Eglises d'Asie

Synode sur la famille : Mgr Charles Bo : « Notre modèle traditionnel de la famille souffre »

Publié le 02/10/2015




Le cardinal Charles Bo, archevêque de Rangoun, participe au synode sur la famille du 4 au 25 octobre, à Rome. Selon lui, l’ouverture politique que connaît la Birmanie depuis 2011, le développement économique et l’essor des moyens de communication commencent à mettre en danger l’institution …

… familiale. Le cardinal birman prône une approche pragmatique et éducative pour préparer les familles à cette évolution.

Répondant aux questions de Rémy Favre, Mgr Charles Maung Bo a accordé cette interview exclusive à Eglises d’Asie le 28 septembre dernier à Rangoun.

Eglises d’Asie : Quel message allez-vous porter au synode sur la famille ?

Cardinal Charles Maung Bo : Je vais parler du contexte particulier du Myanmar [nom officiel de la Birmanie]. Ici, les familles sont encore très traditionnelles, très stables. Les divorces et les séparations ne sont pas fréquents. Les enfants doivent marquer le respect aux parents. Les avortements sont encore interdits, même si les autorités ne les répriment pas. Le mariage entre personnes de même sexe va à l’encontre de notre culture et nous n’en parlons jamais. Dans le même temps, nos familles souffrent d’une grande pauvreté héritée du régime militaire [avant 2011]. A cause de cela, beaucoup de travailleurs émigrent et partent travailler en Malaisie, en Thaïlande, en Corée du Sud ou encore au Japon. Les familles sont séparées. Nous avons donc un modèle traditionnel de la famille qui est très bon mais qui souffre du fait de ces séparations et du manque d’éducation dans le pays.

Quels sont ceux qui souffrent le plus de cette pauvreté dans le pays ?

Il faut accorder plus d’attention aux femmes et aux enfants, en particulier en ce qui concerne la santé. Le taux de mortalité infantile et maternel est encore très élevé en Birmanie. Il y a trois millions de Birmans qui travaillent à l’étranger. Les jeunes essaient de plus en plus de trouver du travail dans les zones frontalières. Il y a aussi maintenant davantage de migrations internes vers les villes, Rangoun et Mandalay notamment. La séparation est toujours un danger pour la famille. Comme partout, les deux parents essaient de travailler et les enfants doivent être gardés. Bien que l’homme et la femme aient droit à la même dignité, tout ne doit pas être égal. Le père doit travailler plus. Et la mère doit s’occuper davantage des enfants. Des filles tombent dans la prostitution. Beaucoup de femmes birmanes sont vendues en Chine, à cause de la politique de l’enfant unique [qui crée un déficit de femmes dans la société chinoise]. Des Chinois les prennent pour femmes de manière temporaire. Parfois, elles reviennent en Birmanie après avoir donné naissance là-bas. Tous ces problèmes sont liés à la pauvreté.

Comment cette question de la pauvreté des familles est-elle abordée dans la campagne électorale en prévision des élections législatives du 8 novembre ?

Les deux partis les plus importants sont l’USDP, le Parti pour le développement et la solidarité dans l’Union [les anciens militaires, au pouvoir] et la LND, la Ligue nationale pour la démocratie [opposition]. Je n’ai pas beaucoup d’espoir en ce qui concerne l’USDP car leur système est éprouvé depuis un demi-siècle [les militaires ont dirigé la Birmanie de 1962 à 2011]. Il est très difficile de changer la mentalité de ces gens. Les généraux et les anciens généraux veulent toujours occuper les postes importants et diriger le pays avec la même mentalité. J’espère que la LND aura l’occasion de remporter les élections. Il y a des informations faisant état d’erreurs sur les listes électorales. Il est à craindre qu’il y ait de la fraude.

Est-ce que l’ouverture du pays, l’octroi de nouvelles libertés et les changements importants qui ont eu lieu ces cinq dernières années ont eu un impact sur les familles de Birmanie ?

Les gens se sentent maintenant très libres d’exprimer leur opinion. Il y a plus d’offres d’emploi pour les travailleurs grâce à la croissance économique dans les villes. Même les plus pauvres peuvent utiliser les messageries électroniques et des téléphones portables. Les familles ont bénéficié de l’ouverture du pays. Mais elles en pâtissent aussi. A cause du développement des médias, d’Internet, des téléphones portables, de Facebook et de Viber, il y a aussi beaucoup de distractions pour les familles et les jeunes. Le développement des technologies de communication a aussi un impact sur la vie des séminaristes. Ces dernières années, la consultation des sites pornographiques a augmenté. Tout cela peut affecter nos familles qui sont très pieuses ainsi que les enfants qui ont traditionnellement beaucoup de respect pour leurs parents. Cela peut affecter les couples aussi. C’est inquiétant.

Est-ce que vous diriez que ces développements mettent en danger le modèle traditionnel de la famille birmane ?

Oui, absolument. Le mode de vie traditionnel est menacé. Même si c’est interdit, le nombre d’avortements augmente. La fidélité n’est plus une valeur respectée comme auparavant. Le respect des enfants pour leurs parents n’est plus le même. C’est le résultat du développement économique et de l’essor des technologies de communication.

Pensez-vous que les familles birmanes commencent à suivre le modèle occidental, et parfois ses mauvaises tendances ?

La majorité des familles sont encore très traditionnelles. Les seules familles occidentalisées sont celles qui sont allées à l’étranger pour travailler, ou qui voyagent.

Les catholiques sont très minoritaires en Birmanie. Que peut faire l’Eglise pour contrecarrer les dangers que vous voyez poindre et qui menacent la famille traditionnelle ?

Fermer les yeux et nier ces dangers n’aideraient en rien. Nous ne pouvons pas restreindre ni contrôler Internet. Je pense qu’il faut plutôt que chacun prenne conscience des risques nouveaux qui apparaissent. L’Eglise doit sensibiliser et guider les familles. Nous avons besoin de guides et de pasteurs. Mais avant que nous soyons assez mûrs pour cela, le pays va devoir traverser des moments noirs et des crises. Les enseignements moraux de l’Eglise ont toute leur importance dans ce contexte. L’Eglise va devoir accompagner davantage les familles. L’Eglise insistait auparavant beaucoup sur ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui un est péché, ce qui n’en est pas un. Mais maintenant, le pape veut que nous attachions plus d’importance à la personne afin de l’aider et de l’accepter telle qu’elle est. Restreindre ou condamner, cela éloignerait les gens de l’Eglise. L’Eglise ne va pas aller contre ses principes. Elle ne va pas remettre en cause l’indissolubilité du mariage. Mais elle va avoir davantage de compréhension et d’attention pastorale pour les remariés, pour ceux qui vivent en concubinage, ou pour les homosexuels, afin que personne ne se sente exclu.

Personnellement, êtes-vous d’accord avec cette nouvelle « ligne » qu’introduit le pape François ?

Oui. Je pense qu’il faut avoir davantage d’attention pour ces gens. Il faut une approche compatissante. Il ne faut pas que certains se sentent abandonnés. Il y a, aussi en Birmanie, des exemples de personnes dont le second mariage est très stable depuis des dizaines d’années, et qui ont des petits-enfants. Ils ne peuvent pas recevoir la communion quand ils vont à la messe le dimanche. Je crois que l’Eglise devrait autoriser ces personnes-là à recevoir le corps du Christ. Car le Christ est justement venu pour les pécheurs, les gens qui étaient en dehors des lois, les instables. De surcroît, dans le cas du remariage d’une personne, l’autre partie qui se marie pour la première fois, n’a parfois rien à se reprocher. Personnellement, je suis pour que les divorcés remariés puissent communier. Cela étant, l’Eglise a aussi ses lois et ses règles et elle les maintiendra.

Y a-t-il beaucoup d’exemples de remariages en Birmanie ?

Non, pas beaucoup, peut-être trois ou quatre cas dans un diocèse.

Y a-t-il beaucoup de mariages mixtes en Birmanie ?

Auparavant, c’était très rare. Mais cela commence à se développer en ville. En général, les mariages mixtes sont stables, respectueux. Certains se sont convertis et ils ont rejoint l’Eglise à l’occasion d’un tel mariage. Il arrive aussi que la partie catholique s’éloigne de l’Eglise. Il y a des exemples où les parents laissent les enfants libres de choisir leur religion. Il y a aussi des cas où les enfants deviennent bouddhistes et revêtent la robe safran. Tout dépend des convictions de chacun.

En Birmanie, des bouddhistes se plaignent du fait que les enfants de mariages mixtes dont une partie est musulmane deviennent automatiquement musulmans. Qu’en est-il ?

Les musulmans sont très stricts et agressifs sur cette question. Il y a des cas où la femme doit se convertir à l’islam pour épouser un musulman et les enfants seront musulmans. Il arrive qu’un musulman qui se convertit à la religion chrétienne ait des ennuis. Mais encore une fois, cela dépend. Il y a aussi des exemples où une femme musulmane se convertit à la religion catholique à l’occasion de son mariage avec un catholique et elle devient plus pieuse que lui. Nous respectons la conscience de chacun.

En ce qui concerne la préparation au mariage catholique, rencontrez-vous des difficultés ?

Les séminaristes et les religieux reçoivent une formation d’une dizaine d’années. A contrario, la préparation au mariage est très succincte. Il ne s’agit parfois que d’une ou deux rencontres avec un prêtre. Dans notre diocèse, nous avons préparé un livret pour fixer des rendez-vous, impliquer le prêtre, des religieux, et préparer les fiancés religieusement et psychologiquement.

Est-ce que les Birmans qui ne sont pas chrétiens connaissent les spécificités du mariage catholique ?

La polygamie est encore commune chez les musulmans. Les bouddhistes comprennent le concept de la fidélité. Il n’y a pas beaucoup de divorces chez eux. La culture de la fidélité et de la famille est ancrée chez eux.

(eda/rf)