Eglises d'Asie

Assassinats d’aborigènes à Mindanao : de jeunes Lumads en appellent au pape et à la Conférence épiscopale

Publié le 07/10/2015




Face à la multiplication des assassinats de responsables aborigènes sur l’île de Mindanao, au Sud des Philippines, de jeunes Lumads (terme désignant les aborigènes de l’île) ont écrit au pape et demandé l’aide et l’intervention de la Conférence épiscopale philippine, afin que cessent …

… les violences à l’encontre de leurs communautés.

Le 22 septembre dernier, des étudiants – dont Michelle Campos, la fille d’un responsable aborigène tué le 1er septembre dernier dans la province de Surigao del Sur – ont rencontré des membres de l’épiscopat philippin pour leur demander d’intervenir dans les négociations de paix entre les insurgés communistes, le gouvernement et les parties prenantes au conflit. Ils ont également déposé, à la nonciature apostolique de Manille, une lettre adressée au pape François. « Le pape peut nous aider car il a un souci véritable des plus pauvres. Nous souhaitons attirer son attention sur la situation terrible que vivent des milliers d’enfants Lumads, pris en étau dans cette militarisation massive des communautés aborigènes de Mindanao. Nous désirons simplement retourner dans nos villages, dans nos écoles et continuer d’étudier », a déclaré Rachel Libora, une aborigène qui s’est déplacée jusqu’à Manille pour défendre la cause de son peuple.

Le 1er septembre dernier, deux responsables aborigènes Manobo, Dionel Campos et Aurelio Sinzo, du village de Han-Ayan, à Lianga, dans la partie orientale de Mindanao, ont été tués ainsi qu’Emerito Samarca, directeur d’une école d’apprentissage pour les Lumads. Près de 3 000 aborigènes ont alors fui la ville pour se réfugier à Tandag, capitale de la province de Surigao del Sur, où ils vivent depuis dans des abris de fortune. Le 28 septembre dernier, à San Luis, au centre-est de Mindanao, un autre responsable aborigène a été tué par trois hommes armés en moto. Le week-end du 3-4 octobre, ce sont encore près d’un millier de Lumads qui ont quitté la ville de Marihatag, dans la province de Surigao del Sur.

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Légende photo : Une famille aborigène Manobo, sous une tente de fortune, après s’être réfugiée dans la ville de Tandag. (Mark Saludes/Ucanews)

La CBCP (Conférence des évêques catholiques des Philippines) a demandé qu’une enquête gouvernementale « honnête, impartiale et rapide » soit ouverte de manière à faire toute la lumière sur ces assassinats. Selon le porte-parole de l’armée, l’enquête menée n’a pu établir de liens directs quant à l’implication de militaires dans les trois assassinats commis le 1er septembre dernier. Selon ce rapport, ces meurtres sont dus à des querelles internes entre aborigènes.

Pour Mgr Nereo Odchimar, évêque catholique de Tandag, ce rapport militaire contient de nombreuses contradictions. « Des noms de membres du groupe Bagani ont circulé durant les attaques, et beaucoup se demandent pourquoi ils ne sont pas poursuivis. » Des témoins ont en effet reconnu des membres du groupe paramilitaire Magahat-Bagani Force. D’après le prélat, ces groupes paramilitaires ont été créés par l’armée elle-même, ce qui explique pourquoi ses membres ne sont pas poursuivis. Selon lui, les opérations minières des firmes multinationales sur les terres ancestrales des Lumads sont « une des causes » des attaques perpétrées contre les aborigènes. Ces groupes paramilitaires sont en effet régulièrement accusés de travailler pour les intérêts des compagnies minières ou forestières. « Ils veulent que les Lumads quittent leur terre, car elles sont riches en ressources naturelles et en minerais », a précisé Mgr Odchimar.

Selon Human Rights Watch, depuis mai 2015, dans la province de Davao, des centaines de Lumads ont été chassés de leurs terres, du fait d’une offensive militaire contre la NPA (New People’s Army), la branche armée de la rébellion communiste aux Philippines. Depuis, ils vivent dans des camps de fortune, à Davao, capitale économique de Mindanao. « Les paramilitaires terrorisent les peuples aborigènes, pendant que les militaires, au mieux, ne font rien. Ces forces paramilitaires ont commis des meurtres et pratiqué la torture, ils ont harcelé et fait fuir des populations en toute impunité », indique Phil Robertson, responsable Asie de l’organisation de défense des droits de l’homme.

D’après l’agence de presse Ucanews, au printemps dernier, trois membres de la tribu B’laan ont été torturés par des militaires, afin de leur faire admettre qu’ils étaient des rebelles communistes. En août dernier, dans la province de Bukidnon, des soldats ont été accusés d’avoir tué cinq membres d’une famille aborigène, dont deux enfants. Selon le Manila Times, les militaires ont dit avoir tué des membres de la guérilla communiste, ce qu’a démenti la NPA.

Oona Thommes Paredes, anthropologue à l’Université nationale de Singapour, explique que, dans les années 1970, certains Lumads ont effectivement rejoint la NPA afin de lutter contre les firmes multinationales d’exploitation forestière et minière qui « grignotaient petit à petit leurs terres ». Depuis 1997 et le vote de l’Indigenous Peoples’ Rights Act, il est officiellement reconnu aux Lumads le droit de propriété sur leur terres ancestrales. Néanmoins, les firmes multinationales utilisent des moyens détournés pour arriver à leurs fins. « Pour qu’une entreprise d’exploitation minière ou forestière s’implante, elle doit avoir obtenu des autorisations officielles. Ces firmes multinationales ayant de grands moyens financiers, elles offrent non seulement des pots-de-vin aux fonctionnaires locaux, mais également à des membres des communautés aborigènes, voir même aux chefs de tribus », précise l’universitaire.

Début octobre, le National Bureau of Investigation, le service de renseignements généraux philippin, a envoyé trois équipes différentes à Mindanao pour enquêter sur les assassinats récents des Lumads. Il dispose de soixante jours pour réaliser une enquête et soumettre un rapport au ministère de la Justice philippin, sur ces meurtres jusqu’ici non élucidés.

(eda/nfb)