Eglises d'Asie

A Washington, Xi et François se croisent sans se rencontrer

Publié le 25/09/2015




Il n’aura échappé à personne que le pape François et le président chinois Xi Jinping sont présents en même temps sur le sol des Etats-Unis pour des visites à très forte visibilité. Pourtant, lorsque le président Xi a atterri le 24 septembre à Washington en provenance de Seattle, le pape François avait …

… déjà quitté la capitale fédérale pour s’envoler vers New York. De même, alors que les deux hommes seront présents à New York pour la 70ème Assemblée générale des Nations Unies, ils ne prononceront pas leurs discours le même jour. Aucune chance donc de voir les deux leaders se rencontrer et échanger une poignée de main (1). Dans un article intitulé « Xi and the pope, so near yet so far », le South China Morning Post, quotidien anglophone de Hongkong, revient sur cette actualité. L’article a été publié le 24 septembre et sa traduction en français est de la Rédaction d’Eglises d’Asie.

Xi and the pope, so near yet so far
par Jessie Lau, South China Morning Post

Même à Washington, il est rare de voir deux visites d’Etat d’une telle importance se dérouler dans le même espace-temps : celle du dirigeant du pays le plus peuplé au monde et celle du chef de l’une des religions les plus influentes du monde.

Pourtant, en dépit du fait qu’ils fouleront le sol américain au même moment, le président Xi Jinping et le pape François vont se manquer à peu de chose – et pas seulement une fois, mais à deux reprises. [Le 24 septembre], peu de temps avant que Xi Jinping soit accueilli à Washington par le vice-président américain Joe Biden et son épouse Jill, le pape François quittait la ville pour New York où il devait s’adresser à l’Assemblée générale des Nations Unies. Demain, lorsque Xi Jinping arrivera à son tour à l’ONU, le pape aura déjà quitté la ville pour se rendre à Philadelphie.

Mais la concomitance des deux visites n’a pas échappé aux observateurs et les commentaires sont allés bon train quant à un possible impact de cet événement sur les relations sino-vaticanes, sachant que la Chine de Mao Zedong a rompu avec le Saint-Siège en 1951.

Ainsi que le formule le Washington Post, le pape François « surfe sur une vague de popularité inégalée par ses récents prédécesseurs ; le chef de l’Eglise catholique est une personnalité religieuse qui fait preuve d’une proximité avec les gens absolument inédite », tandis que Xi Jinping se montre être « un dirigeant autoritaire qui restreint fortement la liberté d’expression ».

Toutefois, si les deux leaders se croisent sur le sol américain sans se rencontrer, les experts ne se disent pas surpris par le fait que c’est sans doute très sciemment que toute rencontre a été évitée de part et d’autre.

Les relations entre la Chine et le Vatican demeurent tendues et difficiles en dépit des efforts déployés pour les améliorer. En 2013, après que Xi Jinping et le pape François sont arrivés à peu près en même temps aux fonctions qu’ils occupent aujourd’hui, les deux hommes avaient échangé des courriers, des lettres de félicitation parfaitement protocolaires, et on avait compris que le Vatican tendait la main à Pékin pour reprendre le dialogue. Plus tard, la Chine avait autorisé l’avion transportant le pape François vers la Corée à survoler son espace aérien, et le pape avait à cette occasion envoyé un télégramme à Xi Jinping.

Ces gestes ne doivent pourtant pas occulter les très réelles difficultés qui demeurent et qui empêchent la conclusion d’un accord scellant un rétablissement des relations diplomatiques entre les deux parties. Il suffit d’évoquer la campagne d’abattage des croix menée dans une province côtière de Chine ou les désaccords sur l’autorité légitime des nominations d’évêques.

Selon Sœur Beatrice Leung Kit-fun, professeur à l’Université des langues Wenzao des ursulines à Taiwan, établir des relations avec le Saint-Siège ne figure pas au rang des priorités pour Pékin, les dirigeants chinois étant bien plus préoccupés par des questions liées à la cyber-sécurité, aux tensions en mer de Chine du Sud ou bien encore à la restructuration de l’économie chinoise. « Ce n’est pas le moment. La Chine sort à peine d’une phase d’intenses luttes politiques et Xi Jinping est très conscient du fait que s’il fait montre de concéder certains points [au Vatican], il sera attaqué par son opposition », explique la religieuse catholique, qui ajoute : « En ce moment, la tension reste forte et le paysage politique n’est pas favorable. »

Roland Vogt, qui enseigne les études européennes à l’Université de Hongkong, rappelle que le Vatican est le seul Etat d’Europe occidentale à ne pas entretenir de relations diplomatiques avec la Chine populaire. Si de telles relations étaient un jour établies, il faudrait avant cela que le Saint-Siège rompe avec Taiwan.

Et pourtant, la Chine aurait tout à gagner d’une amélioration de ses relations avec le Saint-Siège. Le Vatican pourrait agir comme médiateur entre la Chine et d’autres pays, en offrant ses services pour régler des différends territoriaux, estime ainsi le professeur Vogt, tandis que Sœur Beatrice Leung souligne le fait que Pékin améliorerait son image en améliorant ses relations avec le pape, notamment à l’heure où la Chine tient à renforcer son « soft power ». « Les intérêts du Vatican et ceux de la Chine se recoupent donc d’une certaine manière, analyse encore Roland Vogt. Mais dès lors que l’on ne considère que les facteurs internes à la Chine,  il est clair que, pour Pékin, le catholicisme représente plutôt un obstacle qu’un allié. »

Du côté des Etats-Unis, la seule chose que l’on puisse noter est que la Maison Blanche a invité les journalistes couvrant la visite du pape à Washington à rester sur place pour couvrir l’arrivée du président chinois dans la capitale fédérale américaine.

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Le pape François et le président Xi Jinping, vus par le South China Morning Post.
(South China Morning Post)

(eda/ra)