Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Quand le système des castes traverse la communauté chrétienne

Publié le 22/09/2015




Plus d’un demi-siècle après l’abolition des discriminations fondées sur les castes, les progrès sont mitigés et les dalits (intouchables) catholiques s’estiment victimes de discrimination au sein de l’Eglise catholique en Inde.

Pour un dalit (« intouchable ») hindou, la conversion au christianisme fait briller le rêve d’une vie meilleure. A l’attrait du message évangélique d’égalité se greffe parfois aussi l’espoir de bénéficier des compétences de l’Église en matière de santé ou d’éducation.

Mais les radicaux hindous voient d’un très mauvais œil ces « désertions » dans leurs propres rangs et crient aux conversions « forcées ». Ils n’hésitent pas à procéder à des « reconversions » des chrétiens et des musulmans vers l’hindouisme. Ils assimilent le christianisme à une religion « étrangère », malgré sa présence en Inde depuis deux millénaires.

Leur agitation engendre des violences récurrentes contre la petite minorité chrétienne. Depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi et de la droite nationaliste hindoue, en Inde, les tensions s’accroissent.

Ce puissant courant radical favorise le projet d’une loi anti-conversion pour lutter contre le prosélytisme chrétien et musulman, alors que six Etats ont déjà adopté des législations en ce sens. Pour John Dayal, porte-parole du Forum chrétien unifié (UCFHR), « c’est une menace contre la démocratie indienne et une atteinte à la liberté religieuse ».

Ces enjeux sont attisés par d’éternels débats démographiques sur le poids des communautés religieuses. Les chiffres de 2011 montrent une diminution de la proportion des hindous, qui représentent 79,8 % de la population, une stagnation des chrétiens à 2,3 %, et une légère augmentation des musulmans à 14 %. Les hindouistes y voient une évolution « alarmante ».

Pourtant, les démographes expliquent raisonnablement ces tendances. Un article publié dans le magazine Outlook souligne même « l’échec du christianisme en Inde » pour démontrer que cette religion ne menace en rien l’hindouisme.

Au cœur de ces tensions qui les dépassent, les dalits chrétiens voient leur rêve d’égalité s’éteindre le jour de leur conversion. Ils continuent à être appelés « dalits » et restent otages de l’apartheid social. Dans les villages, les dalits chrétiens subissent la même ségrégation que leurs frères hindous ou musulmans.

L’Eglise, dont la ligne officielle dénonce le système des castes, reproduit en son sein la hiérarchie des castes présente chez les hindous. Avec les aborigènes, les dalits représentent 70 % des chrétiens indiens mais ils forment moins de 10 % du clergé diocésain.

Au Tamil Nadu, l’organisation Mouvement de libération des dalits (Dalit Viduthalai Iyakkam) a affirmé cet été que 80 % des dalits chrétiens souffraient de discriminations de la part de l’Église, en particulier dans certains diocèses où les donations ne bénéficient qu’aux élites chrétiennes. L. Yesumarian, un avocat jésuite qui dirige dans cette région le Centre pour les droits humains des dalits (DHRC), rappelle que « les luttes inter-castes entre chrétiens ont toujours existé… »

Dès 1995, dans son secteur, les « hautes castes » déposaient une plainte pour un changement dans l’itinéraire d’une procession de la statue de la Sainte Vierge qui, selon eux, ne devait pas passer par le quartier des dalits chrétiens… Ces « revendications » ont donné lieu à des guerres intestines sans fin.
Pour ne rien arranger, les dalits chrétiens perdent leur accès aux mesures de discrimination positive. Ils ne peuvent plus compter sur les sièges réservés aux dalits à l’université et dans la fonction publique, puisque l’Église ne reconnaît pas le système des castes.

De nombreux prêtres et militants se battent, depuis des années, pour faire ouvrir ces réservations aux dalits chrétiens. Certains luttent pour l’ouverture d’une véritable réflexion au sein de l’Église. Deux associations indiennes ont déposé, en juin, une plainte au centre d’information des Nations unies à Delhi, accusant notamment la Conférence des évêques d’Inde (CBCI) de masquer l’ampleur du problème dans ses échanges avec le Vatican.

D’autres mouvances militantes, enfin, cherchent à donner une résonance à ces enjeux et à rappeler à la communauté internationale que le sort des dalits met en cause le socle des droits de l’homme en Inde.

(eda/La Croix)