Eglises d'Asie

La mort atroce d’un couple de chrétiens pakistanais souligne l’urgence à réformer les lois anti-blasphème

Publié le 07/11/2014




Trois jours après la mort d’un couple de chrétiens, lynchés avant d’être brûlés vifs par une foule en colère au prétexte d’avoir profané le Coran, les manifestations se multiplient au Pakistan pour demander justice.

A Faisalabad, le 6 novembre, plusieurs dizaines de personnes se sont réunies devant le Press Club pour demander au gouvernement de déférer devant la justice les responsables du meurtre de Shahzad Masih et de son épouse Shama Bibi, qui ont trouvé la mort d’une manière atroce le 4 novembre dernier dans la briqueterie où ils travaillaient et vivaient. Les manifestants étaient venus à l’appel de plusieurs organisations de la société civile, telles Awam (Association of Women for Awareness and Motivation), la Peace and Human Development Foundation ou bien encore la National Minorities Alliance of Pakistan (NMAP). A Lahore, une manifestation du même type a été organisée par des chrétiens et des militants des droits de l’homme.

De manière symptomatique, les manifestants n’ont pas demandé l’abrogation des lois anti-blasphème, ce texte du Code pénal qui porte, en ses articles 295-B et 295-C, la peine de mort en cas de blasphème envers Mahomet et la prison à vie en cas de profanation du Coran. En effet, dans le contexte d’islamisation radicale qui traverse la société pakistanaise, toute remise en cause directe de ce texte de loi entraîne une réaction meurtrière de la part des extrémistes musulmans ; en 2011, le ministre fédéral des Minorités Shahbaz Bhatti, un catholique, et le gouverneur de la province du Pendjab Salman Taseer, un musulman, ont payé de leur vie le fait d’avoir recommandé d’amender cette loi (1).

Les manifestants se sont donc contentés de demander, outre que justice soit faite pour le couple assassiné, que des mesures soient prises pour empêcher que les lois anti-blasphème soient détournées et utilisées pour régler des litiges d’ordre privé, n’ayant rien à voir avec un éventuel blasphème. Ils ont aussi demandé que ceux qui utilisent les haut-parleurs des mosquées pour inciter à la haine et à la violence interreligieuse soient punis et empêchés d’agir.

Cruelle ironie de l’actualité, cette manifestation s’est tenue le jour même où, dans la ville de Gujrat, à une centaine de kilomètres au nord de Faisalabad, un nouveau meurtre était commis en lien avec les lois anti-blasphème.

Mercredi dernier, Tufail Haider, chiite âgé de 50 ans, était arrêté au motif qu’il proférait des « remarques dénigrant le Prophète Mahomet », selon un responsable policier de Gujrat. Placé en cellule dans un poste de police, Tufail Haider a continué à tenir à haute voix ses propos et à se plaindre du comportement des policiers. Hier jeudi, l’un d’eux, Faraz Naveed, 36 ans, « rendu fou de rage en entendant les propos sur les compagnons du Prophète » tenus par cet homme, a pénétré dans sa cellule et l’a tué à coups de hache. La police précise que le fonctionnaire a été arrêté. Selon les statistiques disponibles, un millier de chiites ont été tués ces deux dernières années au Pakistan, pays où ils représentent une minorité d’environ 20 % des 180 millions d’habitants.

La Commission des droits de l’homme du Pakistan (HRCP), organisme indépendant du gouvernement, tient un décompte exact des affaires liées aux lois anti-blasphème. En 2013, 39 instructions judiciaires ont été ouvertes au titre des articles 295-B et 295-C du Code pénal, impliquant un total de 359 personnes. Au total, 17 personnes sont détenues dans les couloirs de la mort des prisons pakistanaises après avoir été condamnées pour blasphème, dont la catholique Asia Bibi ; 19 autres purgent une sentence à perpétuité. Mais, selon Zohra Yusuf, présidente de la HRCP, « non seulement les accusations de blasphème portées devant la justice augmentent mais le plus tragique est qu’il est de plus en plus fréquent que la foule fasse justice elle-même – ce qui constitue un déni de justice évident ». A cela, précise-t-elle, il faut ajouter le fait que « dans plusieurs affaires, la police n’a rien fait pour protéger les victimes ».

Basé à Islamabad, le Centre for Research and Security Studies (CRSS) décompte 62 personnes depuis 1990 lynchées à mort pour de supposés blasphèmes. Si des musulmans figurent au nombre des victimes, les membres des minorités religieuses (chrétienne, hindou, sikh) y sont surreprésentés.

(eda/ra)