Eglises d'Asie

La béatification de 17 martyrs du Laos : un acte avant tout religieux mais politiquement sensible

Publié le 10/06/2015




A ce jour, les autorités laotiennes – habituellement discrètes – n’ont pas réagi à l’annonce par Rome de la signature, le 5 juin dernier, par le pape François de la promulgation des décrets relatifs au martyre de 17 prêtres et laïcs laotiens et missionnaires étrangers, tués au Laos entre 1954 et 1970. C’est pourtant la première fois que l’Eglise catholique s’aventure à béatifier des martyrs tués en Asie par des organisations communistes dont les héritiers directs sont toujours au pouvoir.

Le gouvernement laotien n’est pas pris par surprise. La cause de béatification de ces 17 martyrs a été introduite en 2004, et ce sont les évêques du Laos qui l’ont voulue, convaincus que la béatification de leurs martyrs contribuera à l’édification de l’Eglise dans leur pays. Selon les propres termes des évêques laotiens, l’Eglise du Laos est « encore une jeune plante bien fragile : elle a besoin de trouver des ‘tuteurs’, des appuis surnaturels solides » pour mener son parcours dans un environnement trop souvent hostile.

Jusqu’à aujourd’hui, pour ce qui regarde l’Asie, l’Eglise universelle a toujours pris soin de porter sur les autels des martyrs dont la mort remontait à une époque assez ancienne. Cela a été le cas pour les 103 martyrs de Corée, canonisés à Séoul par le pape Jean-Paul II en 1984 ; ils avaient été victimes de persécutions contre l’Eglise au XIXe siècle. Il y a quelques mois, le 16 août 2014, à Séoul, le pape François a béatifié 124 martyrs de Corée ; ils avaient trouvé la mort lors des persécutions des XVIIIe et XIXe. Pour le Japon, les « 26 martyrs de Nagasaki » furent canonisés en 1862 ; 205 autres martyrs ont été béatifiés en 1867 puis 188 autres proclamés Bienheureux en 2008 à Nagasaki ; dans tous les cas, les martyrs du Japon ont trouvé la mort lors des persécutions antichrétiennes de la seconde moitié du XVIe siècle et des deux siècles suivants. Pour les 117 martyrs du Vietnam canonisés à Rome en 1988 par Jean-Paul II, les dossiers concernaient des victimes des persécutions des XVIIIe et XIXe siècles. Et enfin, concernant la Chine, les 120 martyrs canonisés par Jean-Paul II à Rome le 1er octobre 2000 avaient trouvé la mort aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles et lors de la révolte des Boxers en 1900 ; le Saint-Siège avait pris soin de ne pas aborder les dossiers des martyrs morts sous le communisme. Pourtant, on se souvient que Pékin attaqua durement le Vatican pour avoir canonisé des auteurs de « crimes monstrueux » ; les autorités chinoises dénoncèrent particulièrement le choix de missionnaires « complices des impérialistes », référence sans doute au P. Auguste Chapdelaine, prêtres des Missions Etrangères de Paris dont la mise à mort en 1856 servit de prétexte à Napoléon III pour intervenir, aux côtés de l’Angleterre, contre la Chine lors de la seconde guerre de l’opium et obtenir de nouvelles concessions d’un Empire affaibli.

Dans le cas des 17 martyrs du Laos, les dossiers le montrent : le P. Joseph Thao Tiên et seize autres prêtres et laïcs assassinés, exécutés ou morts d’épuisement entre 1954 et 1970, ont trouvé la mort dans un contexte politique particulièrement complexe, celui de la décolonisation, des guerres de libération nationale et de la guerre froide.

L’évangélisation du Laos est récente : ce sont les prêtres des Missions Etrangères de Paris (MEP) qui, les premiers, y apportèrent l’Evangile, à la fin du XIXe siècle, suivis par les OMI (Oblats de Marie Immaculée) dans les années 1930. Mais rapidement, notamment après la fin de la seconde guerre mondiale, les bouleversements politiques ont rendu leur mission périlleuse. « La guérilla voulait éliminer tout ce qui était étranger et chrétien, expliquait en 2010 le P. Serge Leray, chancelier du diocèse de Nantes et promoteur de justice du procès en béatification (1). Les missionnaires ont choisi de rester sur place, comme le Saint-Siège le leur demandait, malgré les lourdes menaces qui pesaient sur eux. » Ces dix-sept prêtres et laïcs ont été assassinés ou exécutés au Laos, le P. Jean-Baptiste Malo étant, quant à lui, mort d’épuisement sur le chemin d’un camp de rééducation situé au Vietnam (2).

Quarante-cinq ans après la mort des deux catéchistes tués en 1970 qui clôturent la liste de ces dix-sept martyrs, le Pathet Lao, qui a pris le pouvoir en 1975 après avoir défait les forces royalistes, est toujours aux commandes de la République populaire démocratique lao. Dans ce pays culturellement bouddhiste, les chrétiens ne représentent qu’une petite minorité et les catholiques sont au nombre de 50 à 60 000. Les évêques des quatre vicariats apostoliques de l’Eglise locale (Luang Prabang, Paksé, Savannakhet, Vientiane) ont appris à rester discrets afin de préserver l’espace de liberté concédé par le pouvoir en place.

Pour la béatification de ces 17 martyrs, qui pourrait avoir lieu en mai ou juin 2016, les évêques laotiens tiennent cependant fermement à ce que la cérémonie soit organisée au Laos. Le lieu reste à déterminer mais, selon nos informations, les évêques assument les risques qu’un tel événement représente. Ils souhaitent certes limiter au maximum la venue sur place d’étrangers, y compris les membres des familles des « Serviteurs de Dieu » distingués par l’Eglise (3), afin de ne pas provoquer les autorités laotiennes ; mais, pour eux, une telle cérémonie marquera le fait que tout comme l’Eglise de Rome est fondée sur le témoignage de Pierre et Paul et de nombreux martyrs, l’Eglise du Laos voit dans ses propres martyrs un fondement solide pour sa croissance et sa vie quotidienne. Toutefois, selon des sources proches de ce dossier, certains se montrent dubitatifs sur la faisabilité d’une telle cérémonie de béatification aujourd’hui au Laos.

(eda/ra)