Eglise patriotique. Ils pensaient qu’ils lui avaient lavé le cerveau mais ce n’était pas le cas. C’est un homme très intelligent. Peut-être aurait-il dû attendre quelque temps avant de s’annoncer. Aujourd’hui, il est en résidence surveillée. Le lendemain de son ordination, il a été révoqué. Qu’ont-ils dit ? Nous avons réuni la Conférence épiscopale et nous l’avons révoqué. Et ils montrèrent une photo de la Conférence épiscopale. Le chef des Affaires religieuses présidait cette réunion. C’est lui le patron de la Conférence épiscopale. On le voyait sourire pendant que les deux évêques qui sont à la tête de la Conférence apparaissaient tout piteux. Tout est faux en Chine. En 2010, il y a eu neuf ordinations épiscopales. Tout le monde a salué cette nouvelle : voilà que la Chine accepte les évêques proposés par le Vatican. Mais c’était le contraire qui se produisait. C’est le Vatican qui acceptait les évêques nommés par le gouvernement. Le Saint-Siège fait trop de concessions et il approuve parfois des candidats qui ne sont pas bons.

L’accord évoqué par le Vatican mentionne que pour tout siège vacant, le gouvernement proposerait trois noms. Et le Vatican pourrait choisir parmi les trois noms ou les refuser tous en bloc.

Comment un gouvernement athée peut-il présenter des noms ? Que savent-ils des évêques ? Un évêque n’est pas un homme politique, c’est un pasteur. L’initiative doit venir de Rome. Certes, on peut consulter le gouvernement et celui-ci peut refuser en arguant que tel ou tel est fermement opposé au gouvernement. Mais cela doit partir du Vatican et non en sens inverse. …

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(eda/ra)