Eglises d'Asie

En campagne électorale, Aung San Suu Kyi tente de séduire les minorités ethniques

Publié le 09/10/2015




Le parti de la célèbre opposante birmane chasse sur les terres des formations ethniques en vue des élections législatives du 8 novembre prochain. En effet, la Ligue Nationale pour la Démocratie n’a pas négocié d’accord préélectoral avec les formations ethniques, très nombreuses en Birmanie. La députée Aung San Suu Kyi revient tout juste d’un voyage dans l’Etat …

… kachin, où les électeurs, en majorité chrétiens, ne lui sont pas forcément aussi favorables qu’ailleurs dans le pays. Car dans cette région la plus septentrionale du pays, Aung San Suu Kyi ne s’est pas impliquée dans les négociations de paix et son programme en matière de résolution des conflits reste vague.

En visite dans l’Etat kachin, Aung San Suu Kyi a tenté de présenter son parti comme celui le plus à même d’apporter la paix en Birmanie. « Nous pourrons [apporter la paix] seulement si vous avez foi en nous et si vous nous donnez la chance de le faire », a-t-elle déclaré devant des milliers de partisans. Celle qui est souvent surnommée la « Dame de Rangoun » a sillonné l’Etat kachin pendant quatre jours (du 2 au 5 octobre), prononçant des discours à Myitkyina, capitale de l’Etat, mais aussi dans de petites localités à l’extrême nord du pays. Elle a cherché à obtenir le soutien de toutes les ethnies de Birmanie. « La Ligue nationale pour la démocratie (LND) est pour les peuples ethniques. Ce n’est pas un parti bamar composés de gens bamars », a-t-elle encore expliqué, en référence à l’ethnie majoritaire de Birmanie. Aung San Suu Kyi n’a toutefois pas déroulé davantage son programme pour la paix, même si son entourage assure qu’elle souhaite relancer le dialogue avec les groupes ethniques.

Dans cette région, les attentes en matière de résolution des conflits sont immenses. Des milliers de sympathisants ont écouté les discours de l’opposante. Ils lui ont parfois directement posé des questions. Après dix-sept années de cessez-le-feu, l’Etat kachin s’est à nouveau enflammé en juin 2011. S’y affrontent l’armée gouvernementale et l’Armée pour l’indépendance kachin (KIA). Près de 100 000 personnes ont fui leurs villages. La KIA réclame une large autonomie ainsi qu’un accès plus important aux ressources locales. Elle participe à des négociations de paix avec le gouvernement en vue de signer un cessez-le-feu national, que le pouvoir espère conclure ce 15 octobre, mais la KIA a d’ores et déjà annoncé qu’elle ne parapherait pas le texte en l’état.

Malgré les insuffisances de son programme, la lauréate du Prix Nobel de la Paix 1991 est toujours source de grands espoirs, y compris au sein de l’Eglise catholique. « Je la considère comme une bonne dirigeante car elle s’est sacrifiée pour le pays et qu’elle est un personnage d’envergure internationale », a réagi Mgr Francis Daw Tang, évêque de Myitkyina, après avoir écouté la chef du parti d’opposition s’exprimer pendant 45 minutes dans sa cathédrale Saint-Colomban le 2 octobre dernier. L’archevêque de Rangoun, le cardinal Charles Maung Bo, a lui aussi clairement indiqué sa préférence pour la Ligue nationale pour la démocratie au cours d’une interview accordée récemment à Eglises d’Asie.

Les élections législatives du 8 novembre prochain permettront de renouveler seulement les trois quarts des sièges du Parlement. En vertu des dispositions constitutionnelles édictées en 2008, le dernier quart des sièges est en effet réservé d’office aux militaires en uniforme. Aung San Suu Kyi doit donc conquérir les deux tiers des sièges ouverts au vote pour s’assurer la moitié de la représentation nationale. Or, les minorités ethniques représentent environ le tiers des 51 millions d’habitants de la Birmanie. L’opposante a donc besoin de leur soutien dans les urnes, d’autant qu’elle n’a conclu aucune alliance préélectorale avec les partis ethniques, « faute de temps », a expliqué un membre du comité exécutif de son parti.

Dans sa campagne électorale, la dirigeante de l’opposition attache une importance toute particulière aux régions ethniques. En moins d’un mois, elle a visité les Etats kayah et kachin, où résident d’importantes minorités chrétiennes, mais aussi la région de Sagaing, où elle est allée à la rencontre du peuple naga. Elle doit se rendre prochainement dans l’Etat de l’Arakan, peuplé de bouddhistes appartenant à différentes ethnies et d’une minorité de musulmans (Rohingyas notamment).

L’espoir qu’elle porte est toutefois brouillé par un bilan très léger en matière de résolution des conflits en Birmanie. « Aung San Suu Kyi a toujours dit qu’elle voulait participer au processus de paix. Mais sans invitation, elle ne peut rien faire », note U Nyan Win, le porte-parole de la LND. Pourtant, les groupes ethniques qui participent aux négociations de paix ont publiquement réclamé, à plusieurs reprises, son aide et son intervention. En novembre 2013, c’est Aung San Suu Kyi elle-même qui semblait se mettre à l’écart du processus en déclarant : « Il ne serait pas juste d’inciter les groupes ethniques à faire ceci ou cela. Je crois qu’ils savent ce qui est dans le meilleur intérêt. » U Nyan Win explique qu’elle attend une lettre d’invitation officielle mentionnant un ordre du jour clair pour s’impliquer. De son côté, a-t-elle pris l’initiative de demander à participer au processus de paix ? « Je ne sais pas », répond le porte-parole, ennuyé.

En réalité, la LND ne cache pas n’avoir guère confiance dans les pourparlers de paix tels qu’ils sont engagés. « Le gouvernement dit qu’il est d’accord sur un point. Lors de la réunion suivante, il ne l’est plus, critique U Nyan Win. Cela retarde les choses. » De même, le porte-parole critique l’attitude des groupes ethniques rebelles qui ont pour objectif la mise en place d’un Etat fédéral et l’autodétermination, mais qui n’expliquent pas clairement comment ils souhaitent répartir le pouvoir et les compétences entre l’Etat central et les régions. « Ils doivent s’entendre sur ce qu’ils veulent », estime encore U Nyan Win, ajoutant que les négociations actuelles sont « prématurées ». De fait, le pouvoir souhaitait initialement signer un cessez-le-feu national avec tous les groupes ethniques du pays. Mais, pour le moment, seulement la moitié d’entre eux acceptent le texte qui sera signé la semaine prochaine. La portée nationale de l’accord en est donc très réduite.

Au final, la distance qu’a maintenue la secrétaire générale de la LND vis-à-vis de la question ethnique a terni son image. « Les Kachins sont tristes et ils ne sont pas satisfaits du silence d’Aung San Suu Kyi à propos du conflit kachin. Il est donc moins probable que la Ligue nationale pour la démocratie recueille leurs voix », déclare à l’agence Ucanews Khet Htein Nan, un élu du Unity and Democracy Party of Kachin State, un parti proche du pouvoir en place à Naypyidaw. La tonalité est la même au sein du Kachin State Democracy Party, dont le leader est U Tu Ja, homme politique kachin – et catholique – qui était jusqu’en 2009 le vice-président de la KIO (Kachin Independence Organization, la branche politique de la KIA). « Les Kachins des partis ethniques sont ceux qui peuvent représenter la région de manière efficace pour [la promotion des] droits ethniques. Nous ne pouvons pas attendre cela des candidats de la Ligue nationale pour la démocratie », estime U Tu Ja, en rappelant qu’il se présente aux élections du 8 novembre prochain et que son parti présente des candidats dans toutes les circonscriptions électorales de l’Etat Kachin.

(eda/rf)