Eglises d'Asie

Deux ans de prison et de travaux forcés pour un partisan de la liberté d’expression et de l’harmonie interreligieuse

Publié le 04/06/2015




Le 2 juin dernier, un tribunal du centre de la Birmanie a condamné à deux ans de prison ferme et aux travaux forcés Htin Linn Oo, écrivain et ancien responsable de l’information au sein du parti d’opposition, la Ligue nationale pour la démocratie. Htin Linn Oo a été condamné pour avoir « insulté » la religion bouddhique lors d’un discours prônant la tolérance entre les religions …

… religions et dénonçant l’activisme des moines bouddhistes promoteurs d’une politique ultranationaliste et xénophobe.

Le discours incriminé remonte au 23 octobre 2014. Ce jour-là, lors d’une rencontre littéraire, Htin Linn Oo a critiqué l’utilisation que certains font du bouddhisme pour promouvoir un nationalisme birman exclusif et hostile aux minorités, notamment la minorité musulmane de Birmanie. L’écrivain critiquait nommément la très virulente Association pour la protection de la race et de la religion, connue sous le nom de Ma-Ba-Tha, étroitement liée au mouvement extrémiste nationaliste 969 du célèbre moine Wirathu. « Ils [le Ma-Ba-Tha] affirment qu’ils enseignent le dharma, mais ils se livrent à des attitudes vulgaires : ils crient et vocifèrent, ils prêchent des mensonges et s’en prennent à certaines personnes. Ils me dégoûtent complètement », avait-il déclaré, ajoutant dans un extrait qui sera ensuite diffusé sur les réseaux sociaux par les moines extrémistes : « Si une chose est certaine, c’est que le Seigneur Bouddha n’était ni birman, shan, kachin, karen, chin ou arakanais ; il n’était issu d’aucun de ces groupes ethniques de Birmanie. Frères et sœurs, avez-vous conscience de cela ? Si vous aimez tant que cela votre race, alors ne soyez pas les adeptes de cette religion ! Il n’était pas de notre race. » Dans les jours qui suivirent ce discours, les protestations sur les réseaux sociaux de la part des milieux bouddhistes extrémistes furent telles que la Ligue nationale pour la démocratie choisit d’ouvrir une enquête sur son directeur de l’information avant de le démettre de son poste. Le 17 décembre 2014, l’écrivain était arrêté et emprisonné.

Selon son avocat, Me Thein Than Oo, Htin Linn Oo a écopé de la peine maximale prévue par l’article 295a du Code pénal birman, article qui sanctionne le fait de « blesser la sensibilité religieuse d’autrui ». « Mais Htin Linn Oo est innocent. En aucune manière, il n’est coupable de quoi que ce soit. Nous ferons donc appel », a déclaré l’avocat à la sortie du tribunal, dénonçant par ailleurs le fait qu’une dizaine de moines ont systématiquement assisté à toutes les audiences de ce procès en prenant ostensiblement des photos « de manière à donner le sentiment de faire pression sur les juges ». « Ce n’est pas bon pour le pays », a-t-il commenté.

Le verdict énoncé par les juges du tribunal de Chaung O, à l’ouest de Mandalay, dans la Division de Sagaing, intervient alors que le pays est l’objet d’importantes pressions de la communauté internationale afin de trouver une solution à la fuite par voie de mer de membres de la communauté rohingya. Depuis les violentes émeutes de 2012 qui ont fait 200 morts, notamment des musulmans, dans l’ouest du pays, l’harmonie interreligieuse demeure très fragile alors que la population s’apprête à voter en novembre prochain pour des législatives déterminantes quant à l’avenir de la transition démocratique entamée en 2011.

Le jour même où, à Chaung O, Htin Linn Oo était condamné, bien plus au sud, dans la ville de Pathein, un millier de moines bouddhistes et de laïcs manifestaient pour dénoncer le retour sur les côtes de l’Arakan de 700 boat-people rohingya. Les manifestants tenaient des pancartes où l’on pouvait lire : « Nous ne voulons pas de migrants illégaux bengalis » ou bien « Nous n’acceptons pas les accusations de l’ONU et des ONG ».

Pour Rupert Abbott, directeur pour l’Asie du Sud-Est à Amnesty International, « l’influence grandissante des nationalistes bouddhistes extrémistes ainsi que leur rhétorique chargée de haine est profondément troublante. Au lieu d’agir contre ces groupes qui cherchent à attiser les violences et les discriminations, le gouvernement semble enclin à régler le problème en emprisonnant ceux qui s’expriment pour dénoncer l’intolérance en matière religieuse ».

Selon Amnesty International, l’ouverture politique créée par l’autodissolution de la junte en 2011 laisse place depuis quelques mois à un resserrement « inquiétant ». « Malgré la promesse de vider les geôles des prisonniers de conscience, les arrestations de manifestants pacifiques ont atteint des niveaux alarmants depuis deux ans », dénonce l’organisation de défense des droits de l’homme.

En mars dernier, une centaine de manifestants ont été arrêtés lors d’une marche dénonçant une réforme de l’enseignement supérieur comme antidémocratique. Nombre d’entre eux sont toujours en prison, dans l’attente de la fin de leur procès. En mars dernier toujours, un Néo-Zélandais et ses deux associés birmans ont été condamnés à deux ans et demi de prison avec travaux forcés pour avoir utilisé une image du Bouddha sur une publicité pour le bar qu’ils géraient.

L’ensemble de la communauté des moines ne se range toutefois par derrière la bannière des ultranationalistes. Le 27 mai dernier, à Oslo, en Norvège, avait lieu une conférence pour « mettre fin à la persécution par la Birmanie des Rohingya ». A cette occasion, le Parlement des religions du monde, initiative œuvrant pour l’essor d’un dialogue interconfessionnel global, a remis le « Prix mondial de l’harmonie » à trois moines bouddhistes de Birmanie, U Withudda, abbé du monastère Yadanar Oo à Meiktila, U Seindita, fondateur de l’Asia Light Foundation à Pyin Oo Lwin, et U Zawtikka, du monastère Oo Yin Priyati à Rangoun. Tous trois ont été distingués pour avoir risqué leur vie afin de sauver des musulmans birmans lors d’émeutes en mars 2013 ou pour leurs discours en faveur de la paix entre les communautés.

(eda/ra)