Eglises d'Asie

Volte-face du gouvernement au sujet du droit de vote des résidents non citoyens

Publié le 12/02/2015




Le 11 février, quelques centaines de personnes, venues principalement de l’Etat de l’Arakan, ont manifesté à Rangoun ; environ 70 moines bouddhistes se trouvaient parmi elles. Les manifestants dénonçaient le fait que les résidents non détenteurs de la citoyenneté birmane soient autorisés à voter lors du référendum à venir sur la refonte de la Constitution.

En Birmanie, les cartes nationales d’identité sont de couleur rose. Ceux qui ne peuvent justifier de leur citoyenneté birmane – leur nombre est estimé entre 700 000 et 1,5 million – se voient remis un Certificat temporaire d’identité, imprimé sur du papier blanc et désigné communément sous le nom de « Carte blanche ». Le système existe depuis 2010 et a été mis en place par les militaires, à l’époque au pouvoir, peu avant les élections du 7 novembre 2010, élections controversées mais qui avaient ouvert la voie à la métamorphose de la junte militaire en un régime civil.

En cette année 2015, année électorale avec un référendum sur la révision de la Constitution prévu en mai et les présidentielles en décembre, le droit de vote accordé ou non aux détenteurs de carte blanche est devenu une question politiquement très sensible. En décembre dernier, lorsque le président Thein Sein avait présenté au Parlement le projet de loi ouvrant le droit de vote aux détenteurs de cartes blanches pour le référendum constitutionnel à venir, la Ligue nationale pour la démocratie, parti de l’opposante Aung San Suu Kyi, avait annoncé que ses députés voteraient contre.

C’est pour dénoncer ce droit de vote accordé aux détenteurs de cartes blanches que des moines et des Arakanais ont manifesté ce 11 février à Rangoun. Ils protestaient contre le fait que les Rohingyas, minorité musulmane de l’Arakan dont les membres se sont vus retirer la nationalité birmane par une loi de 1982, puissent voter lors des scrutins à venir de 2015. Selon le moine Shin Thumana, présent à la manifestation, « les détenteurs de cartes blanches ne jouissent pas de la citoyenneté et, dans les autres pays, les non-citoyens n’ont pas le droit de vote ». A l’agence Associated Press, il a précisé que cette affaire de droit de vote accordé aux Cartes blanches était « une manœuvre des politiciens pour gagner des voix ». Et de rappeler qu’aux élections de 2010, le parti qui soutenait les militaires avait notamment remporté des sièges dans les circonscriptions où les détenteurs de cartes blanches étaient nombreux.

La surprise est venue du fait que, quelques heures après la tenue de cette manifestation, le bureau du président Thein Sein a publié un communiqué annonçant que les Certificats temporaires d’identité perdraient toute validité à compter du 31 mars prochain, leurs détenteurs étant invités à les remettre aux autorités avant le 31 mai 2015. On peut y lire la phrase suivante : « (…) Etant donné que des critiques ont été formulées par des moines et différentes personnes au sujet des Certificats temporaires d’identité, une commission d’observation et d’analyse des lois et règlements sera formée avec des experts ». Le président Thein Sein avait pourtant annoncé en décembre dernier que les détenteurs de cartes blanches pourraient voter lors du référendum constitutionnel à venir ; il avait déposé un projet de loi en ce sens au Parlement, loi qui avait été votée et qui avait été promulguée par lui pas plus tard que ce 10 février.

Les raisons de la volte-face présidentielle sont à ce stade peu lisibles. Selon Radio Free Asia, le président, en accordant initialement le droit de vote aux détenteurs de cartes blanches, aurait cherché à calmer les pays occidentaux et les organisations de défense des droits de l’homme, très critiques envers le traitement réservé aux Rohingyas. Quelque 500 000 Rohingyas seraient porteurs de la Carte blanche. Aujourd’hui, en retirant ce droit de vote, le président se recentrerait sur ses intérêts électoraux à court terme, soucieux de ne pas mécontenter le pays birman et bouddhiste ; déjà, début décembre, il avait approuvé un ensemble de projets de lois très controversés car discriminatoires envers les non-bouddhistes.

Le dossier des cartes blanches dépasse toutefois le seul cas des Rohingyas. Parmi les minorités ethniques, bon nombre de personnes ne possèdent pas ou plus – du fait des combats de ces dernières décennies – de cartes nationales d’identité. Beaucoup d’entre elles ont seulement une Carte blanche. Leur participation aux votes cruciaux de mai prochain sur la révision de la Constitution et de décembre 2015 pour les présidentielles est donc remise en cause. A ces personnes qui résident sur le territoire birman, s’ajoutent les réfugiés qui ont fui le pays, notamment ceux des camps situés en Thaïlande, lesquels sont en passe de fermer. Quant à celles qui ont obtenu un passeport étranger, leur participation aux élections semble définitivement compromise par le fait que le Myanmar ne reconnaît pas la double nationalité.

Selon les observateurs, à l’approche des échéances électorales, la tension monte et il devient impossible pour le gouvernement de s’aventurer dans des réformes d’envergure. Ce 12 février correspond au jour de « l’unité nationale », mais celui-ci a été fêté dans une certaine morosité. De violents combats perdurent dans l’Etat Kachin et débordent désormais dans l’Etat Shan. Ce jeudi, à Naypyidaw, le président Thein Sein a tenu des pourparlers avec les représentants d’une dizaine d’organisations ethniques armées, sans que ces discussions ne débouchent sur autre chose qu’une volonté de continuer les négociations. Sur la question du droit de vote, un élu de l’Arakan, qui siège au Parlement national, a résumé ses craintes en ces termes : « Si l’on autorise les détenteurs [de cartes blanches] à voter pour le référendum constitutionnel de mai prochain, le principal souci est qu’ils réclameront le droit de vote pour les présidentielles et exigeront ensuite la pleine citoyenneté. »

(eda/ra)