Eglises d'Asie

Le gouvernement place Caritas India sous surveillance

Publié le 24/06/2015




Le gouvernement indien a annoncé le contrôle du financement étranger de plusieurs associations, rapporte le quotidien La Croix dans son édition datée du 24 juin. Parmi elles, figure l’organisation caritative catholique Caritas India, directement placée sous la tutelle de la Conférence des évêques…

… catholiques d’Inde (CBCI).

Ce n’est qu’une décision annoncée par voie de presse, mais elle est lourde de conséquences. Confirmant les informations du quotidien The Indian Express, un responsable du ministère de l’Intérieur a indiqué le 23 juin à l’AFP que l’organisation catholique Caritas avait été placée sous surveillance du gouvernement. Elle rejoint une liste d’associations qui se retrouvent soumises à une approbation officielle, la « prior approval », avant de recevoir ou de distribuer des fonds étrangers dans le pays.

Fondée en 1962, Caritas India est membre du réseau Caritas Internationalis, basé au Vatican. Elle est inscrite sur la liste du gouvernement aux côtés de 16 autres organisations internationales ou financées par des fonds étrangers, dont la branche indienne de la Fondation Ford, institution philanthropique américaine.

Selon le gouvernement, ces organisations ont violé la législation sur le financement par des fonds étrangers, un cadre strict créé en 1976 pour contrôler l’influence étrangère sur les militants de la société civile. Elles sont accusées d’avoir soutenu et financé des groupes ayant des activités politiques, et agissant « contre l’intérêt national ».

Ce contrôle sur le financement étranger est la nouvelle étape d’un vaste mouvement de surveillance des ONG opéré par le gouvernement de Narendra Modi, élu en mai 2014. Issu du Bharatiya Janata Party (BJP – Parti du peuple indien), le parti nationaliste hindou, il regarde avec suspicion les ONG étrangères, ou indiennes financées par des fonds extérieurs. Ce financement étant conditionné à une neutralité politique, plus de 9 000 organisations se sont vu geler leurs comptes ces derniers mois, au motif de militantisme. Parmi elles, Greenpeace India, et à présent Caritas.

C’est une note datée du 3 juin 2014 des services de renseignements indiens qui donne le cadre conceptuel des dirigeants politiques actuels. Intitulée : « Les efforts concertés de certaines ONG financées par des fonds étrangers pour mettre à bas les efforts de développement de l’Inde », la note a rapidement fuitée dans la presse indienne et on peut y lire un réquisitoire sévère contre Greenpeace, Survival ou bien encore Amnesty International dans leur combat contre la mise en service d’une centrale nucléaire de fabrication russe, de certaines mines de charbon qui allaient entraîner une importante déforestation ou de différents projets industriels. Leur militantisme met en péril « la sécurité économique intérieure » et coûte « entre 2 et 3 % de croissance à l’économie indienne chaque année », affirmait alors l’Intelligence Bureau – sans donner les détails de ce calcul.

Mais, ainsi que le précise encore le site Asialyst dans un article du 19 juin dernier, les motivations du gouvernement indien ne sont pas qu’économiques. Si le Premier ministre Narendra Modi a développé une aversion pour ces ONG, c’est aussi parce qu’il a été la cible de leurs poursuites à cause de son rôle présumé dans les massacres de musulmans lors des pogroms de 2002 au Gujarat, époque où il était ministre-président de cet Etat. La Fondation Ford finançait alors l’association Sabrang Trust, qui a défendu les familles musulmanes victimes de ces émeutes, et cela expliquerait pourquoi cette fondation américaine se trouve aujourd’hui placée sous surveillance.

Selon Michel Roy, secrétaire général de Caritas Internationalis, le prétexte pour mettre l’organisation caritative catholique sous surveillance est lié à la construction contestée de la centrale nucléaire de Kudankulam, à la pointe sud du pays, dans l’Etat du Tamil Nadu.

Le projet, qui dure depuis 2011, se trouve sur le territoire du diocèse côtier de Tuticorin, un des plus importants diocèses catholiques de l’Inde, et a rencontré la vive opposition des autorités catholiques locales. « L’évêque du lieu, Mgr Yvon Ambroise, a dénoncé le déplacement forcé des populations du site où est construite la centrale nucléaire, et le danger qu’elle fait peser sur l’environnement, explique Michel Roy. L’évêque est un ancien directeur de Caritas India, et cela a été reproché à l’organisation. »

Dans le bras de fer qui opposait les autorités catholiques au gouvernement, les comptes bancaires de l’association diocésaine et d’une autre ONG liée à l’Eglise catholique, accusées de « servir des intérêts étrangers », avaient déjà été bloqués. Le feu vert pour le raccordement au réseau électrique de la centrale a finalement été donné en 2012 par l’Etat du Tamil Nadu.

Outre la protestation contre la centrale nucléaire, l’aide apportée par Caritas et les évêques indiens aux dalits, les ex-« intouchables » exclus du système des castes, n’est pas appréciée par les nationalistes hindous, notamment dans l’Etat du Gujarat, fief du BJP au pouvoir. La surveillance exercée sur Caritas, identifiée à l’Eglise, s’inscrirait dans cette défiance.

Pour Michel Roy, cette décision inquiète les ONG internationales. « Il s’agit d’une tentative de contrôle effectué sur la société civile indienne, qui est contraire aux libertés fondamentales », explique-t-il. Et de préciser qu’un dialogue entre coordinateurs d’ONG concernées par la décision indienne est en cours, pour réfléchir à une réponse qui n’aggraverait pas une situation déjà délicate.

Ce 24 juin, le P. Frederick D’Souza, directeur de Caritas India, a publié sur Twitter un communiqué pour dire que son organisation n’avait pas été officiellement notifiée par le ministère de l’Intérieur du fait qu’elle se trouvait désormais dans la catégorie des ONG soumises à la « prior approval ». Il a précisé que, depuis cinquante-trois ans, « en tant qu’organisation de la CBCI », Caritas India avait toujours répondu présente pour venir en aide aux victimes des catastrophes en Inde, qu’elle avait toujours agi « en conformité avec les lois et règlements » du gouvernement et était « heureuse de continuer à le faire dans le futur ».

(eda/ra)