Eglises d'Asie

Pékin refuse tout compromis religieux avec les bouddhistes tibétains

Publié le 18/09/2015




Défilé militaire et costumes traditionnels : la Chine a déployé les moyens habituels pour célébrer le cinquantième anniversaire de la création de la Région autonome du Tibet (RAT), ce 8 septembre, mais contrairement à la grande parade militaire organisée à Pékin cinq jours plus tôt, le défilé tibétain était …

… interdit aux journalistes occidentaux.

Une semaine auparavant, une mère de famille de 55 ans, Tashi Kyi, s’était immolée par le feu pour protester contre les autorités chinoises. Elle est décédée le lendemain. Dans son village du district de Sangchu, des maisons avaient été rasées par les autorités pour des questions administratives. Depuis 2012, dix autres personnes se sont immolées dans le même district, dont son neveu Sangay Tashi, cet été. D’après l’organisation non gouvernementale Save Tibet, au moins 143 personnes se sont immolées par le feu depuis 2009, et sept en 2015. « Cette immolation était aussi un acte de protestation contre les actes et les brutalités du gouvernement chinois », a insisté le frère de Sangay, Jamyang Jinpa, dans une lettre ouverte publiée début septembre.

Lors de la cérémonie du 8 septembre devant le Potala, l’ancienne résidence du dalaï lama à Lhassa, capitale de la région, les autorités ont rappelé que le XIVe dalaï lama, Tenzin Gyatso, restait considéré comme « un terroriste » par Pékin. « Le Tibet est entré dans une nouvelle phase de stabilité durable depuis que tous les groupes ethniques ont combattu ensemble le séparatisme, parvenant ainsi à déjouer les tentatives de la clique du dalaï lama et des forces internationales hostiles », a déclaré Yu Zhengsheng, membre du Politburo lors de la cérémonie, avant de distribuer des cadeaux, dont des mixeurs électriques utilisés pour mélanger le thé au beurre de yak.

Pour tenter de calmer les critiques internationales, les autorités ont également publié le 6 septembre un Livre blanc où l’on peut lire que le panchen lama Gendun Choekyi Nyima, choisi par le dalaï lama en 1995, « vit une vie normale » et « ne souhaite pas être dérangé ». Trois jours après sa désignation comme réincarnation du second leader spirituel chinois, le jeune garçon, alors âgé de 6 ans, avait disparu avec sa famille et Pékin avait choisi un autre enfant pour assurer la fonction de panchen lama, position religieuse la plus importante après le dalaï lama.

Mais les autorités n’ont toujours pas dit où le jeune homme et sa famille se trouvaient, a regretté Matteo Meccaci, président du groupe International Campaign for Tibet, basé à Washington. « Jusqu’à ce que cela arrive, le cas du panchen lama reste une disparition forcée aux yeux des lois internationales », a déclaré Matteo Meccaci à l’agence de presse catholique Ucanews.

Dans le même document, les autorités chinoises assurent que Gendun Choekyi Nyima poursuit ses études et que ses parents sont devenus fonctionnaires. « C’est peut-être vrai, mais si c’est le cas, cela laisse en suspens nombre de questions quant au sort de cette famille, et la manière dont leur silence a été maintenu », a commenté Alistair Currie, porte-parole de l’ONG Free Tibet, basée à Londres.

Après avoir choisi un autre enfant du même âge pour devenir panchen lama, la Chine avait assuré suivre une tradition remontant à la dynastie des Qing, selon laquelle Pékin a le dernier mot quant au choix des leaders spirituels tibétains. Nommé vice-président de l’Association bouddhiste de Chine, et membre du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois, le panchen lama de Pékin ne fait plus que de rares apparitions publiques.

La nomination des leaders bouddhistes est un sujet particulièrement sensible pour Pékin. Les autorités estiment qu’en choisissant des leaders qui lui sont favorables, elles pourront contrôler plus facilement les fidèles. Le processus qui a conduit à la nomination de deux panchen lamas concurrents pourrait ainsi préfigurer ce qui pourrait se produire à la mort du XIVe dalaï lama, qui a fêté ses 80 ans cet été.

Peu avant son anniversaire, le dalaï lama a déclaré qu’il ne se réincarnerait peut-être pas. Lui qui a déjà cédé le pouvoir politique à un Premier ministre de la communauté en exil en 2001, a cette fois pris les devants pour empêcher Pékin de lui choisir un successeur complaisant. « Si la situation du Tibet reste la même, je naîtrai à l’extérieur du Tibet, hors de contrôle des autorités chinoises. C’est logique : le but de la réincarnation est de continuer le travail en cours de la précédente incarnation », explique-t-il dans une interview publiée sur son site Internet.

Cette pirouette théologique a mis les autorités chinoises, officiellement athées et antireligieuses, dans la position de défendre le principe de la réincarnation ! Une dépêche surréaliste de l’agence de presse officielle Chine Nouvelle retrace ainsi l’histoire de la réincarnation et donne la parole à des « experts » bouddhistes qui la défendent, même si la démonstration finale consiste à souligner que, depuis des siècles, c’est bien Pékin qui préside au choix du chef spirituel et politique des Tibétains.

« Les communistes chinois (…) devraient reconnaître les réincarnations du président Mao Zedong et de Deng Xiaoping. Alors seulement, ils auraient le droit de s’occuper de la réincarnation du dalaï lama », a ironisé à ce sujet le XIVe dalaï lama dans une interview au New York Times en juillet dernier.

En guise de réponse, Pékin réaffirme son contrôle sur le processus de réincarnation du dalaï lama dans le Livre blanc qui célèbre les bienfaits de cinquante ans de présence chinoise au Tibet. « Quoi que dise ou fasse le dalaï lama, il ne peut pas remettre en cause le droit du gouvernement central de confirmer la nouvelle incarnation », y déclare Norbu Dondrup, un responsable du gouvernement chinois au Tibet.

Le même Livre blanc souligne le développement économique dont ont bénéficié les Tibétains grâce à la Chine. Il met notamment en avant la multiplication du PIB de la région par 281 en cinquante ans, et un investissement total de 648 milliards de yuans (89 milliards d’euros) depuis la création de la RAT. Mais il est difficile de savoir dans quelle mesure le développement profite aux Tibétains. Micheal Buckley, auteur de Meltdown in Tibet (Macmillan Ed., Etats-Unis, 2014), qui décrit les dommages environnementaux et culturels causés par le développement économique à la chinoise au Tibet, contredit le récit enthousiaste des autorités chinoises. Alors que Pékin met en avant les constructions d’écoles, Buckley, cité par l’agence Ucanews, rappelle que la Chine a dépensé plus pour la construction de la ligne de chemin de fer jusqu’à Lhassa, terminée en 2006, que dans les dépenses de santé et d’éducation de la RAT depuis 1950.

« La ligne de chemin de fer s’étend désormais à l’est et à l’ouest de Lhassa, explique Buckey. Ces voies permettent à de grands nombres de travailleurs migrants de venir travailler au Tibet, facilitant ainsi l’exploitation à grande échelle des ressources du Tibet. » Nombre d’entreprises minières, par exemple, emploient beaucoup plus de Han, l’ethnie chinoise majoritaire, que de Tibétains. Même si aucune statistique n’est disponible, le bilan des accidents industriels vont en ce sens. Lors d’un glissement de terrain dans une mine en 2013 détenue par une entreprise d’Etat, 83 employés sont décédés ; deux seulement étaient tibétains.

Le dalaï lama, de son côté, affirme toujours être ouvert à un retour en Chine si Pékin le permet, proposant une « voie médiane », qui donnerait une autonomie réelle à un Tibet maintenu sous le drapeau chinois. Une position rejetée par le Livre blanc, qui dénonce « le complot de l’indépendance du Tibet ». « Le Tibet vit actuellement son âge d’or », conclut l’ouvrage.

(eda/sp)