Eglises d'Asie

Le Saint-Siège sur la voie de trouver un accord avec Pékin au sujet de la nomination des évêques du continent chinois

Publié le 13/03/2015




En janvier dernier, le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, se félicitait de l’avancée des négociations avec la Chine en ces termes : « Nous sommes dans une phase positive. » Hier, 12 mars, le directeur de la salle de presse du Saint-Siège, le P. Federico Lombardi, a accordé une interview exclusive …

… à une chaîne de télévision chinoise pour déclarer que le Saint-Siège était prêt à conclure un accord avec Pékin au sujet de la nomination des évêques en Chine continentale ; il a cité à cet égard le cas vietnamien.

Depuis plusieurs mois, le dossier des relations sino-vaticanes, qui n’a cessé de connaître des hauts et des bas au cours de ces trente dernières années, semblait s’animer plus que de coutume. En novembre dernier, le Global Times, quotidien connu pour sa ligne très nationaliste, citait une source chinoise proche du dossier selon laquelle la Chine et le Saint-Siège avaient trouvé un accord concernant le mode de nomination des évêques de l’Eglise en Chine – l’un des principaux points d’achoppement d’une relation par ailleurs très délicate. Selon des sources ecclésiales, du côté du Saint-Siège, l’accord en question était sur la table de travail du pape François la semaine dernière et si son porte-parole s’exprime désormais dans les médias, notamment à l’attention de l’audience chinoise, c’est le signe que le Saint-Père y a donné son assentiment.

De quel accord parle-t-on ici ? Le P. Lombardi n’en a donné aucun détail dans son interview à Phoenix TV, chaîne hongkongaise diffusée en mandarin sur le continent chinois. Il a seulement rappelé qu’il n’existait aucune antinomie entre le fait d’être « en même temps un bon catholique et un bon citoyen chinois ». Il a ensuite évoqué de manière précise et détaillée les relations entre le Saint-Siège et le Vietnam pour laisser entendre que ces relations pouvaient servir de modèle aux relations entre Pékin et le Saint-Siège. « Les relations avec le Vietnam, a explicité le P. Lombardi, se sont améliorées avec le temps. Le pape a ainsi pu recevoir au Vatican les plus hautes autorités de la République du Vietnam. Auparavant, cela ne s’était pas fait. Désormais, il existe un représentant du Saint-Siège en charge du Vietnam, non résident certes mais qui peut voyager et visiter l’Eglise sur place. Cela signifie que les choses peuvent changer, peuvent aller de l’avant, peuvent progressivement s’améliorer, même dans des cas où, par le passé, il y a eu d’importantes difficultés. »

Dans son interview à la chaîne hongkongaise, le porte-parole du Saint-Siège a pris soin de préciser que « la Chine n’[était] pas le Vietnam » et que le cas vietnamien ne pouvait donc être considéré que comme un point de référence possible. Toutefois, il n’est pas neutre pour le Saint-Siège que l’actuel secrétaire d’Etat, le cardinal Parolin, soit la personne qui a dirigé les négociations entre Rome et Hanoi de 2004 jusqu’en 2009, année où il fut nommé nonce au Venezuela. L’accord conclu entre le Saint-Siège et le Vietnam consiste dans le fait que, pour chaque siège épiscopal vacant, Rome informe Hanoi du nom du candidat choisi par l’Eglise, les autorités vietnamiennes disposant d’un droit de veto ; au cas où ce droit est exercé, Rome soumet un nouveau nom, jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé entre les deux parties et que la nomination par le pape et l’ordination du candidat agréé puissent avoir lieu.

Selon nos informations, dans l’affaire chinoise, les négociations de ces derniers mois auraient abouti à l’accord suivant : pour chaque siège épiscopal vacant, l’Administration d’Etat des Affaires religieuses – l’administration qui chapeaute les organisations religieuses en Chine – remettrait à Rome une liste de trois noms (au départ Pékin souhaitait une liste réduite à deux noms seulement), à charge pour le pape d’en accepter un ou de les récuser tous les trois ; en cas d’acceptation, le candidat à l’épiscopat serait nommé par le Saint-Père, la nomination étant reconnue par les autorités chinoises, avant la cérémonie d’ordination proprement dite. Par ailleurs, rien n’est dit d’une éventuelle normalisation des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la Chine populaire.

Ce vendredi 13 mars, la Chine a communiqué sa position. Hong Lei, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a déclaré qu’en ce qui concerne les ordinations d’évêques, le Vatican devait respecter « la tradition historique et la réalité des catholiques en Chine ». Il a ensuite repris, quasiment mot pour mot, ce que les porte-paroles du ministère réitèrent à chaque fois qu’il est question de négociations avec le Saint-Siège : « La Chine est toujours sincère dans sa volonté d’améliorer les relations avec le Vatican et déploie sans discontinuer des efforts en ce sens. Nous souhaitons avoir un dialogue constructif avec le Vatican (…). Nous espérons que le Vatican pourra créer les conditions favorables à une amélioration des relations. »

Selon Joseph Cheng Yu-shek, catholique et professeur de sciences politiques à la City University of Hong Kong, la réponse de Pékin signifie que le gouvernement n’est pas prêt à abandonner le contrôle qu’il exerce sur la nomination des évêques. A l’agence Ucanews, il explique : « D’un côté, vous pouvez simplement considérer que les dirigeants chinois ne sont prêts à aucune concession. D’un autre côté, c’est là une tactique de négociation typique de la Chine : elle pose le cadre, c’est elle qui impose ses principes, à charge pour l’autre partie d’accepter de discuter dans le cadre ainsi posé. De ce point de vue, Pékin serait prêt à aller au-delà d’un simple refus opposé aux demandes de Rome. »

En l’absence de détails sur la réalité d’un accord, les questions qui se posent sont nombreuses : quid des évêques emprisonnés ou empêchés d’exercer leur ministère ? Quelle situation pour les évêques de la partie « clandestine » de l’Eglise ? Quel avenir pour les évêques ordonnés de manière illégitime ou qui sont excommuniés ? De quel(s) moyen(s) disposera le Saint-Siège pour se renseigner sur le profil des candidats à l’épiscopat qui lui seront présentés par la Chine ?

A Hongkong, les personnes qui suivent le dossier chinois sont partagées. Elles établissent un parallèle avec l’accord sur le suffrage universel que Pékin a imposé à Hongkong pour les élections qui auront lien en 2017. Certains estiment qu’il vaut mieux un accord, fût-il mauvais, que pas d’accord du tout ; d’autres mettent en avant le fait qu’un mauvais accord restera un mauvais accord tant que l’attitude de Pékin ne changera pas. Ce 11 mars, le cardinal Zen Ze-kiun, évêque émérite de Hongkong, a accordé une interview au Corriere della Serra. Son opinion est tranchée : « Pékin ne veut pas le dialogue. Leurs négociateurs mettent un document sur la table pour qu’il soit signé et, de notre côté, nous n’avons pas la capacité ou la force d’apporter des propositions différentes. Voulons-nous sacrifier la nomination et la consécration des évêques sur l’autel d’un dialogue creux ? »

(eda/ra)