Eglises d'Asie

Le regard d’un évêque japonais sur le synode et les enjeux de la famille

Publié le 16/10/2015




Dans une interview accordée à Radio Vatican le 14 octobre dernier, Mgr Joseph Takami Mitsuaki, archevêque de Nagasaki, actuellement à Rome pour le Synode sur la famille, revient sur les principales préoccupations des familles japonaises ainsi que sur les défis actuels de l’Eglise catholique au Japon. Il …

… pose également un regard oriental sur le synode et ses enjeux.

« Au synode, on parle beaucoup de la famille, on parle des familles chrétiennes, c’est bien, mais il y aussi beaucoup de familles non chrétiennes qui n’ont pas la foi et qui vivent très honnêtement. Des familles non chrétiennes vivent aussi un cheminement. L’Eglise regarde les familles non chrétiennes de haut en bas, c’est un peu égocentrique, n’est-ce pas ? Il faut que l’Eglise se positionne d’égal à égal avec les familles. Pour nous c’est important », a-t-il ainsi expliqué à Radio Vatican.

Aux yeux de l’Eglise catholique du Japon, les thèmes abordés pendant le synode sont développés du point de vue de nations où la totalité des membres de la famille entière sont chrétiens et où les mariages entre un baptisé et un non-baptisé semblent poser problème. Or, au Japon, où la communauté chrétienne représente 0,35 % de la population japonaise, l’écrasante majorité des mariages implique des conjoints ne confessant pas la même religion. Dans ce contexte, il est important, pour l’Eglise de se demander ce que signifient un foyer chrétien et une famille chrétienne.

De nos jours, les familles japonaises sont confrontées à de nombreux défis : nombre croissant d’union libre, baisse de la natalité, augmentation du nombre des familles monoparentales, vieillissement de la société avec de nombreuses personnes âgées isolées, etc.

D’après Mgr Takami, l’un des enjeux majeurs des familles catholiques aujourd’hui est celui de la transmission de la foi. « Dans les familles, il y a un problème dans la formation et l’éducation des enfants, car les parents n’arrivent plus à transmettre leur foi ; les enfants ne les écoutent plus, ils sont pris par bien d’autres choses et sont en train de perdre la foi, c’est une crise sérieuse », a-t-il confié au micro de la radio vaticane.

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Légende photo : Mgr Joseph Takami Mitsuaki, archevêque de Nagasaki. (sulpicien.org)

Principalement de type nucléaire (parents, enfants) et vivant en milieu urbain, la famille japonaise a aujourd’hui bien du mal à trouver du temps pour se réunir, discuter et partager, voire même à prendre simplement un repas en commun, le temps et l’énergie des conjoints étant essentiellement absorbés par le travail professionnel (même si la maternité éloigne les femmes du marché du travail salarié, elles reprennent après quelques années un emploi à temps partiel). Quant aux enfants, les activités scolaires, les boîtes de bachotage et d’autres activités extrascolaires prennent généralement le pas sur les engagements au sein de l’Eglise.

Du fait du vieillissement de la population catholique et du clergé japonais, les jeunes ont tendance à percevoir l’Eglise comme un club du troisième âge, et sont peu disposés à rejoindre les communautés paroissiales, ce qui rend d’autant plus difficile la transmission de la foi à la nouvelle génération. « Il nous faut vraiment expliquer la foi de manière plus claire, plus convaincante, pour que ce soit plus facile à comprendre pour les enfants et les jeunes. Il faut expliquer la foi et la doctrine de manière plus simple », a déclaré Mgr Takami.

Autre défi majeur pour l’Eglise catholique au Japon : celui des mariages. « Plus de 80 % des mariages [catholiques] sont des mariages avec un conjoint non-chrétien, ce qui pose des problèmes pour la plupart des catholiques, surtout les filles, pour qui il est ensuite difficile de faire baptiser leurs enfants », a encore précisé l’évêque, qui s’exprimait dans un français parfait. La domination masculine, encore bien marquée dans la famille japonaise – même si elle cède du terrain à davantage d’égalité entre les époux – rend difficile pour les femmes catholiques la pratique et la transmission de la foi.

La question des mariages transnationaux est également un sujet qui interpelle vivement l’Eglise catholique du Japon. Sur un million de catholiques (1), plus de la moitié sont des catholiques étrangers, les catholiques japonais étant seulement 440 000. De nombreux catholiques étrangers ont ainsi contracté des mariages civils avec des non-chrétiens, et vivent aujourd’hui leur vie de couple sans passer par l’Eglise, alors qu’ils participent activement à la vie de leurs paroisses, ce qui suscite des besoins pastoraux particuliers. Pour répondre à ces nouveaux besoins, « l’action pastorale de l’Eglise doit partir des prémisses que l’union libre et le mariage civil sans mariage religieux sont devenus la norme », indiquait l’Eglise catholique du Japon, dans son compte-rendu au questionnaire sur la famille de février 2014, questionnaire mené en préalable au Synode sur la famille d’octobre dernier.

Autre cas : celui des travailleuses migrantes venues de pays catholiques (Brésil, Pérou, Philippines principalement) qui épousent un non-chrétien en zone rurale au Japon. « Souvent, les différences religieuses, culturelles et linguistiques suscitent de nombreux problèmes. Ces femmes représentent une réalité croissante dans l’Eglise du Japon et la formation des prêtres doit comporter l’acquisition d’une seconde langue afin d’apporter une aide pastorale aux migrants », indiquaient les évêques dans leur rapport.

Dernier enjeu qui n’est pas des moindres : celui de la rencontre personnelle avec le Christ. Comment rencontrer le Christ dans une société submergée par un flot d’information continu, où le culte du consumérisme, de l’hédonisme et de l’individualisme est exalté ? Pour l’Eglise du Japon, « quand l’esprit et le corps sont consacrés au court terme, les préoccupations spirituelles disparaissent ». Comment s’arrêter, se poser et prendre le temps de rencontrer Dieu dans la paix, le silence et la prière ? Au synode, Mgr Takami a, à ce sujet, insisté sur l’importance de « la pratique de la lecture et du partage biblique, pour que les personnes, les chrétiens, puissent se convertir de l’intérieur, par l’intermédiaire de l’Esprit Saint ».

Pour l’Eglise catholique au Japon, il est néanmoins important de souligner les points forts de la famille japonaise et la puissance des traditions sur lesquels l’Eglise peut s’appuyer : le Japonais participe ainsi systématiquement aux funérailles et aux mariages qui sont perçus comme une obligation naturelle, et il y a là un enjeu d’accueil et d’hospitalité à relever envers les chrétiens et les non-chrétiens. « L’Eglise doit être un refuge pour ceux que le voyage de la vie a épuisé et les cérémonies sont l’occasion de pouvoir découvrir ce refuge. Comme nous l’enseigne la Lettre de saint Paul aux Hébreux (He, 13,2) : ‘N’oubliez pas l’hospitalité, elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges’ », avaient conclu les évêques japonais dans leur rapport de l’an dernier.

(eda/nfb)