Eglises d'Asie – Chine
Les Ouïghours dénoncent un « massacre d’au moins 2 000 personnes » le 27 juillet dernier
Publié le 14/08/2014
De nombreux attentats, incidents divers et émeutes, se sont produits ces derniers mois dans le Xinjiang, région à majorité ouïghoure – une ethnie turcophone et musulmane qui dénonce une politique d’assimilation forcée et de répression de sa culture et de sa religion.
Une attaque en mars dernier à l’arme blanche a fait 29 morts dans la gare de Kunming, au Yunnan, et un attentat – suicide a causé la mort de 43 personnes en mai dernier dans la capitale régionale d’Urumqi. A la suite de ces incidents meurtriers, l’ensemble de la population du Xinjiang a été soumise à d’intenses restrictions et la politique de répression menée par Pékin dans la région s’est durcie. La période du Ramadan a donné lieu à des nombreuses mesures de rétorsion de la part des autorités, qui ont fait réagir la communauté internationale elle-même.
Un groupe de « terroristes ouïghours armés de couteaux » a attaqué le 28 juillet les bâtiments administratifs et le poste de police d’Elishku situé dans le district de Shache (Yarkand), appartenant à la préfecture de Kashgar au Xinjiang, a rapporté l’agence Xinhua. La police, explique le média officiel, a dû riposter par balles, en état de légitime défense. Le bilan de l’affrontement serait de 96 morts, soit 37 civils et 59 « terroristes ».
Une version des faits totalement contestée par différentes ONG de défense des droits de l’homme ainsi que le Congrès mondial ouïghour (CMO), organisation en exil basée en Allemagne.
Interrogée par le service en ouïghour de Radio Free Asia (RFA), Rebiya Kadeer, le leader charismatique du CMO, a affirmé le 8 août dernier que selon les témoignages sur place et les rapports de différentes organisations, il avait été avéré que l’attaque du commissariat était en réalité une émeute déclenchée à la suite du refus des autorités d’entendre un groupe de Ouïghours venus au poste de police et dans les bureaux du gouvernement afin « d’obtenir justice pour le meurtre de villageois innocents, dont une famille de cinq personnes abattues par balle par la police au cours d’une altercation concernant le port du voile ».
Les faits en question se sont produits le 28 juillet, jour de l’Aid-el-Fitr, qui marque la fin du Ramadan. Radio Free Asia et Al Jazeera, rapportent que l’émeute a éclaté alors que la police tentait de forcer les femmes d’une famille du village de Beshkent (district de Shache) à retirer leur voile, lors d’un contrôle dans les domiciles ouïghours.
L’altercation aurait dégénéré et la police, selon les témoins, aurait alors abattu les cinq personnes de la famille « récalcitrante ». Plusieurs membres de la communauté ouïghoure, dont des familles venus des villages voisins où certains de leurs proches avaient aussi été abattus lors de contrôle « anti-Ramadan » se seraient alors massés dans les rues pour protester auprès de l’administration et de la police.
Les témoins ont confirmé auprès du CMO et de RFA que la police avait ouvert le feu non pas, comme l’ont prétendu les autorités, après l’attaque de Ouïghours armés de couteaux, mais alors que la foule (dans laquelle se trouvaient des femmes et des enfants) marchait vers les centres administratifs. Ce n’est qu’après les tirs de la police, effectués sans sommation, assurent les habitants de la zone aujourd’hui bouclée, que les Ouïghours auraient attaqué avec des bâtons les bâtiments de police et du gouvernement.
Rebiya Kadeer a affirmé le 6 août dernier, qu’au cours de cette seule journée du 28 juillet, au moins 2.000 Ouïghours avaient été tués par les forces de sécurité chinoises. Interrogée par Radio Free Asia (RFA), Rebiya Kadeer dénonce un véritable « massacre », camouflé à la communauté internationale par le « black out » de la région, coupée du monde et interdite aux médias..
« Nous avons la preuve qu’au moins 2 000 Ouïghours dans le canton d’Elishku ont été tués par les forces de sécurité chinoises dès le premier jour [de l’incident] et que celles-ci ont « nettoyé » les villages en faisant disparaître les cadavres les jours suivants pendant le couvre-feu imposé », a-t-elle dénoncé. « Nous avons des enregistrements des habitants du quartier qui racontent ce qu’il s’est passé à Elishku dans le district de Shache» a-t-elle ajouté, précisant que les victimes étaient principalement des habitants des villages n ° 14, 15 et 16 du canton. Toujours selon la leader de la communauté en exil, ces premiers bilans permettent d’ores et déjà d’affirmer qu’il s’agit du massacre de population ouighoure le plus élevé jamais rapporté au Xinjiang. « Il s’agit clairement d’un crime contre l’humanité perpétré par un gouvernement terroriste à l’encontre d’une population sans armes », accuse-t-elle.
Selon les témoins, la répression aurait en effet duré cinq jours, ce qui expliquerait que les autorités n’aient communiqué sur l’évènement qu’à partir du 3 août. Des entretiens menés avec des Ouïghours, mais aussi des Hans résidant dans la région par des journalistes de RFA (services en mandarin et en ouïghour), confirment que « la tuerie a duré pendant des jours ».
Certains témoins rapportent que les forces de sécurité ont « tué presque tous les manifestant » et ensuite commencé le même jour, après avoir reçu des contingents lourdement armés en renfort, à « nettoyer la zone », traquant les Ouïghours de maisons en maisons où ils étaient tués à bout portant. Un habitant de l’un des trois villages touchés a rapporté à RFA que certaines rues étaient désertes aujourd’hui « parce que tous les habitants étaient morts »
Malheureusement, regrette Rebiya Kadeer, le « massacre du 28 Juillet » est passé inaperçu aux yeux de la communauté internationale, éclipsé par l’offensive militaire israélienne dans la bande de Gaza. Ce qui a eu pour conséquence, conclut elle, de n’avoir été suivi par aucune condamnation internationale.
L’inculpation le 30 juillet de l’économiste ouïghour Ilham Tohti, de l’université de Pékin, pour séparatisme – un crime passible de la peine de mort – a déclenché une nouvelle vague d’indignation parmi les musulmans du Xinjiang, dont le Conseil ouighour prédit qu’ils « risquent d’être inévitablement conduits à l’extrémisme(…), de par la politique intransigeante et inconsciente de Xi Jinping ».
Parmi les dernières mesures à avoir encore davantage exacerbé le sentiment antichinois, figurent les récentes interdiction dans plusieurs villes du Xinjiang du port de la barbe pour les hommes et du voile pour les femmes. Une enquête du Los Angeles Times du 7 août dernier rapporte la liste de ces nouvelles restrictions, mises en place durant le Ramadan de cette année : interdiction de porter le voile, la barbe, la moustache, ou encore des vêtements portant des symboles musulmans, interdiction de jeûner pendant le Ramadan, d’écouter des chansons en arabe… Sous le nom de « Programme Beauté », des patrouilles sont chargées de vérifier la tenue des passants, tandis que des affiches proclament : « Laissez vos cheveux libres et révélez la beauté de votre visage. Abandonnez vos vieilles coutumes désuètes ».
« En adoptant une ligne dure contre la pratique religieuse, le gouvernement a contribué à exacerber le conflit », analyse Yang Shu, directeur de l’Institut des Etudes de l’Asie centrale à l’Université Lanzhou.
(eda/msb)