Eglises d'Asie

Xinjiang : pression toujours plus forte sur les musulmans pour ne pas observer le Ramadan

Publié le 23/06/2015




Cette année encore, comme depuis plusieurs années, les autorités tentent de restreindre l’observance du Ramadan par les musulmans du Xinjiang, cette province de l’extrême ouest chinois. Dès avant le commencement du mois sacré de l’islam – fixé au 18 juin cette année –, les sites Internet des institutions …

… publiques ont explicitement affiché le message. « Durant le Ramadan, ne jeûnez pas, ne participez pas à des veillées ou à d’autres activités religieuses », pouvait-on ainsi lire sur le site d’une localité du Xinjiang.

Un autre site officiel, celui de l’Administration pour l’alimentation de Jinghe, district frontalier du Kazakhstan, indique que « les lieux de restauration seront ouverts normalement durant le Ramadan ». Dans le même district, le site de la localité de Bole invite « à ne pas jeûner ou à prendre part à des activités religieuses durant le Ramadan ». A chaque fois, les mesures visent ou s’appliquent aux populations sur lesquelles les autorités peuvent exercer un contrôle direct, à savoir les fonctionnaires, les élèves des écoles et les étudiants à l’université. Mais elles s’étendent parfois au-delà : à Awat, localité de la préfecture d’Aksou, située mille kilomètres plus au sud que Jinghe, la police et les juges ont reçu ordre de « prendre la direction du travail consistant à instruire les familles de manière à ce qu’elles ne jeûnent pas durant le Ramadan, ni ne participent à aucune activité religieuse en lien avec le Ramadan ». A Tarbaghatay (Tacheng en chinois), ville frontalière avec le Kazakhstan, le Bureau de l’éducation a donné pour instruction à tous les directeurs d’école que « durant le Ramadan, les élèves des minorités ethniques ne jeûnent pas, ni ne pénètrent dans les mosquées ou prennent part à des activités religieuses ».

Dans cette province de près de 22 millions d’habitants, où vivent 47 des 55 ethnies officiellement recensées en Chine populaire (les « minorités nationales »), les populations musulmanes, notamment les quelque 9 millions de Ouïghours, vivent de plus en plus mal la politique de Pékin visant à les assimiler au sein de l’immense ensemble constitué par les Hans. Depuis plusieurs années, la sinisation forcée à laquelle ils sont exposés provoque en retour une réaffirmation identitaire, à laquelle les autorités répondent par une répression tous azimuts de tout ce qu’elles perçoivent, à tort ou à raison, comme étant le signe visible d’une radicalisation religieuse.

C’est ainsi que la pratique du Ramadan est assimilée à une manifestation d’« extrémisme religieux » au Xinjiang, alors que ce n’est pas le cas dans les autres provinces du pays. Toujours au Xinjiang, le port de la barbe peut mener en prison. Cela a été le cas pour cinq hommes jugés au début de ce mois à Atush (Atushi en chinois), dans la Préfecture autonome kirghize de Kizilsu. Les cinq ont été inculpés d’« activités religieuses illégales » pour avoir assisté clandestinement à des prêches de nature religieuse et parce qu’ils arboraient des « barbes en forme de croissant de lune ». Ils risquent entre un et trois ans de prison ferme.

A Niya enfin, dans la préfecture de Hotan (Hetian en chinois) (sud du Xinjiang), les autorités ont innové en organisant, trois jours avant le début du Ramadan, une « fête de la bière ». Dans cette localité majoritairement peuplée de Ouïghours musulmans, la municipalité se félicite de la participation à l’événement de « soixante fermiers et éleveurs [de moutons] ».

L’ensemble de ces mesures s’inscrit dans un contexte de plus en plus tendu où, aux attaques meurtrières revendiquées par des groupes extrémistes ouïghours répond une répression des autorités exercée sur l’ensemble des populations musulmanes de la province. En avril dernier, deux incidents ont fait six morts et quatre blessés à un poste de contrôle à Lop (Luopu), dans la préfecture de Hotan ; il semble que ce soit des contrôles d’identité ciblant des femmes voilées et des hommes barbus qui aient déclenché les violences.

Pour les autorités, la période du Ramadan devient une période extrêmement sensible. La fin du mois de jeûne, l’an dernier, a en effet été le théâtre d’un des épisodes les plus sanglants de ces dernières années au Xinjiang. Le 28 juillet 2014, jour de l’Aid-el-Fitr, qui marque la fin du Ramadan, une émeute a éclaté alors que la police tentait de forcer les femmes d’une famille du village de Beshkent (district de Shache) à retirer leur voile, lors d’un contrôle dans les domiciles ouïghours. Les violences qui avaient ensuite éclaté et leur répression extrêmement brutale auraient fait entre 100 et 2 000 morts, selon les sources.

Face à ces atteintes à la liberté religieuse des musulmans du Xinjiang, les organisations ouïghoures en exil, tel le Congrès mondial des Ouïghours (basé en Allemagne) ou l’UAA (Uyghur American Association), dénoncent la politique menée par Pékin. Dans les milieux religieux de l’islam mondial, les prises de position sont plus rares. Cette année toutefois, la célèbre université égyptienne Al-Azhar, par la voix de son grand imam Ahmed Al-Tayeb, a « condamné les autorités chinoises pour l’interdiction faite aux musulmans de jeûner et de pratiquer leurs rituels religieux durant le Ramadan dans plusieurs régions du Xinjiang ». La célèbre université rejette « toute forme d’oppression engagée contre les musulmans ouïghours en Chine qui affecte leurs droits religieux et libertés personnelles », et appelle la communauté internationale, l’ONU et les ONG de défense des droits de l’homme à agir pour mettre fin à de telles « violations », peut-on lire sur le communiqué publié au Caire ce 19 juin.

(eda/ra)