Eglises d'Asie

Décès d’un pionnier de l’amitié franco-chinoise

Publié le 15/10/2015




Le 10 octobre dernier, le P. Jean de Miribel s’est éteint à l’âge de 96 ans. Français, prêtre de l’Eglise catholique, le P. de Miribel est mort à Xi’an, capitale du Shaanxi, où il vivait depuis plus de quarante ans, ce qui faisait de lui non seulement le doyen d’âge des Français de Chine mais surtout un des …

… étrangers à avoir résidé le plus longtemps de manière continue en Chine populaire.

Parti en Chine en 1976 avec une lettre de mission du cardinal Marty, alors que ce dernier était archevêque de Paris, le P. de Miribel s’était fixé à Xi’an où il enseignait le français à l’Institut des langues étrangères de Xi’an, devenu depuis l’Université des études internationales de Xi’an. Professeur dans la Chine d’avant les réformes de Deng Xiaoping, il avait, à sa façon, ouvert la voie à bien d’autres enseignants étrangers qui, à partir des années 1980, contribuèrent à la formation des étudiants chinois.

Profondément épris de la culture chinoise, il était l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Sagesse chinoise, une autre culture, coécrit avec le sinologue Léon Vandermeersch (Paris, éd. Le Pommier, 2010). Il avait beaucoup œuvré en faveur du développement de la coopération franco-chinoise dans le domaine de la recherche et de l’enseignement, puis, une fois à la retraite, il était resté vivre à Xi’an, visité par ses nombreux étudiants et anciens étudiants.

Signe de son enracinement en terre chinoise, une stèle à son nom et à son effigie vient d’être érigée dans les jardins de l’Université Jiaotong de Xi’an. Un hommage exceptionnel en Chine, les stèles dédiées à des étrangers y étant rarissimes. A notre connaissance, le seul autre prêtre catholique à connaître pareil hommage est le missionnaire jésuite Matteo Ricci (1552-1610) (dont la tombe et la stèle se trouvent dans le jardin de ce qui est aujourd’hui l’Ecole des cadres du Parti communiste chinois, à Pékin).

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Légende photo : 14 octobre 2015, Xi’an : la famille et les proches du P. Jean de Miribel (1919-2015) devant la stèle qui lui est consacrée dans les jardins de l’Université Jiaotong. (DR)

On lira ci-dessous l’hommage du P. Pierre Jeanne, MEP, au P. Jean de Miribel.

C’était un dur à cuire, à la volonté de fer mais à la foi lumineuse. Il avait réussi à se faire embaucher comme professeur de français vers la fin de la Révolution culturelle (1966-1976). Ce fut un des premiers prêtres étrangers à réussir à se faire admettre en Chine, depuis la prise de pouvoir de Mao Zedong, en 1949. Révolution culturelle oblige : les cours de langue ne se faisaient pas dans une salle de classe de l’université mais sur des chantiers. Jean a enseigné le français en bâtissant un mur. Les étudiants répétaient ce que disait le professeur : « Je prends du ciment avec ma truelle, etc. » Il a ainsi vécu ses premières années en Chine, bercé par la propagande officielle, au milieu d’étudiants qui revenaient de longs stages de rééducation à la campagne, dans le désordre général qui régnait à l’époque.

Comment Jean (qui se faisait appelé Rang 让en chinois) a-t-il pu rester sur place, à Xi’an, après avoir pris sa retraite ? Je suppose qu’il a bénéficié de la complicité d’anciens étudiants montés dans la hiérarchie du Parti communiste. Plusieurs fois renvoyé, ou soupçonné d’être un espion américain, il avait fait ses bagages mais, chaque fois, il avait été sauvé, au dernier moment, par un « bienfaiteur » inattendu. Il attribuait ces interventions à la Divine Providence. C’est, à ma connaissance, le seul cas d’un enseignant étranger à qui le gouvernement chinois a permis de prendre sa retraite sur place et d’y finir ses jours. Il avait même obtenu, des années avant sa mort, un visa permanent de résidence en Chine. Là encore, un cas unique !

Il m’a fallu du temps pour « apprivoiser » Jean : arrivé à l’Institut des langues étrangères de Xi’an en septembre 1996, j’ai appris qu’il y avait sur le campus un professeur de français à la retraite. Je suis allé lui rendre visite mais il était craintif et fuyant. Puis, progressivement, la confiance est née entre nous, suivie d’une amitié exigeante. Il faisait preuve d’une totale droiture et d’une fidélité sans faille et attendait de moi la même attitude. Mais comme il avait été privé d’informations pendant des décennies, il avait une vision du monde et de l’Eglise qui ne coïncidait pas du tout avec la mienne ; la plupart du temps, nous n’étions pas d’accord quand nous discutions. Mais il était têtu comme une mule et défendait son point de vue avec passion. Parfois, les esprits s’échauffaient durant de longs débats ; mais Jean revenait toujours sur des paroles qui avaient pu blesser ou aller trop loin, et il rétablissait sans tarder un climat d’amitié entre nous.

Bien qu’à la retraite, Jean était très actif. Il cherchait à aider les étudiants au chômage à trouver un travail ou, encore, à aller à l’étranger pour poursuivre leurs études. Quand ceux-ci lui présentaient un projet sérieux, il se démenait, sans ménager sa peine, pour leur trouver non seulement des bourses d’études, mais aussi un point de chute dans le pays concerné (souvent la France) et des personnes de bonne volonté pour les accueillir sur place. C’est ainsi qu’il y avait à longueur de journée, chez lui, des étudiants qui prenaient soin de lui, en échange des services qu’il leur rendait. La légèreté avec laquelle certains membres d’ambassades ou de consulats lui répondaient le mettait en colère et l’indignait. Mais il insistait tant et si bien que, souvent, il parvenait à ses fins, malgré la mauvaise volonté des fonctionnaires.

Jean ne voulait pas que l’on sache qu’il était prêtre ou même chrétien. Sans doute parce qu’il avait souffert, durant les premières années de son séjour en Chine, des soupçons généralisés dont la propagande officielle accablait systématiquement les étrangers quels qu’ils soient. Le gouvernement chinois craignait qu’ils « contaminent » le socialisme chinois. Il les tenait à distance et évitait qu’ils soient en contacts avec le petit peuple : habitat séparé et surveillé en permanence, restaurants spéciaux, transports de luxe pour étrangers mais distincts de ceux des Chinois et, même, monnaies différentes pour les uns et les autres : les étrangers ne pouvaient pas faire leurs achats en renminbi.

Mais Jean ne voulait pas qu’on connaisse son identité de prêtre, également, parce qu’il avait lu de nombreux récits à la sauce aigre-douce d’actions de missionnaires. Il considérait que le prosélytisme avait déjà fait suffisamment de dégâts dans la Chine d’avant Mao Zedong et il pensait qu’il ne fallait pas dénaturer davantage le message évangélique. Seul comptait, à ses yeux, le témoignage de vie chrétienne. Et, effectivement, la sienne était lumineuse. Il évitait de parler de façon négative des hauts dirigeants chinois qui l’avaient malmené et humilié, mais il faisait l’éloge du petit peuple de Chine qui, dans la tourmente de la Révolution communiste et de la persécution tous azimuts qui a suivi, restait attaché aux valeurs traditionnelles chinoises : la générosité, l’entraide, la famille, le souci des pauvres, l’amour de la patrie, etc.

Aussi, c’est sans surprise que j’ai appris qu’il avait décidé de donner son corps à la médecine. La cérémonie d’adieu (civile) a eu lieu mercredi 14 octobre 2015. Quant à la célébration eucharistique, elle s’est tenue la veille, dans la plus stricte intimité, dans l’appartement même de Jean. Elle a réuni certains de ses parents, venus de France, et quelques amis chrétiens des environs.

Pierre Jeanne, 15 octobre 2015
(Le P. Pierre Jeanne, membre de la Société des Missions Etrangères de Paris, est missionnaire à Hongkong.)

(eda/ra)